• Inferno, Dario Argento, 1980

     Inferno, Dario Argento, 1980

    Après le succès de Suspiria Argento va poursuivre dans la même veine, cette sorte de fantastique, un peu gothique, inséré dans une forme de modernité flamboyante et décadente. Ici encore le scénario est dû à Dario Argento et Daria Nicolodi. C’est le deuxième opus de la trilogie des mères, dite la trilogie des enfers. La trame est assez similaire, avec une maison qui en elle-même est dangereusement vivante. Mais de nombreux glissements vont être opérés comme une variation novatrice sur un thème déjà connu. Si l’affiche de Suspiria mettait en valeur uniquement le rouge profond, celle d’Inferno ne fait apparaître le rouge vif que comme un contrepoint de la couleur bleue, très froide, et du rose pastellisé. L’équipe est profondément modifiée, que ce soit la photographie qui est assurée par Romano Albani, que ce soit la musique qui doit ici beaucoup à Verdi, ou encore que ce soit l’aide de Mario Bava dans la mise en œuvre de certains effets spéciaux. Argento va introduire par delà l’histoire proprement dite une sorte de dialogue entre l’Italie et l’Amérique, pays dont rêvent beaucoup les Italiens à cette époque et qui a donné de beaux succès au réalisateur. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Rose Elliot se rend chez l’antiquaire Kazanian 

    Rose Elliot vit dans un immeuble ancien et étrange de New York, un immeuble quasi désert. Elle a lu un livre étrange sur les trois sorcières, livre qui lui a été vendu par l’antiquaire Kazanian qui a une boutique non loin de chez elle. Il aurait été écrit par un architecte, Varelli, qui a construit les demeures des sorcières à Rome, Fribourg et New York. Rose va voir Kazanian et lui pose des questions sur le livre, mais celui-ci se dérobe. Curieuse, elle va suivre les indications du livre et descendre à la cave pour tenter de découvrir les mystères de l’immeuble. Dans une sorte de labyrinthe, elle arrive devant une flaque d’eau dans laquelle elle perd ses clés. Elle est obligée de plonger pour les récupérer. Elle va croiser sous les eaux un cadavre qui flotte. Très troublée, elle remonte chez elle pour faire part de ses découvertes à son frère Mark qui vit à Rome, et elle lui adresse une lettre. Mark est étudiant en musicologie, il étudie le Nabuco de Verdi. Mais tandis qu’il tente de lire la lettre de sa sœur, il est troublé par le regard d’une étudiante qui est avec son chat dans l’amphithéâtre. Son amie Sara le rejoint sur le même banc. A la fin du cours, Mark cherche à revoir l’étrange fille au chat, mais elle est partie, et court après elle, abandonnant la lettre que récupère Sara. Celle-ci prend connaissance de la lettre et poursuit sa quête jusqu’à une vieille bibliothèque où elle tente de trouver le livre sur les tre madri. Se sentant poursuivie, elle va se perdre dans les sous-sols de la bibliothèque où elle trouve un vieil alchimiste. Elle arrive cependant à s’enfuir encore dans les rues de Rome et regagne le domicile de Mark où elle va être sauvagement assassinée. Mark trouve le corps, prévient la police et découvrant des morceaux de la lettre qui a été déchirée, téléphone à sa sœur. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Rose est attirée par la cave 

    Celle-ci lui demande de venir la rejoindre à New York, ce qu’il s’empresse de faire, sans qu’ils aient le temps cependant d’échanger sur leur situation réciproque. Mais entretemps Rose est redescendue à la cave pour tenter de trouver la clé du mystère de la maison. Elle se perd dans le labyrinthe et va se faire agresser par une forme obscure. Mark arrive donc à New York, l’immeuble où habite Rose lui parait bien étrange, il aurait été habité par Carl C. Jung. Il est reçu cependant par Carol, la concierge, qui lui dit qu’elle ne sait pas où est Rose, mais elle lui donne la clé. Il croise, au moment de rejoindre le quatrième étage, un vieux paralytique convoyé par une infirmière qui le pousse sans son fauteuil à roulette. Le vieil homme semble vouloir lui parler, mais il n’y arrive pas. Mark comprend par la suite qu’il s’est passé des choses bizarres dans l’appartement de sa sœur. La voisine, Elise, vient le voir en chemise de nuit et lui fait part de ses inquiétudes. Ils trouvent tous les deux des traces de sang. Mark va suivre ces traces qui à leur tour le mènent à la cave. Il s’y perd, s’en sort difficilement. Mais Elise est partie à sa recherche, et c’est elle qui va être happée par une force maléfique. Elle sera tuée. Pendant ce temps Kazanian collecte et noie tous les chats du quartiers. Mais cette fois ci, il tombe avec son sac. Il appelle au secours, un marchand de hot dog l’entend et se précipite au bord du fleuve. C’est pour tuer Kazanian de plusieurs coups de couteau dans le cou. 

