• Jean Contrucci, L’affaire de la Soubeyranne, Lattes, 2015

     Jean Contrucci, L’affaire de la Soubeyranne, Lattes, 2015

    Nous sommes en 1909. L’enquête menée conjointement par Raoul Signoret, reporter au Petit Provençal et son oncle chef de la police marseillaise qu’il dirige depuis l’Evêché, démarre sur des cadavres d’enfants qui ont été découverts dans une grotte qu’on a murée. Rapidement un riche colonial qui s’est installé récemment à Château Gombert va être soupçonné, si ce n’est des meurtres proprement dits, d’être impliqué dans des histoires sexuelles avec des jeunes enfants. L’enquête nous mènera dans les recoins sombres de l’immigration italienne et des trafics d’enfants qui l’accompagnent. De Château Gombert on passera à la Capelette, donc d’un univers encore un peu campagnard à un quartier pauvre et insalubre qui fournit l’industrie locale en main d’œuvre bon marché. Bien que ce ne soit pas le plus important, l’énigme est assez bien tournée et contient le nombre voulu de fausses pistes et de retournements impromptus. Ce qui fait qu’on ne lâche pas l’ouvrage avant de l’avoir fini.

    C’est le douzième opus des aventures du héros, le reporter Raoul Signoret. On a rapproché la série créée par Contrucci du roman d’Emile Zola, Les mystères de Marseille, qui est contemporain des aventures de Signoret. Ce n’est pas faux, mais on pourrait aussi dresser le parallèle entre cette série et celle que Léo Malet avait créée et intitulée Les nouveaux mystères de Paris. En effet comme Léo Malet, Contrucci concentre son attention à chaque épisode sur un quartier particulier de la ville. Malet avait l’ambition d’écrire 20 chapitres à sa saga, mais il abandonnera au bout de 15. Espérons que Contrucci pourra continuer encore longtemps son entreprise.

    Dans les deux cas, il s’agit de faire ressortir les particularités de la ville dans ses différences. Marseille étant la plus grande commune urbaine de France, chaque arrondissement présente toujours un éloignement et une spécificité par rapport au reste de la ville. C’est encore vrai aujourd’hui, l’Estaque ce n’est pas Château Gombert, et Château Gombert ce n’est pas La Pointe Rouge. Mais bien sûr à l’époque décrite par Contrucci les différences étaient bien plus marquées parce que les transports étaient plus lents et donc l’espace plus morcelé, et que la ville était encore occupée ici et là par des espaces maraîchers. Ce qui fait que l’espace marseillais ressemblait à un puzzle, une addition de petits villages en quelque sorte.  

     Jean Contrucci, L’affaire de la Soubeyranne, Lattes, 2015

    Le dernier épisode des Nouveaux mystères de Marseille se passe principalement, malgré les incursions qu’on fera à la Capelette et au cabanon d’Eugène Baruteau, à Château Gombert, un village qui est resté assez longtemps à l’écart du tumulte marseillais. C’est ici qu’est né notre ami René Frégni par exemple, mais c’est aussi ici que les Marseillais venaient du centre de la ville pour se ressourcer un peu, respirer un air un peu moins pollué, certains y possédaient des résidences secondaires où leur famille passait l’été. Bien sûr Château Gombert a perdu son charme villageois, mais il a gardé un certain cachet tout de même. Evidemment je n’ai pas connu le Château Gombert que décrit Contrucci, mais le souvenir que j’en ai reste tout de même assez proche, y compris dans la description de ces petites buvettes installées mollement au bord de la route pour désaltérer l’explorateur inconséquent qui s’était égaré dans ces endroits.

    Le premier plaisir que l’on a à lire la série de Contrucci réside d’abord pour moi dans cette rémanence de ce qu’a été Marseille, une ville torturée dans la nécessité de s’adapter à la transformation économique du monde. C’est la confrontation d’espaces disjoints, mais aussi l’asservissement à une logique marchande qu’on perçoit très bien comme une machine à broyer des êtres humains qui parfois viennent de très loin pour mourir à Marseille.

    Jean Contrucci, L’affaire de la Soubeyranne, Lattes, 2015

    Jean Contrucci, L’affaire de la Soubeyranne, Lattes, 2015 

    L’entrée du village place du Midi (ex place Messine) en venant de Plan de Cuques  à la fin du 19eme siècle 

    Comme on le comprendra Contrucci n’est pas homme à célébrer la modernisation accélérée de la ville. D’ailleurs ce n’est pas seulement en mettant en scène un passé révolu qu’il s’attaque à la modernité, mais c’est aussi dans le langage même qu’il utilise. Car le succès de la série de Contrucci n’est pas seulement dans une vision nostalgique de Marseille – il ne nous épargne d’ailleurs pas les aspects sordides de la ville au début du XXème siècle – mais aussi dans le langage utilisé pour écrire ses histoires qui sont évidemment très bien documentées. La spécificité de l’écriture de Contrucci joue à deux niveaux bien différents. D’abord il parsème ses romans d’expressions typiquement marseillaises qui ont aujourd’hui hélas presque disparues, au point qu’il est obligé d’en donner le sens dans des notes de bas de page. C’est le plus évident, et pour certains ce qui peut apparaître le plus drôle. Mais il y a un deuxième niveau, en dehors des expressions typiquement marseillaises, il utilise une manière d’écrire en français qui est aussi ancienne. Contrucci reste donc à l’écart du tourbillon de la vie moderne, aussi bien dans les histoires qu’il met en scène que dans la façon de les écrire. Les scènes un peu scabreuses sont écrites avec une pudeur qui est rare aujourd’hui.  

    Au fil des ans Contrucci construit sans faire de bruit une œuvre importante dans le domaine de la littérature policière et populaire. Il faut la lire dans son entier et si c’est possible dans son ordre de parution puisque les personnages évoluent au fil du temps, comme change la ville. 

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