• Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947

    Bien que le film soi signé du cosmopolite Alberto Cavalcanti, c’est un film typiquement britannique. Il faut resituer d’abord ce film dans le contexte de l’immédiat après-guerre où la reconstruction de l’Angleterre a engendré beaucoup d’espoir mais aussi beaucoup de frustration, avec la pénurie et le marché noir qui va avec. Vers cette époque les Anglais qui n’ont jamais eu une cinématographie importante, ont donné quelques films noirs très intéressants, par exemple Il pleut toujours le dimanche dont nous avons parlé ici même, qui date de la même année et qui comportait de nombreuses similitudes avec They made me a fugitive[1]. Il y a une manière de filmer qui se veut réaliste et qui peut être considérée comme le pendant du néo-réalisme italien, bien que ce soit tourné en studio. Il y a également un grand cynisme dans ces films et une tendance à exposer le sordide des bas-fonds de Soho.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Derrière une entreprise de funérailles se cache un trafic bien organisé 

    Clem Morgan est un ancien pilote de la RAF, un héros, qui s’ennuie la guerre finie, et pour rompre avec le quotidien, plutôt que de chercher un job honnête, va s’introduire dans une bande de trafiquants sans scrupules qui sont organisés autour de Narcy et de son commerce de funérailles. Il prend cette activité comme un amusement. Ce trafic n’est pas un simple jeu : Clem qui veut bien trafiquer, mais pas de la drogue, va être trahi et livré à la police par Narcy qui en profite pour lui souffler sa fiancée. Condamné à 15 ans pour la mort d’un policier, Clem va être contacté par la belle Sally qui rêve de se venger de Narcy qui l’a délaissée pour se mettre en ménage avec Ellen, l’ex de Clem. Celui-ci va réussir à s’évader et va tenter de faire la preuve de son innocence tout en se vengeant de Narcy. Sur ce chemin très escarpé, les pièges seront nombreux puisqu’il est poursuivi aussi bien par la police que par la bande de Narcy.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    En prison Clem reçoit la visite de Sally 

    Cette trame en vaut une autre, et tout va se jouer sur les détails du scénario comme de la mise en scène. Jusqu’à la fin on pense que cette histoire devrait bien se terminer pour Clem qui a toute la sympathie de la police qui le croit innocent du meurtre de l’agent de police. Mais cela ne se passe pas ainsi. La réalité est toujours plus noire qu’on le croit : il n’y aura pas d’issue. Bien que Sally et Clem manifestent une attirance l’un pour l’autre, ils sont également motivés par un désir de vengeance ambiguë. Narcy se révèle par contre entièrement cruel et sournois, tout d’une pièce, il n’y a rien à sauver chez lui. Il y a un souci de réalisme important dans la description d’une pègre veule et besogneuse, avec ses petites mains, ces petites lâchetés aussi. La police utilise également une drôle de méthode pour travailler, toujours un peu en retard, elle se contente de compter les points en affichant un flegme pour le coup tout à fait britannique. La description de l’évasion est pleine de rebondissements : c’est d’abord cette femme qui veut que Clem assassine son mari alcoolique, son histoire dans l’histoire sera curieusement abandonnée au cours du film sans qu’on sache très bien pourquoi, puis c’est un étrange camionneur qui le prend en stop.

    Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947  

    Narcy demande des comptes à Sally 

    Le film est sombre, très sombre et pluvieux, sans doute pour mieux en renforcer le caractère britannique. L’atmosphère est claustrophobique. Et cet aspect glauque est renforcé par le trafic qui a lieu au sein de la boutique d’articles funéraires. C’est filmé en plans plutôt serrés et les plans larges sont peu nombreux. Cela permet à Cavalcanti de s’attarder sur les visages et de jouer sur les expressions. C’est d’ailleurs ce qui le différencie des films noirs américains où les grimaces importent moins que la gestuelle et la position des corps. Les bouges qui sont filmés n’ont rien de glamour, dans ces espaces étriqués se presse toute une faune suante et grinçante. D’ailleurs tous les lieux visités transpirent la pauvreté. Le budget n’ayant sans doute pas été très important, il y a des ellipses curieuses dans l’histoire. Par exemple le fait que l’évasion proprement dite n’ait pas été filmée, ou que l’on ne s’attarde pas sur la façon dont Clem se débarrasse du camionneur bavard. Mais ce n’est pas gênant.

    Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947  

    Clem va trouver de l’aide chez Sally 

    Trevor Howard est Clem Morgan. C’est un excellent acteur qui n’avait pas encore composé le personnage de militaire u Troisième homme qui lui collera à la peau et qu’il reprendra maintes et maintes fois par la suite. Il met beaucoup d’énergie et de cynisme dans son rôle. Sally Gray est Sally. Elle est bien, mais sans plus. Ce sont les deux seuls acteurs qui ont un peu d’allure. Le reste de la distribution est très britannique, avec des physiques assez difficiles qui passent plutôt mal à l’écran. Griffith Jones est insipide dans le rôle de  Narcy. Vida Hope dans le rôle de cette femme étrange qui rêve de la mort de son mari est par contre étonnante, emmenant avec elle une folie froide qui glace le spectateur. Les membres de la bande de Narcy ont des bonnes têtes patibulaires à souhait. Mais l’ensemble du jeu est un peu trop théâtral.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Les hommes de Narcy veulent retrouver  Soapy 

    Bien que très britannique dans sa manière d’être filmé – Cavalcanti était d’origine brésilienne, il avait fait une carrière en France avant de s’installer en Angleterre – cette œuvre prouve le caractère universel du film noir qui s’adapte bien à des cultures différentes pour peu qu’elles partagent un peu de modernité. Il est donc un peu plus qu’une curiosité.

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Cora est recherchée de partout

     Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947 

    Sur les toits luisant de pluie, l’explication finale va avoir lieu

    Je suis un fugitif, They made me a fugitive, Alberto Cavalcanti, 1947


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/il-pleut-toujours-le-dimanche-it-s-allway-rains-on-sunday-robert-hamer-a114844854

    « Le témoin à abattre, Illegal, Lewis Allen, 1955Sicario, Denis Villeneuve, 2015 »
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