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    A Rome dans un amphithéatre de musicologie, Mark rencontre une femme étrange 

    John le majordome d’Elise qui la drogue régulièrement, est en réalité de mèche avec Carol qui semble savoir que la jeune femme ne reviendra pas. Ils font main basse sur ses biens. Carol demande à John de téléphoner au mari d’Elise, mais le téléphone ne marchant pas, il va rejoindre l’appartement de Rose. Ce qui va lui coûter la vie. Carol part à la recherche de John, l’électricité ne fonctionnant pas, elle allume un bougie. Mettant le feu au rideau, elle va être happée par le feu. Mais tandis que l’immeuble commence à brûler, Mark, en regardant une image de la façade, a trouvé le passage secret et descend dans un nouveau labyrinthe. Là il va trouver Varelli, le faux professeur Arnold, dans une pièce étrange. Varelli tente de le tuer, mais c’est lui qui meurt. Il ne reste plus à Mark qu’à affronter la sorcière des lieux qui apparaît enfin sous les traits de l’infirmière roumaine d’Arnold. La bataille est rude, mais Mark sera sauvé par le feu et finira par sortir de l’immeuble tandis que les pompiers arrivent sur place. Ile ne retrouvera jamais ni sa sœur, ni Sara. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Dans les sous-sols de la bibliothèque, Sara tombe sur un alchimiste 

    La surcharge des événements mystérieux fait que le récit part un peu dans tous les sens. Contrairement à Suspiria qui était guidé par le comportement de Suzy, ici le récit est plus choral et manque cruellement de pivot. La plupart des personnages apparaissent et disparaissent sans qu’on sache très bien ce qu’ils sont devenus. Mais également ler scénario ouvre volontairement des fausses pistes, Kazanian qu’on pourrait croire impliqué dans des pratiques de sorcellerie, c’est qu’un misérable infirme dont le ressentiment le pousse à tuer des chats. Carol et John ne sont que des petits escrocs qui en veulent aux riches et qui veulent prendre leur revanche sur la vie en les dépouillant. Dans ce second opus sur les tre madri, il y a un échange serré entre les Etats-Unis et l’Italie, Rome plus précisément. Mark s’est exilé pour retrouver la grande musique, celle de Verdi. Et cela pose la question des rapports que peuvent entretenir le cinéma avec les autres arts, thème récurrent chez Dario Argento. L’art en général est présenté ici comme une catégorie morte. Ce sont des vieilles pierres, des architectures compliques, belles certainement, mais peu fonctionnelles et pleines de pièges. Les jeunes générations sont prisonnières du passé, les objets les fascinent, incapable de produire quelque chose qui ait la grandeur du passé de l’Italie par exemple. Les arts du passé sont l’inconscient d’aujourd’hui. Qu’on étudie Nabuco ou qu’on descende à la cave, c’est exactement la même chose, en explorant l’inconscient d’une maison ou d’une personne, on se perd dans le labyrinthe. Une idée intéressante, mais selon moi pas assez fouillée est cette maniaquerie des sorcières de traquer et d’éliminer le livre, comme si cette source de savoir était dangereuse pour leur pouvoir. On verra des mains gantées voler les livres sur les trois mères aussi bien dans la boutique de Kazanian que dans la vieille bibliothèque, ce qui justifie l’agression et le meurtre de Sara. Pourquoi s’attaquent-elles à la connaissance ? Certes pour ne pas être découvertes sans doute, mais plus généralement parce que le savoir détruit le mystère de la vie et engendre le vide. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Sara s’enfuie a nouveau 

    Et pourtant cette descende en enfer, inferno, fait partie des choses de la vie. C’est ce qu’on appelle en langage courant la curiosité. Rose, comme Elise, comme Sara, aucune n’y échappe. Elles savent pourtant que leur curiosité est dangereuse, mais elles persistent. Que cherchent-elles ? Passer dans un autre monde, fuir leur ennui, découvrir de nouvelles sensations, n’était-ce pas déjà le programme de l’Alice de Lewis Carroll ? Dès lors qu’on passe par le trou que Mark a creusé dans le parquet, ou qu’on descende les escaliers pour aller à la cave, c’est comme si on sortait du ventre de sa mère, on n’est plus à l’abri. La vie ne tient qu’à un fil. Les immeubles, qu’ils se trouvent à Rome ou à New York ont une personnalité propre. Argento aime ce style à la fois massif et rococo, avec des détails tarabiscotés qui semblent cacher des secrets inavouables. L’immeuble où habite Rose est totalement incongru par rapport à l’architecture générale de New York, elle est comme une défense de la tradition des sorcières qui se protègent contre l’envahissement du moderne.  Les façades et les fenêtres racontent une autre histoire que celle qui apparaît au premier abord. On remarque que le héros de ce récit s’appelle Mark, comme le personnage principal de Profondo rosso. Et comme lui il lit les immeubles dans leur intention. Il en trouve les secrets en démolissant les apparences. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Rose redescend à la cave 

    L’ensemble du film baigne dans une putréfaction latente, l’eau entraine le pourrissement et dans ce pourrissement, les bêtes maléfiques prospèrent. Le bestiaire d’Argento s’élargit, à côté des insectes, on trouve maintenant des chats et des rats. Ils semblent miner la ville et être alliés avec les sorcières. Les chats attaqueront Rose, et même si elle est semble-t-il achevé par un démon, ce sont bien les chats avec leurs griffes et leurs dents qui lui en veulent à mort. La sorcière qui apparaît sous la forme d’une jeune et belle étudiante dans le cours de musicologie, est accompagné d’un chat. Mais quand Mark découvre l’espace secret camouflé entre les étages de la maison de New York, il se comporte à son tour comme un animal qui rampe. Sa sœur sera aussi obligée de nager dans des eaux glauques où flottent des cadavres. Le film est très nocturne et cette ambiance particulière est soulignée par l’apparition fréquente de la lune. On meurt au clair de lune, et l’éclipse de la lune est aussi une manière de dénouer l’intrigue. Et quand la lune n’est pas là, c’est parce qu’il pleut. De la même manière que dans Suspiria, la pluie et le feu, interviennent dans l’histoire elle-même.  Ces éléments basiques qui désignent la vie et ses flux d’énergie sont aussi les signes potentiels de l’anéantissement promis par les sorcières. A la fin du film la sorcière dira, avant de disparaître dans le feu, qu’on a déjà brûler leurs maisons, mais qu’elles sont pourtant toujours là. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Mark est revenu à New York pour voir sa sœur 

    Un thème nouveau apparaît pourtant dans l’œuvre d’Argento, c’est celui de l’inceste. En effet, les événements plus ou moins horribles que raconte Rose dans la lettre à son frère existent d’abord pour inquiéter celui-ci et le ramener dans le giron familial. Pour cela Mark va tout abandonner, y compris Sara qui est en apparence son amoureuse et qui partage sa passion pour la musicologie. Mais le scénario est ainsi fait qu’on ne saura pas vraiment ce qu’est devenu Rose, on suppose qu’elle est morte, ce qui parait en contradiction avec la logique initiale de l’histoire qui voudrait qu’elle découvre la vérité. L’ensemble du récit utilise les formes spatiales habituelles du récit chez Argento. Les longs couloirs, les labyrinthes, les façades et leurs secrets. Les immeubles sont particulièrement bien choisis, mais dans la partie qui se passe à Rome, les couloirs sont prolongés par des formes urbaines qui désignent des circuits sans issue. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    La voisine de Rose vient voir Mark 

