• James Crumley, Fausse piste, The wrong case, 1975, réédtion Gallmeister, 2016

     James Crumley, Fausse piste, The wrong case, 1975, réédtion Gallmeister, 2016

    Un des éléments singuliers des romans noirs américains post-soixante-huitards est d’écrire le désenchantement et la fin de l’espérance en des lendemains meilleurs. L’alcool n’est plus ludique, ni même une béquille, c’est une fin en soi pour contempler la vie d’une autre façon et pour la tolérer. James Crumley passe en effet plus de temps à décrire les plaisirs louches que l’alcool procure plutôt qu’à construire une histoire.  Fausse piste est le premier volume des aventures du détective privé, Milo Milodragovitch.  Ecrit au début des années soixante-dix il épouse parfaitement son époque. Si je le mets dans une perspective historique, c’est un peu la queue de la comète en matière d’histoire de détective. Il est dans la lignée chandlerienne, et sans doute encore plus met-il ses pas dans ceux de Ross MacDonald. Ross Macdonald que Gallmeister d’efforce de rééditer est un auteur qui, en France du moins, n’a pas le prestige d’un Chandler ou d’un Hammett. Mais pourtant aux Etats-Unis il est considéré comme un très grand du roman noir et du roman de détective. Pour en avoir souvent discuter avec des amis qui s’y connaissent dans le roman noir, je n’ai jamais trop compris pourquoi Ross Macdonald était si sous-estimé chez nous. Fausse piste s’ouvre d’ailleurs sur une citation de cet auteur. Crumley, c’est un peu la queue de la comète du roman de détective.  Robert B. Parker avec la création du personnage de Spenser l’accompagnera dans cette quête des origines, mais sans doute avec un peu moins ce côté destroy qu’on trouve chez Crumley et qui plait beaucoup.  Spenser boit très modérément des vins français, Milo du whisky avec de la bière du matin jusqu’au soir. Spenser fait de la musculation et de la course à pied, Milo en serait bien incapable. Le premier est amoureux qu’une seule personne, Susan Silverman, une intellectuelle, le second tire tout ce qui passe à sa portée. On voit donc qu’à cette époque le personnage du détective se trouve sur le fil du rasoir. Marlowe le personnage créé par Chandler voulait mettre de l’ordre dans un monde chaotique, Spenser aussi, mais Milo a abandonné cette idée. Il cherche juste à plonger dedans et s’y abimer. 

    James Crumley, Fausse piste, The wrong case, 1975, réédtion Gallmeister, 2016 

    Missoula, le modèle de Meriwether 

    L’histoire se passe à Meriwether, en fait le cadre est celui de Missoula où vivait Crumley. Cela lui permettra de stigmatiser l’évolution de ces contrées montagneuses vers le tourisme, considéré par lui comme la plaie de l’humanité. L’évolution des mœurs est une occasion de gémissements. Crumley regrette les bars et les ivrognes de son temps qui formaient une sorte de famille. L’alcool ayant été remplacée outrageusement par la drogue. Meriwether a été investi par des transplantés qui viennent souvent de zones plus urbanisées et qui cherchent des lieux moins pollués, plus authentiques. Le début de l’histoire ressemble à The little sister une autre référence à Chandler qui à mon sens n’est pas innocente.  

    L’intrigue ne casse pas les briques, on sait tout de suite qui est le coupable du meurtre du jeune Duffy. Après tout c’est un premier roman. Mais sans doute ce n’est pas le problème de Crumley. Il se sert manifestement de la logique du roman de détective pour porter un regard critique sur une société bienpensante imprégnée de mercantilisme et d’attitudes fausses. A cette modernité dérisoire, il oppose l’ivrognerie comme programme. Il recopie la leçon de son père :

    « — Fils, dit-il sans préambule, ne fais jamais confiance à un homme qui ne boit pas, parce que tu peux être sûr que c’est un bien-pensant, quelqu’un qui sait toujours où est le bien et où est le mal. Certains de ces hommes sont bons, mais, au nom de la bonté, ils sont la cause de l’essentiel des souffrances de ce monde. Ils se posent en juges, se mêlent de tout. Et aussi, fils, ne fais jamais confiance à un homme qui boit mais refuse de s’enivrer. Ces hommes-là sont souvent effrayés par quelque chose de très profond en eux. Ils ont peur d’être lâches, ou d’être idiots, ou d’être méchants et violents. Tu ne peux pas faire confiance à un homme qui a peur de lui-même. Mais parfois, fils, parfois tu pourras faire confiance à un homme à qui il peut arriver de s’agenouiller devant une cuvette de toilettes. Il y a des chances pour qu’au passage il apprenne quelques trucs à propos de l’humilité, à propos de sa part de stupidité humaine naturelle, et à propos de l’attitude qui pourrait lui permettre de se survivre à lui-même. C’est foutrement dur de se prendre trop au sérieux quand tu vomis tes tripes dans une cuvette de toilettes sale. »

    Cette ivrognerie lui permet cependant aussi d’assumer des actes violents, allant jusqu’à tuer ceux qui s’en prennent à lui. Il y a une manière d’écrire assez curieuse puisque quand Nickie meurt, on croit que c’est Milo qui l’a tué alors qu’il est simplement mort de peur ! L’alcool permet aussi à Milo d’affronter sans trop de peur la mafia locale à qui il se permet de faire la leçon. Là encore c’est une sorte d’héritage de Chandler, le détective respecte le crime organisé quand il est sérieux, mais un peu moins quand il dérape et déborde de toute logique.

    Si Milo boit comme un trou, sans trop chercher à déguster des alcools fins, il baise aussi tout ce qu’il rencontre pourvu que ce soit une fille qui ne le trouve pas trop moche ! Ce qui n’empêche pas toutefois les sentiments ! C’est cependant clairement un homme du passé qui regrette l’innocence du monde sans toutefois poétiser celle-ci. Il célèbre l’amitié des ivrognes qui se retrouvent au Mahoney, une sorte de caverne sale et empuantie, enfumée et sans avenir. Le bistrot lui-même est un visage du passé dans la mesure où aujourd’hui on ne sert de l’alcool que dans des verres bien lavés, derrière un comptoir bien astiqué et avec le sourire du patron en prime. C’est depuis ce repère obscur qu’il s’oppose au véritable crime sans morale ! 

    James Crumley, Fausse piste, The wrong case, 1975, réédtion Gallmeister, 2016

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