• Jim Thompson, Un meurtre et rien d’autre, Rivages, 2013

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    C’est un des tous premiers romans de Jim Thompson. Publié en 1949, il pose le style et la thématique de son œuvre à venir. Il est écrit juste avant The killer inside me qui est considéré par beaucoup comme son chef d’œuvre. La réédition de Rivages permet de le lire dans une traduction qui respecte au plus près l’œuvre qui avait d’abord été traduite en Série noire sous le titre de Cent mètres de silence. Certains critiques comme McCauley ont tendance à le sous-estimer. Mais c’est pourtant un « noir » très fort. Non seulement il possède une intrigue serrée et solide, mais il est doté d’une écriture rapide et percutante. Tous les thèmes abordés par Jim Thompson sont déjà là. Et peut-être possède-t-il une dimension sociale qui est souvent masquée dans ses autres romans.

    Joe Wilmot est le propriétaire d’un cinéma qui marche bien dans la bourgade de Stoneville. Il est marié avec Elizabeth, c’est elle qui possède le cinéma Barclay – son nom de jeune fille. Son ménage va à la dérive. Et voilà qu’Elizabeth introduit dans la maison une sorte de laideron, Carol, dont paradoxalement Joe va tomber amoureux. Surpris dans ses ébats avec Carol, le trio infernal va trouver un curieux arrangement : Elizabeth accepte de partir et de laisser Joe vivre sa vie, mais elle demande 25000 $. C’est le montant de l’assurance sur la vie qu’elle a contractée. Il s’agit alors de maquiller un crime en accident – un incendie – dans le local où les Wilmot visionnent leurs films. Pour cela il leur faudra dénicher une autre pauvresse qui prendra la place d’Elizabeth.

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    Evidemment les choses ne vont pas se passer tout à fait comme ils l’attendaient tous les trois. En effet Joe ne s’est pas fait que des amis dans la ville, il n’a obtenu sa place au soleil qu’en écrasant les autres. Et tous ces rancuniers vont le soupçonner du crime et le faire chanter, en dépit du fait qu’il possède un alibi inattaquable. La malice de Joe lui permet de déjouer un à un les pièges qui lui sont tendus, mais il finira par succomber à la pression.

    Le récit est mené à la première personne par Joe qui ne nous est pas particulièrement sympathique. Il est vicieux comme un âne qui recule et en permanence on se demande s’il ne nous raconte pas des bobards pour essayer de nous apitoyer. Ça nous permet évidemment de rentrer dans les méandres de la logique criminelle qui est faite de frustration et de traumatismes qui remontent à la petite enfance. Il a en permanence le besoin de prendre une revanche sur les autres, sur la vie. S’il inspire la méfiance, il est lui-même méfiant, il ne fait confiance à personne, pas plus à sa femme qu’à sa maîtresse. Ses relations sexuelles sont perverses et sournoises.

    Son comportement est celui d’un homme qui pousse la logique capitaliste jusqu’au bout. Un des passages les plus étonnants de ce roman est son affrontement avec Sol Panzer, un gros propriétaire de salles de cinémas qui veut ruiner Joe. Sol a l’argent pour lui et aussi le temps. Il pense que cela lui suffira, mais Joe arrive à lire clairement dans son jeu et c’est lui qui empochera la mise.

    C’est un roman clairement anti-capitaliste. Il décrit par le menu cette soumission des pauvres à une logique qui les maintient dans une situation désastreuse.

    « Tout à coup, l’idée m’a frappé que les seuls à être dignes de confiance et à travailler dur étaient précisément ceux qui ne comptaient pas. C’était injuste, mais c’était comme ça. Et je me suis demandé pourquoi.

    Je me suis demandé pourquoi alors qu’ils étaient si nombreux, ils ne s’unissaient pas pour diriger les choses eux-mêmes. Et j’ai décidé que si jamais un jour ils arrivaient à monter une organisation – une organisation qui marche bien – je serais des leurs ! »

    Cela suffit à faire ressortir que les tendances criminelles de Joe sont seulement une réaction à un monde injuste où il faut s’adapter ou périr. La malice de Jim Thompson est de faire dire ce genre de chose justement par un homme qui a intégré la logique capitaliste encore mieux que les autres. Mais bien sûr cela passerait difficilement si l’écriture n’était teintée d’ironie. La dérision est l’arme principale de Thompson, la dérision et le désespoir. Le style de Thompson est à la fois très marqué de références à la psychanalyse, et très naturaliste. Il y aura des rappels – assez peu clairs d’ailleurs – sur le passé de Joe orphelin, mais aussi une minutie dans la description du fonctionnement du milieu de la distribution et de l’exploitation des films. Il faut dire que Thompson avait travaillé dans ce milieu et savait de quoi il parlait. Cette référence à une matérialité précise d’un milieu particulier donne du corps à l’intrigue. C’est quand même tout un art que de décrire d’une manière brève et précise un environnement tant sur le plan des mœurs que des décors urbains, sans oublier de faire avancer son histoire.

    A cette époque-là Thompson écrivait très vite. A mon avis c’est ça qui lui donnait ce style percutant : l’intrigue avance sans traîner. Mais c’est aussi pour cela que la fin de l’ouvrage est un peu téléphonée, trop simple, trop attendue. Malgré cela c’est un très grand roman, très noir, très thompsonien.

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    Jim Thompson et son chat

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