• Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954

      Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954

    Lewis Allen est un réalisateur assez peu connu. On lui doit pourtant quelques films intéressants. Des films noirs avec Alan Ladd, Desert Fury en 1947 avec Burt Lancaster, Elizabeth Scott et John Hodiak, ou encore l’excellent Illegal qu’il tournera avec Edward G. Robinson et Jayne Mansfield[1]. Suddenly bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance tardive parce qu’il traite d’un tueur psychopathe au-delà de la question du bien et du mal, comme quelqu’un qui compense ses propres souffrances résultant de traumatismes anciens dans le meurtre tarifé. Allen est plutôt à l’aise dans les ambiances tendues qui saisissent des personnes ordinaires dans des situations qu’ils n’ont jamais prévu d’affronter. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Le shérif Tod Shaw aime passer du temps avec Pete 

    Le shérif Tod Shaw s’occupe de la petite ville fictive de Suddenly où il ne se passe rien. Il est amoureux de la veuve Ellen Benson qui a un fils et qui ne veut rien savoir, prétendant que son mari ne saurait être remplacé par qui que ce soit. Tod aime pourtant le jeune Pete Benson comme un fils et rêve de fonder une vraie famille. Au milieu de cette vie paisible, va surgir un drame. En effet le président des Etats-Unis doit s’arrêter dans la ville. De nombreuses précautions sont prises pour assurer sa sécurité. Tandis que les agents du FBI coopèrent avec Tod dans une ambiance assez sereine, de faux G Men vont s’introduire chez Ellen été son beau-père. En effet sa maison a la particularité de dominer la petite ville et donc de fournir une position favorable pour assassiner le président. Ces trois hommes sont conduits par Baron, un ancien vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui se flatte d’avoir tué de nombreuses fois. Rapidement ils mettent la maison sous contrôle. Bientôt ils piègeront Tod et Dan Carney, le responsable de la sécurité qu’ils abattent. Tod a le bras cassé. Dès lors ils vont attendre l’arrivée du train, tandis que Tod et le beau-père d’Ellen tentent de trouver une solution pour sortir de ce piège. Bien entendu les bandits seront abattus, mais le train ne s’arrêtera finalement pas dans la ville et Ellen cédera aux avances de Tod. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Tod tente de convaincre Ellen de sortir avec lui 

    Un tel scénario peut se lire de différentes manières. D’abord comme le portrait d’un psychopathe hanté par les souvenirs de la guerre. On comprend bien que la passion que Baron a pour les armes à pour les armes à feu est malsaine, résultant principalement de son sentiment d’insécurité, de son impuissance pourrait-on dire. C’est donc une étude psychologique d’un tueur qui est devenu ce qu’il, un homme sans sentiment humain véritable par la faute des circonstances. Ensuite il y a la difficulté pour une famille, une communauté de se défendre et de persister dans un modèle ancien. On peut voir donc aussi ce film comme l’échec d’un modèle, d’un idéal, l’annonce de la désagrégation même de l’Amérique. Et puis il y aussi le meurtre annoncé du président. Celui-ci n’a pas de réalité, il est l’institution suprême qu’on doit préserver. Ainsi les habitants de Suddenly sont très excités par cette visite qui est pour une marque d’honneur, mais ils vont aussi se mettre en quatre pour bien le recevoir, puis pour le protéger comme le représentant d’une communauté relativement homogène. Beaucoup de critiques américains y ont vu également une réflexion sur les armes à feu. Ellen tente d’interdire à son fils de jouer avec des révolvers, fussent-ils des jouets. Mais Tod au contraire l’encourage dans cette voie-là, arguant qu’on ne peut pas combattre ce qu’on ne connait pas et que parfois c’est une nécessité que de s’en servir. On peut voir également l’arrivée programmée du président et de tous les tracas que cela emmène comme l’intrusion d’une modernité peu souhaitable et souhaitée. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Des hommes se présentant comme agents du FBI frappent à la porte 

    Bien entendu il y a aussi l’aspect Maison des otages, le film de William Wyler avec Humphrey Bogart qui a été tourné par la suite, en 1955. Des truands qui s’immiscent dans un univers familial et ordinaire et qui le bouleversent. La parenté entre les deux films semble prouver que le thème d’une famille isolée prise en otage soit dans l’air du temps, mais aussi sans doute que le film de Lewis Allen ait été le modèle de celui de Wyler. Dans les deux cas on n’échappe pas à une certaine théâtralité. Le film de Wyler s’inspirait d’ailleurs d’une pièce de théâtre à succès. Cette approche est assez difficile à analyser, puisqu’en effet on ne sait si le but est de protéger la famille comme dernière instance de la civilisation, ou si au contraire c’est le constat d’un échec, la famille n’étant pas adaptée aux formes modernes de la vie sociale vers lesquelles on se dirige rapidement. Le personnage d’Ellen apparait comme particulièrement handicapé, engoncé dans la défense d’un idéal qui n’existe plus aussi bien parce que son mari est mort à la guerre que parce qu’elle se retrouve incapable de prendre une décision positive en quoi que ce soit. Baron la mettra au défi de lui tirer dessus en lui donnant son révolver qu’elle laissera tomber lamentablement. On peut voir aussi le film comme un discours sur l’impuissance. Celle de Baron est évidente à travers son amour pour les armes, il caresse son fusil comme son propre sexe. Celle de Tod l’est moins, mais enfin, il a le bras cassé et se trouve confiné la moitié du film dans un rôle extrêmement passif, son grand corps posé sur le canapé du salon. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Baron explique qu’il est là pour protéger le président 

