• Joe Hill, Bo Widerberg, 1971

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971

    Joe Hill appartient à la légende du mouvement social aux Etats-Unis. D’origine suédoise, il est venu au début du XXème siècle en Amérique pour y rechercher la liberté et un avenir meilleur. Membre des IWW – International Workers of the World – syndicat révolutionnaire et d’esprit libertaire, il sera accusé d’un double meurtre et sera exécuté. Mais évidemment le procès a été biaisé et pour tout le monde c’est seulement l’occasion de se débarrasser d’un militant révolutionnaire encombrant. Son procès et son exécution sont vécus aux Etats-Unis comme le reflet de la sauvagerie du capitalisme américain. En effet, au début du XXème siècle, les luttes sociales sont nombreuses et violentes, la répression patronale qui s’appuie aussi sur les rouages de l’Etat, est sans pitié.

      Joe Hill, Bo Widerberg, 1971

    Joe Hill se retrouve un peu de partout dans la littérature contestataire des Etats-Unis. Il est présent dans l’ouvrage de John Dos Passos, USA, on le retrouve aussi dans Une histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn. Les éditions de la CNT viennent de ressortir l’ouvrage de Franklin Rosemont. Chanteur mettant en scène les luttes sociales avec humour et passion il devint un symbole de résistance pour les travailleurs, il a été aussi célébré par les chanteurs de protest songs, pour ne parler que des plus connus, Joan Baez, et Bob Dylan disait que c’est Joe Hill qui avait motivé sa démarche. C’est donc à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, que Joe Hill revient sur le devant de la scène. On note qu’au moment où le film de Bo Widerberg ressort, grâce à la pugnacité de Malavida, cela fait un siècle entier que Joe Hill a été exécuté.

      Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Le vrai Joe Hill, vivant, puis fusillé 

    Si Bo Widerberg a mis en scène Joe Hill c’est aussi bien parce que Joe Hill était d’origine suédoise – né Joël Hägglund il utilisait aussi le nom de Joe Hillström – qu’il aimait célébrer les luttes sociales du passé pour en réactiver la mémoire. Bo Widerberg venait lui-même d’un milieu pauvre où la mémoire des luttes sociales était un outil et une nécessité. Autodidacte, il n’a pas eu le chemin facile. On pourrait rapprocher sa démarche, au moins dans un premier temps, non pas de la littérature militante, mais plutôt de la littérature prolétarienne qui vise à travers son développement l’expression d’une thématique et d’une sensibilité propre à la classe ouvrière, une négation de la culture bourgeoise. A partir de là deux problèmes vont se poser : d’abord écrire un scénario qui aille un peu au-delà de la relation factuelle de ce qu’a été la vie de Joe Hill. Bo Widerberg, auteur complet, s’impliquera lui-même dans son écriture. Ensuite transmettre une forme de passion sans être ennuyeux. Autrement dit dépasser l’aspect militant du propos, en quelque sorte ne pas faire du Ken Loach, un film faussement documentaire. La vérité peut s’atteindre en l’occurrence autrement que par l’exactitude factuelle de la reconstitution historique.

    Joe Hill, Bo Widerberg, 1971  

    Joe et son frère Paul arrive à New York 

    Le scénario est astucieux et ne s’étend pas ni sur la misère sous-jacente, ni sur les excès de la répression. Elle donne plutôt le point de vue d’un homme qui, en quête de liberté réinvente les formes de la vie sociale au fur et à mesure de son périple. De même, Bo Widerberg ne perd pas son temps à démontrer que le procès de Joe a été biaisé. Si Joe Hill est un héros c’est parce qu’il est porté par une poésie qui s’élève au-dessus de la matérialité misérable du quotidien. Il est le porte-voix des IWW, syndicat qui ne cherche pas à se battre seulement pour l’amélioration du quotidien, mais plutôt à en finir avec le capitalisme qui détruit tant de vies. Incapable de se fixer, il refusera de rester avec Cathy qui pourtant lui permettrait d’avoir une bonne vie tranquille. Son idéal est ailleurs que dans la répétition des schémas traditionnels. Bien au-delà d’un film militant, il montre des êtres vivants qui chantent, agissent dans une sorte de fraternité dont on n’a plus bien l’idée aujourd’hui. L’amitié et l’amour sont présents évidemment, mais ils ne sont que des éléments de cette quête de liberté.

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Joe Hill assiste impuissant à l’expulsion du Renard et de sa famille 

    La réalisation de Bo Widerberg est à la fois lyrique et sobre, avec un jeu sur les couleurs qui donne un aspect pictural au film. C’est une constante d’ailleurs de tous ses films. Cela est d’ailleurs facilité par le choix des décors et des paysages. On comprend que l’Amérique est un grand et beau pays où la vie pourrait être bonne et facile. Plutôt que de viser à une illustration de la vie de Joe Hill jusqu’à sa fin tragique, Widerberg procède par une succession de tableaux qui font vivre les personnes dont Joe croise la route. Le développement des relations avec la Renard un enfant voleur qui fait vivre une famille de son étrange métier, vont lui faire découvrir l’arrogance des riches et les difficultés de la vie de ceux qui ne possèdent rien. La recherche de son frère Paulie lui fera partager la route d’un hobo ultra-individualiste qui vit dans les redents de l’économie ordinaire, chapardant ici ou là au gré de son errance sans but. L’émotion qu’on trouve dans la mort de Joe Hill est peut-être un peu plus convenue. Mais l’analyse des relations avec la belle Cathy, ou celle qui est suggérée avec Lucia permet de développer une grande complexité de caractère. Joe Hill n’est pas un saint. Et puis Widerberg sait très bien filmer les trains comme dans les meilleurs westerns, ce symbole de la liberté et de la transgression des espaces.

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    La première rencontre entre Joe et les IWW 

    Le rôle-titre est porté par Thommy Berggren. Acteur suédois aux origines prolétariennes, il n’a pratiquement tourné qu’avec Bo Widerberg. Il est toujours très bon dans des rôles distanciés, un peu rêveurs.  Il rend tout à fait cette forme d’innocence qui lui sert de moteur pour soutenir sa quête de liberté et son indignation face à la répression patronale. Il est magnifique en chanteur qui détourne les paroles d’une chanson de l’Armée du Salut pour mieux en dénoncer la logique de soumission, ou encore quand il plaide son innocence avec beaucoup de colère. Mais Widerberg aime aussi beaucoup filmer les femmes, en ce sens il se rapproche de son maître Ingmar Bergman. Le choix des deux femmes dont Joe Hill tombe amoureux est judicieux, Cathy Smith qui incarne Vathy, et Anja Schmidt qui est Lucia, possèdent une beauté étrange et sauvage qui éloigne d’Hollywood et de ses canons.

    Une mention spéciale doit être accordée au petit Kevin Malave qui incarne le Renard avec une belle sensibilité. C’est presque lui qui fait l’éducation de Joe Hill quand celui-ci débarque à New York.

    Joe Hill, Bo Widerberg, 1971  

    Joe qui traverse l’Amérique voit de ses yeux l’expulsion des grévistes de la ville 

    Des scènes fortes il y en a beaucoup. A commencer par le vol d’une écharpe de fourrure qui commence comme une comédie et qui se termine dramatiquement lorsque la riche bourgeoise à la poursuite du Renard s’égare dans des rues sordides où la misère éclate à tous les coins de rue. Ou encore l’accident dans la mine où Joe Hill s’est fait embaucher : un jeune garçon trouvera la mort parce que le contremaître fait accélérer les cadences sans se préoccuper des conditions de sécurité. On peut voir ce film aussi comme un hymne à la jeunesse : l’Amérique est un pays jeune, Joe Hill est jeune lui aussi, et cette jeunesse luxuriante se heurte aux duretés d’un système économique et social répressif. Si la cause sociale a besoin de mythes et de légendes, et si elle s’inscrit dans la conservation d’une mémoire, alors Joe Hill est un film indispensable.  On y entendra aussi chanter Joan Baez ce qui ne gâche rien à l’ensemble.

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Pour porter la bonne parole, Joe se fait chanteur

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Joe Hill déclenche une grève chez Humphrey’s

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Joe reçoit en prison son ami Ted

    Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Joe va être fusillé

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

    Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les IWW

     Joe Hill, Bo Widerberg, 1971 

     

    La mémoire de Joe Hill n’a pas disparu aux Etats-Unis 

    « Le voyage de la peur, The hitch-hicker, Ida Lupino, 1953Une plaie ouverte, Patrick Pécherot, Gallimard, 2015 »
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  • Commentaires

    1
    Vendredi 11 Décembre 2015 à 07:08

    Merci pour cette critique fouillée.

    J'avais beaucoup aimé les films de Bo Widerberg qui étaient ressortis l'an dernier. J'espère que celui-ci sera encore à l'affiche quand je serai de retour à Paris.

      • Anne-Laure
        Lundi 14 Décembre 2015 à 15:17

        Le film est au Grand Action jusqu'au 23/12 ! Et y reviendra dès le 30... Profitez bien de votre découverte dans cette belle salle !

    2
    Vendredi 11 Décembre 2015 à 18:27

    si vous ne pouvez pas le voir en salle il vous faudra attendre la sortie du DVD qui est prévu pour avril 2016. Les films de Bo Widerberg que Malavida a ressortis sont probablement ce que ce r"éalisateur a fait de mieux

    3
    Lundi 14 Décembre 2015 à 18:41

    Je l'ai vu en salle, mais à Aix, petite salle donc avec un peu de monde. Hélas je n'ai pas l'opportunité de voir des films à Paris en ce moment. 

    Mais pour ceux qui sont à Paris qu'ils s'y précipitent

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