• Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965

     Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965

    Dans les années soixante, James Hadley Chase était la locomotive de la Série noire. C’était à tel point que ses ouvrages étaient d’abord traduits et publiés en français, avant que de l’être dans sa langue natale. Aussi les adaptations cinématographiques ont été très nombreuses, le plus souvent médiocres, parfois excellentes comme Chair de poule de Julien Duvivier[1]. James Hadley Chase apparait très souvent comme une idée paresseuse pour monter un film. Ici c’est Jacques Deray qui s’y colle. Et en prime il bénéficie de l’apport de Jean-Paul Belmondo qui, en 1965, était en train de devenir une immense vedette populaire. Par un beau matin d’été est curieusement oublié dans la filmographie de Belmondo. Il est vrai que ce film n’a pas été souvent réédité en DVD, et la dernière édition en numérique date de 2006. C’est pourtant un film noir, un vrai, dans lequel Belmondo ne cabotine pas trop. On a souvent accusé Jacques Deray d’être juste un cinéaste au service de grosses vedettes, autrement dit mettant son talent à la disposition d’un projet qui n’était pas le sien. Cela me semble erroné, dans la mesure où son œuvre a été le plus souvent en cohérence avec l’idée qu’il pouvait se faire du film noir. Ce film est tourné tout juste après Symphonie pour un massacre[2], film qui a mis en valeur la rigueur de méthode de Jacques Deray et qui l’a installé comme un bon réalisateur de films noirs. Belmondo quant à lui se cherche. Il est assez attiré par le film noir comme le montre sa collaboration avec Jean-Pierre Melville sur Le doulos et sur L’ainé des Ferchaux, mais il a aussi connu d’énormes succès publics avec le très médiocre L’homme de Rio, Cartouche ou encore Week-end à Zuydcoote et Cent mille dollars au soleil d’Henri Verneuil. On sait que sa carrière va par la suite s’orienter vers des rôles plus ou moins comiques, sautillants, et se perdre vers des guignolades sans intérêt autre que de faire de l’argent, revenant de temps à autre vers des projets un peu plus ambitieux, mais de plus en plus rares au fil du temps. Mais en 1965, il a encore malgré tout la réputation d’un acteur sérieux pour cinéma d’auteur, et il tourne beaucoup : quatre films en 1964, six films en 1965. Le budget est ici assez conséquent, et en faisant appel au prolifique Michel Audiard pour les dialogues on vise clairement un grand succès commercial. 

    Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    Francis et sa sœur Monique vivent sur la Côte d’Azur de petites arnaques. Monique est une entôleuse de profession et c’est Francis qui couvre ses arrières en faisant raquer le client de la fausse pute. De l’autre côté, Frank Kramer a besoin de fric et pour se couvrir rapidement, il va monter une affaire de kidnapping. Pour cela il se met en relation avec Zegetti, un patron de bar qui végète en veillant sur sa vieille maman. C’est lui qui va présenter Francis à Kramer qui accepte le job pour 5 millions de francs. Le coup doit avoir lieu en Espagne. Francis va s’introduire dans une maison des Dermott, un peintre et sa femme qui vivent avec leur jeune fils dans une maison isolée. Il les prend en otage. Pendant ce temps Zegetti et Monique vont enlever Zelda, la fille du très riche Van Willie. Dermott va être obligé de se charger de négocier la rançon. Mais les choses ne marchent pas comme elles le devraient. Zegetti est inquiet, parce que sa vieille maman a été hospitalisée. Cette inquiétude va le mener à boire, puis à faire des bêtises. Il commence par se disputer avec Francis qui a entamé une relation amicale avec la kidnappée, après avoir toutefois eut une violente dispute avec elle. Monique commence aussi à être jalouse de Zelda. Mais il faut bien attendre l’argent que Van Willie a été chercher à Madrid. Mais les pépins vont arriver avec l’intervention inopinée d’un employé du téléphone qui vient réparer la ligne. De maladresse en maladresse, le technicien qui a aperçu le révolver de Zegettti, va tenter de prendre la fuite sur sa mobylette. Zegetti l’abat. Il n’est pourtant pas mort et la femme de Dermott suggère de faire intervenir un médecin. Du temps que le médecin arrive, une dispute éclate encore entre Francis et Zegetti. Monique est blessée, et Zegetti est mort. Francis déménage Zelda dans une autre maison éloignée, tandis que la police arrive. Francis va retrouver Kramer qui veut tout abandonner, et il insiste pour que Dermott attende le retour de Van Willie. Kramer et Francis vont récupérer l’argent, tandis que Van Willie est pris en charge par la police qui commence à démêler l’écheveau de cette sombre affaire. Dans les toilettes de l’aéroport, Kramer et Francis partagent l’argent. Kramer prend l’avion, mais la femme de Dermott a retrouvé son mari qui balance tout à la police. Kramer sera arrêté avant que l’avion ne décolle. Francis revient sur les lieux où sont restées Monique et Zelda. C’est pour apprendre la mort de sa sœur, choqué par ce nouveau coup du sort, il fait partir Zelda et reste seul. 

    Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    Kramer vient demander des comptes à Lucas 

    Ils se sont mis à six pour produire ce scénario bancal, et c’est sans doute cela qui fait qu’on ne comprend pas trop où tout cela veut en venir. Les dialogues à tiroir d’Audiard n’arrangent rien, ils plombent l’affaire de longues réflexions oiseuses et redondantes. Il y a évidemment le thème d’une relation un peu incestueuse entre un frère et une sœur qui, on le comprend, ont vécu une jeunesse pénible, ce sont des défavorisés de la vie qui cherchent à prendre leur revanche sur la société en montant des arnaques à la petite semaine. Mais ce thème est à peine effleuré, on passe assez vite sur la jalousie réciproque des deux frangins. Ensuite il y a ce couple, un peu bourgeois, un peu artiste, qui se trouve confronter à ses propres égoïsmes. Vivant à l’écart de la société, ils se trouvent dérangés par ces intrus qui vont les prendre en otages. Mais là encore ce thème est assez mal développé. Le personnage de Zegetti est un peu trop caricatural pour que ça nous intéresse vraiment. Le film est relativement nom pour l’épaisseur du sujet. Il y a de nombreuses scènes inutiles, comme Belmondo en train de faire du parachute ascensionnel, ou encore la confrontation entre Lucas et Kramer. Lucas promet de rendre l’argent. Puis, tout soudain, on passe à Kramer en train de monter le kidnapping. Qu’est devenu Lucas ? Mystère ! comme on le voit l’affaire est plombée d’entrée de jeu par un scénario tarabiscoté qui part dans tous les sens. L’idée de base est celle d’un double kidnapping, mais alors que cela devrait renforcer la dramatisation, les Dermott finissant par presque sympathiser avec les gangsters, ça tombe à plat. Cette idée du syndrome de Stockholm aurait pu aussi être exploitée à partir de la relation qui s’ébauche d’abord entre Francis et Consuelo, puis entre Francis et Consuelo. Mais rien n’est abouti. 

    Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    Zegetti et Kramer présente le coup à Francis 

    C’est une coproduction italo-franco-espagnole. Ce qui fait que pour des raisons budgétaires on va tourner en Espagne, dans des lieux sans trop d’intérêt. On hésite entre le dépliant touristique – à l’époque les Français aiment passer leurs vacances en Espagne – et le pays accablé de chaleur. Le film hésitant entre la déconnade genre dans lequel se spécialisera par la suite Belmondo, et le film noir, c’est dur de mettre en scène efficacement un tel scénario. Néanmoins, il reste quelques bonnes scènes – trop rares selon moi. Par exemple, Zegetti allant acheter du poisson sur le marché de Nice, où les scènes d’action qui se passent dans les escaliers de la maison des Dermott. Dans l’ensemble ça se traine et s’éparpille et l’émotion n’est pas au rendez-vous. Quel intérêt y a-t-il à filmer les conversations de Zegetti dans un bistrot espagnol ? La photo n’aide pas vraiment, trop propre sur elle, elle ne recèle jamais de mystère. C’est un peu compensé tout de même par de beaux mouvements d’appareil, ou par des plans en contre-plongée qui donne un peu de nerf au film. 

    Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    Francis s’est introduit dans la maison de Dermott 

    La distribution est plus intéressante. Certes le film est un véhicule pour Belmondo. Mais il est assez inégal. Il a l’air de s’en foutre un peu à vrai dire. Il est comme absent. De temps en temps il se pend par les bras à un arbre sans qu’on comprenne très bien pourquoi. Il cabotine de façon éhontée dans les scènes où Monique joue les entôleuses. Il a cependant une vraie présence. Sophie Daumier qui a l’époque figurait la jeune génération montante des blondes destinées à remplacer Brigitte Bardot, n’est pas très convaincante dans le rôle de Monique. Elle surjoue, bouge dans tous les sens, hésitante entre le drame et la comédie. Georges Géret est bien meilleur dans le rôle de Zegetti. Mais il n’a jamais été mauvais, même dans des rôles un peu bâclés par les scénaristes. La coproduction fait que le couple Dermott est incarné par l’Italien Gabriele Ferzetti, remarquablement constant dans la raideur paresseuse et l’Espagnole d’origine argentine Analia Gadé qui n’a pas l’air de comprendre l’histoire. Heureusement les seconds rôles sont bien meilleurs. Akim Tamiroff incarne le cerveau de l’affaire, Frank Kramer. Malgré sa petite taille, il a une présence incroyable. Dans le début du film il est confronté à un autre second rôle de génie, Jacques Monod, qui incarne le cauteleux Lucas. Rien que pour ces deux-là, le film vaut le déplacement. J’aime bien aussi Claude Cerval dans le rôle du client de Monique. Adolfo Celi est le riche Van Willie, acteur de second rôle qui a tourné dans toute l’Europe, il n’a pas ici grand-chose à faire, mais disons qu’il le fait bien. Enfin il y a Géraldine Chaplin dans le rôle de Zelda. C’était son premier film, elle en fera bien d’autres. Elle est pas mal du tout dans ce rôle de l’adolescente qui se transforme au fil de l’épreuve de son enlèvement. Notez également qu’on peut voir Jacques Higelin sur la plage en train de compter fleurette à Sophie Daumier. 

    Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    Francis remonte le moral de Kramer 

    Bien qu’il n’ait pas été mal accueilli par le public, il a même fait un score supérieur en salles à L’aîné de Ferchaux et au Doulos qui sur la durée se sont très largement imposés, il n’a pas reçu d’éloges de la part de la critique, et Jacques Deray était très déçu du résultat de son travail. C’est un film qui s’est un peu perdu. Il y a d’autres films de Belmondo qui sont oubliés, comme par exemple Mare matto de Renato Castellani, mais qui valent le coup d’être redécouverts. Ce n’est pas le cas de Par un beau matin d’été. On peut l’oublier, ou le revoir avec la nostalgie qui va avec pour une époque où Belmondo était encore jeune, et nous aussi, et le monde paraissait bien plus simple qu’aujourd’hui. Signalons tout de même la bonne musique de Michel Magne.

     Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    A l’aéroport ils partagent le pognon de la rançon 

    Jacques Deray, Par un beau matin d’été, 1965 

    Monique est morte



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/chair-de-poule-julien-duvivier-1963-a119337556 

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/symphonie-pour-un-massacre-jacques-deray-1963-a145045704 

    « Edward Anderson, Il ne pleuvra pas toujours, Rieder, 1938Jacques Deray, Avec la peau des autres, 1966 »
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  • Commentaires

    1
    Grekosuisse
    Samedi 23 Mai 2020 à 11:44
    Vu hier soir j’ai bien aimé Belmondo jeune moins magneré et Géraldine très touchante, je n’ai pas vu le temps passé
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