    Contrairement à son habitude, Argento utilise ici le format 1 : 1,85. Pourquoi avoir abandonné le cinémascope ? Peut-être pour s’adapter un peu mieux à la télévision puisque ce format est proche du 16/9. En tous les cas cela donne un aspect plus statique et bien moins de profondeur de champ que dans les films précédents. Le travail sur les couleurs est également différent. Certes on retrouve le rouge profond dans les couloirs, le hall d’entrée de l’immeuble de Rose. Mais il est clairement moins présent. Argento va jouer sur une opposition entre le bleu et le rouge, mais cette opposition apparaît plutôt dans les tons pastellisés, et non d’une manière violente. Ces contrastes entre les deux couleurs sont utilisés quand l’escalier devient important, ils accompagnent donc la descente aux enfers. Dans ces moments Argento retrouve les manières de filmer les contre-plongées comme on pouvait le faire jadis dans le cycle classique du film noir. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Mark explore la cave à nouveau 

    La conduite du récit pose deux problèmes, d’abord par sa fragmentation. Certes on peut dire qu’Argento vise à déshumaniser le drame et à mettre plutôt l’accent sur les forces des ténèbres, les sorcières ou leurs habitacles qui s’imposent comme des acteurs à part entière. Mais c’est plutôt insuffisant. Ça ne nous satisfait pas. En se perdant dans la description des faits et gestes des différents personnages, on finit par se désintéresser d’eux et ce qui devait être terrifiant ne l’est plus vraiment. Même en multipliant les effets grossiers, les coups de couteaux, les rats qui boulottent Kazanian, rien n’est vraiment effrayant. Le meurtre de Carlo sur la musique de Verdi devient grotesque. Mais plus encore, le rythme du film est étonnamment lent. Argento tire à la ligne, les meurtres sont souvent rallongés dans l’horreur, sans que ça apporte quelque chose en contrepartie. Tout se passe comme si le réalisateur avaient trop de personnages et ne sachant plus quoi en faire, il dilue leur personnalité dans leur mort. A vue de nez, sans récuser la trame de l’histoire, je dirais qu’il y a un bon quart d’heure en trop. Par exemple quand Kazanian est en train de se faire attaquer par les rats, il est plus efficace et plus surprenant de voir le marchand d’hamburgers venir le trucider que de contempler des flaques de sang. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Kazanian capture et noie des chats 

    L’interprétation est assez peu discutable. Leigh McCloskey est un acteur américain, une sorte de Robert Redford du pauvre, plutôt spécialisé dans les séries télévisées. Il incarne assez mollement d’ailleurs Mark Elliot. Il manque d’entrain manifestement, à moins qu’il n’ait pas bien compris dans quel genre de film il a été engagé. Les filles c’est bien mieux. D’abord Irene Miracle – quel nom – qui joue la sœur. Elle est très bien, quoiqu’on ne comprenne pas très bien la logique de son assassinat. La superbe Eleonora Giorgi est Sara. Elle est excellente, même si Argento s’amuse à la martyriser, à lui mouiller les cheveux. Daria Nicolodi a un petit rôle, celui de Elise, la comtesse droguée, mais elle est elle aussi très bien. Argento réutilise Alida Valli pour incarner la louche concierge de l’immeuble New York. L’inquiétant Sacha Pitoeff est Kazanian, le tueur de chat. Il a l’habitude de jouer des désaxés qui voudraient bien avoir l’air normal. Leopoldo Mastelloni dans le rôle du majordome est aussi très inquiétant, un mélange de tueur sadique et d’amateur de femmes mûres. On remarque une nouvelle fois Gabriele Lavia dans le rôle d’un autre Carlo. Il s’appelait déjà comme ça dans Profondo rosso. Mais ici son rôle est très étroit, il meurt rapidement. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    John est revenu dans l’appartement de Rose 

    La musique cette fois est moins fatigante pour le spectateur puisqu’elle est accrochée à Verdi. Mais l’ensemble est assez décevant tout de même et manque de cohésion, sa vient d’une grande dispersion dans le scénario, mais d’une indécision aussi dans la mise en scène, l’ennui dégagé par l’histoire reste tout de même compensé par des éléments innovants. Cependant le film connut tout de même un bon succès, même s’il n’atteint pas les sommets de Suspiria, le box office italien d’Inferno était tout de même quatre fois moins important que celui de Suspiria. Il est vrai qu’à cette époque le cinéma italien commençait sa descente aux enfers. 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Mark a trouvé un passage secret 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Mark voit le professeur Arnold 

    Inferno, Dario Argento, 1980

    Mark doit affronter une sorcière alors que la maison flambe 

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