    Malgré les bonnes critiques qu’il reçoit aujourd’hui, le film a été un échec critique et public au moment de sa sortie. On peut le comprendre parce qu’il ne se passe rien ou pas grand-chose, et que malgré sa faible durée, 74 minutes, il est extraordinairement bavard. Baron qui se présente comme un professionnel de l’assassinat tarifé, expose en long, en large été en travers les bonnes raisons qui l’animent. C’est un peu lourd lorsqu’il nous explique qu’il a appris à tuer pour le compte de l’oncle Sam et qu’ensuite il s’est perfectionné pour se faire de l’argent. On n’imagine absolument pas un tueur professionnel, surtout s’il est payé par des gens très riches et très avisés, faire de telles confidences ridicules qui le rendent peu crédible. Mais évidemment il y a d’autres qualités stylistiques. Une très bonne utilisation des décors qui permet de faire sentir la menace de ces trois hommes arrivés de nulle part sur une petite ville qui semble concentrer en elle toutes les raisons de vivre heureux. Il y a aussi cette manière de se saisir de la position de la maison comme surélevée par rapport à la ville, et encore aussi la grande fluidité des mouvements de caméra dans les espaces confinés de la petite maison d’Ellen. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Baron a une louche passion pour les armes à feu 

    L’interprétation de Frank Sinatra dans le rôle un peu inhabituel pour lui d’un psychopathe a été souvent saluée. Je n’y suis pas trop sensible, il me semble qu’il en fait des tonnes, qu’il tord un peu trop sa figure dans des grimaces invraisemblables qui manifestent les souffrances qu’il endure. Il sera d’ailleurs bien plus sobre dans la suite de sa carrière cinématographique. A cette époque il était encore très mince, d’une remarquable maigreur maladive même. Il est ici opposé au massif Sterling Hayden qui a tourné un grand nombre de films noirs de grande qualité. Celui-ci est comme toujours très bon, donnant dans la simplicité bourrue, dominant de sa haute taille presque toute la population de la ville. Il incarne le shérif Tod, sûr de lui et obstiné. Ellen est interprétée par Nancy Gates qui a l’air tellement bornée qu’on se demande vraiment comment un homme normalement constitué peut s’intéresser à cette fille sans charme et revêche. C’est pourtant elle et pas le shérif qui va rétablir l’ordre en abattant finalement Baron. James Gleason incarne le beau-père d’Ellen avec aussi beaucoup de lourdeur été un manque de grâce évident. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Tod doit se plier à la loi de Baron 

    De sombres histoires d’héritage et d'ayant-droit avaient conduit ce film à être retiré de la circulation. Cela a alimenté les rumeurs selon lesquelles Sinatra l’aurait fait retirer de la circulation à cause de la proximité du film avec l’assassinat de Kennedy. Parmi les autres rumeurs infondées, on a prétendu que Lee Oswald avait vu ce film avant de tirer sur le président. Par contre il est assez curieux que Sinatra ait accepté de tourner à nouveau un film sur ce thème de l’assassinat d’un président, mais cette fois cela donnera le très excellent The manchurian candidate de John Frankenheimer en 1962 et ce sera un succès. 

    Je dois tuer, Suddenly, Lewis Allen, 1954 

    Bart est interpelé par l’adjoint de Tod 

    C’est un film qu’on peut voir, mais qui déçoit un peu. Il s’inscrit dans une assez longue lignée de ces films noirs centrés sur un tueur psychopathe armé d’un fusil à longue portée parmi lesquels on retiendra The sniper d’Edward Dmytryk qui date de 1952[2], ou encore The day of the Jackal du très sous-estimé Fred Zinneman en 1973.

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-temoin-a-abattre-illegal-lewis-allen-1955-a119627864

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-sniper-l-homme-a-l-affut-edward-dmytryk-1952-a114844918

    « Police spéciale, The naked kiss, Samuel Fuller, 1964L’assassin sans visage, Follow me quietly, Richard Fleischer, 1949 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :