• Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    Ce film s’inspire de la vie de Bufford Pusser qui a réellement existé. Cet ex-marine, également champion de catch, était devenu shérif dans des circonstances rocambolesques et avait la réputation d’agir avec férocité. On prétend qu’il a chassé les gangsters de la petite ville de McNairy dans le Tennessee. A côté de lui l’inspecteur Harry ou encore Paul Kersey le héros qu’incarna Charles Bronson font figures d’enfants de chœur. Il a écrit ou signé ses mémoires, et sa vie a été portée plusieurs fois à l’écran. C’est un héros américain du Sud profond. Il a, dans la réalité, échappé à de nombreux coups de feu et coups de poignards. Mais il mourut comme un con dans un accident de bagnole parce qu’il avait trop bu. Certains ont bien tenté de dire que sa mort était le résultat d’un complot de la Dixie Mafia qu’il avait affrontée, mais ça n‘a pas l’air trop sérieux. Bufford Pusser a cependant eu le temps d’être crédité sur ce film comme conseiller, histoire de lui donner un accent d’authenticité. Pour bien comprendre l’intérêt de ce film, il faut prendre en compte que dans cette époque nous sommes au début de la contre-révolution conservatrice. Et donc il n’est plus question de donner des excuses aux criminels ou de les regarder avec sympathie. Symétriquement c’est exactement ce qui se passe en Italie avec le développement du poliziottesco. 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973 

    Bufford Pusser revient, avec sa femme et ses deux enfants dans sa ville natale où il veut s’installer auprès de son père et de sa mère. Ancien catcheur de profession, il a suffisamment d’argent pour acheter une petite maison. En ville il rencontre un copain d’enfance qui l’amène dans une sorte de tripot tenu par un gang. Bufford se rendant compte que le lanceur de dés triche, déclenche une bagarre où il se fait rosser et poignarder. Il va se remettre, puis travailler avec son père dans une scierie où il va faire embaucher un copain à lui, un noir nommé Obrah. Mais il pense à se venger. Ainsi il retourne un soir au tripot où il s’est fait rosser et fait le ménage avec son gourdin. Il se fait indemniser également. Mais le shérif, plus ou moins corrompu, vient l’arrêter. Il passe devant le tribunal où il se défend tout seul devant un jury populaire qui va acquitter. Dans la foulée il se présente aux élections pour devenir shérif, et malgré les embûches, il va arriver à se faire élire. Son but est d’assainir la ville. Le gang est renseigné par une taupe qui travaille au bureau du shérif et qui permet aux gangsters d’éviter de se faire prendre en flagrant délit. Ce gang trafique de l’alcool qui a tué plusieurs personnes, il règne aussi sur les prostituées et gagne de l’argent sur la passion du jeu. De temps en temps ils dépassent les bornes et estourbissent un client potentiel. Bufford leur met clairement des bâtons dans les roues. Mais évidemment le gang ne se laisse pas faire. Il envoie d’abord une sorte d’avocat négocier une trêve contre de l’argent, que Bufford refuse naturellement. Celui-ci va donc subir plusieurs attentats, et le dernier sera fatal à sa femme. Entre temps il aura tué plusieurs truands, notamment une femme qui, la nuit de Noël, avait tenté de le piéger avec une fausse agression. Lui-même se retrouve à l’hôpital dont il ne sortira que pour l’enterrement de sa femme. Mais il va arriver à ses fins et le tripot sera détruit par les habitants mêmes de la ville. 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    Battu et poignardé, Bufford est abandonné sur le bord de la route 

    A travers la célébration d’un héros d’un nouveau genre, la trame de ce récit est exactement la même que celle de The Phenix city story[1]. Une petite ville tombe sous la coupe d’un gang qui exploite les mauvaises passions de ses habitants, et un homme courageux qui se dresse contre cette mise en coupe réglée. La grosse différence d’avec les films du type Dirty Harry est qu’au bout du compte le héros va rallier à lui la collectivité qui va prendre sa part dans l’assainissement des mœurs, et cela change tout. Une grande partie de ce film rappelle aussi Key Witness, notamment l’épouse et ses deux enfants qui voudraient bien que son mari abandonne la lutte contre la racaille de la ville et s’attache à une vie de famille normale. Le héros n’est pas un intellectuel comme l’inspecteur Harry, c’est un brutal, et d’ailleurs il est armé d’un gourdin pour renforcer ce côté un peu homme des bois. En quel sorte, il est l’exemple de la vie simple, simplifiée même. Cependant à y regarder de près, il est bien plus ambigu que ça. D’abord parce qu’il aime chasser la racaille, bien au-delà de la nécessité qu’il y a à le faire. Il se présente comme un puritain, c’est tout juste si on ne le voit pas aller à la messe, mais on comprend aussi qu’il est attiré par une prostituée et qu’il est à deux doigts de tromper sa femme. On a d’ailleurs l’impression que s’il traque le gang, c’est débord pour fuir sa famille ! Si d’un côté le film semble célébrer les vertus de la famille, de l’autre il parait vouloir nous montrer la nécessité de la détruire ! 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973 

    Il est accusé de vol et de violence, mais sera acquitté par le jury populaire 

    Derrière un message qu’on pourrait dire conservateur, il y a pourtant autre chose. D’abord si on fait bien attention, Bufford Pusser n’est pas un shérif par vocation ou pour s’en faire un métier, mais il s'engage en tant que citoyen et avec l’appui de ses amis qui l’y encouragent. Il n’est pas seul, et agit et parle au nom de la communauté qui l’a élu. Il fait donc d’abord son devoir pour régénérer des institutions corrompues. C’est donc une sorte de révolte contre le système. Il prononcera d’ailleurs plusieurs fois ce mot de « système ». Défenseur d’une vie simple et naïve, proche de la nature, il est opposé à la domination de l’argent. Non seulement il dénoncera la corruption des autres, l’ancien shérif, le juge, mais en outre il refusera l’argent qu’on lui promet en échange d’un laisser-faire. On voit que si la collectivité comprend assez bien ce qui se passe, elle n’a pas le réflexe de prendre sa sécurité en charge elle-même. Et donc il vient que le propos est tout à fait populiste – sans connotation péjorative de ma part dans l’usage de ce mot. Quand Bufford est contre toute attente acquitté par le jury populaire, c’est bien le peuple qui reprend la justice en mains. Comme dans presque tous les films de Karlson, on aura aussi droit à une tirade sur l’égalité des races. Il n’y a pas d'ambiguïté là-dessus, bien au contraire, mais cette quête de l’égalité des races, Karlson la prend comme un fait naturel, une évidence, la preuve, Bufford se moquera gentiment de son ami noir Obrah sans que cela tire à conséquence, comme il se moquerait d’ailleurs de n’importe lequel de ses amis. Du reste les crapules seront aussi bien des blancs que des noirs. 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    Bufford a été élu shérif, sa famille fête l’événement  

    Ce film est très mal apprécié de la critique pour ses piètres qualités cinématographiques. Certains lui ont reproché de ressembler à un mauvais téléfilm. Il fait comprendre que nous sommes dans les années soixante-dix, à leur début, et que les cinéastes vont chercher de l’authenticité, une absence de glamour. Cela passe par le choix des acteurs qui, volontairement, semblent sortir directement de la campagne, à la photo qui est volontairement peu léchée pour rester au plus près de son décor naturel. C’est un film à petit budget, on dit qu’il a coûté 500 000$, mais c’est un film relativement long pour Phil Karlson puisqu’il dure plus de 2 heures. S’il y a un reproche à lui faire, c’est moins dans la façon de filmer, que de tourner en rond et de rallonger la sauce, contrairement à l’habitude du réalisateur qu’on a connu bien plus direct. Et pourtant il y a de très nombreuses scènes d’action, très bien menées d’ailleurs, mais elles prennent souvent un aspect répétitif et ne font guère avancer l’histoire. Certes c’est la rançon du scénario qui veut ça aussi. Il reste que la petite ville est remarquablement bien filmée, avec un écran large, comme si on voulait montrer, mais sans le dire, comment finalement la belle campagne, le beau pays des Etats-Unis est rongé et détruit par l’argent et qu’il faut se tenir loin de la ville. L’enterrement de la femme de Bufford est aussi très émouvant. Il y a comme toujours chez Karlson une attention soutenue donnée aux petites gens, aux travailleurs, aux prolétaires. Ici il donnera de l’espace au travail dans la scierie, s’attardant sur les machines, mais aussi sur les hommes qui doivent les dominer : c’est tout à fait judicieux et renforce la couleur locale du propos. 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    Un tueur a été envoyé pour éliminer Bufford 

    L’interprétation est choisie en conséquence des principes qu’on veut mettre en œuvre. D’abord c’est Joe Don Baker qui trouve là le rôle de sa vie. Il manie très bien le gourdin, mais il n’est pas du tout mauvais dans les scènes qui se veulent plus tendres, avec sa femme notamment. Il a le physique et la gueule de la brute. Il a été un habitué de ce genre de rôle. On le verra aussi défiguré, blessé, plâtré, recousu, comme une sorte de Frankestein, ce qui accroît son aspect formidable. Sa femme, Pauline, est interprétée par Elizabeth Hartman. Elle n’a pas fait une grande carrière à cause d’un physique difficile, et puis elle est décédée assez jeune. Mais elle n’est pas trop mal dans le rôle de la femme un peu soumise, avec toujours l’air de s’interroger sur ce que veut son mari et surtout pourquoi il n’est jamais là. Le noir Obrah est joué par Felton Perry qui fera une grande carrière à la télévision. Il n’y a rien à dire sur sa prestation : il tient son rang en évitant de jouer le rôle du nègre au service des blancs. La distribution est principalement masculine, mais Brenda Benet qui ne fera rien au cinéma, se fait remarquer positivement dans le rôle de Luan, une prostituée qui aide Bufford. Cette actrice finira mal puisqu’elle se suicidera suite à une dépression nerveuse. Rosemary Murphy est la chef de bande Callie Hacker, toute en méchanceté et en fourberie. 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    Dans la fusillade, Pauline est morte 

    Le film a eu un énorme succès commercial, surtout aux Etats-Unis, 23 millions de $ pour une mise de 500 000 $. La critique a été plus sévère que le public, surtout en Europe où le film est passé presqu’inaperçu. Il est temps que la critique le réévalue enfin. S’il est loin des meilleurs Karlson, il reste très intéressant. Le succès de ce film a entraîné plusieurs suites, toujours avec le personnage de Bufford Pusser. Mais Karlson et Joe Don Baker ne s’en mêleront pas. Le fait qu’il y ait plusieurs autres films – quatre à ce qu’il me semble, dont une série télévisée – sur le personnage de ce shérif sulfureux, prouve qu’il est un symbole de l’Amérique profonde, celle des années soixante-dix, presqu’un mythe. On ne trouve pas ce film dans une version numérique propre avec sous-titres français, et même aux Etats-Unis, il est vendu dans un coffret qui vous fait acheter les deux autres daubes qui complètent et encombrent la série de Walking tall qui aurait pu se réduire finalement au film de Karlson. C’était l’avant-dernier film de Karlson. 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    L’enterrement de Pauline est très suivi 

    Justice sauvage, Walking tall, Phil Karlson, 1973

    La population de la ville met le feu au tripot

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