• L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

     L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    L’affaire Maurizius est l’adaptation d’un roman mythique de Jakob Wasserman, paru en 1928 et réédité constamment en Allemagne, en Autriche et aussi en France. C’est un roman foisonnant, très long, très dense, avec beaucoup d’invention sur le plan de l’écriture comme ça se faisait dans l’entre-deux-guerres en Autriche ou en Allemagne. Wasserman dont la gloire n’est pas très évidente en France, avait aussi écrit l’histoire complètement folle de Gaspar Hauser avec également beaucoup de succès. Duvivier va se coller lui-même au scénario, transposant cette fable dans la Suisse d’après-guerre, mais il ne va pas retenir les longues allusions çà l’antisémitisme, sans doute trouvait-il ça trop peu moderne, à une époque où on voulait voir les conséquences du nazisme comme quelque chose appartenant au passé. Bien que la mécanique du roman soit conservée, il est inutile de comparer les deux œuvres. Ce film vient juste après le nouveau triomphe de Duvivier en France comme en Italie avec Le retour de Don Camillo. Il a sans doute besoin d’un film plus proche de sa personnalité, plus intime, moins contraint par les exigences d’un budget énorme. La façon dont a été adapté cet ouvrage « culte » rappelle un peu celle que John Huston appliquera pour l’ouvrage de Malcolm Lowry, Au dessous du volcan : il recherchera plutôt une ambiance et une sensation visuelle qu’une fidélité directe. Il est vrai qu’il n’est pas simple d’adapter un roman de 700 pages pour en tirer une intrigue relativement simple, supprimer les personnages qui ralentissent l’intrigue, jouer avec les dialogues pour résumer et faire avancer. Cette fois Duvivier écrira lui-même les dialogues. Cependant L’affaire Maurizius a été longtemps un film mal aimé de Duvivier. Depuis quelques années on cherche à la réhabiliter, lui trouvant des vertus qu’on ne voyait pas antérieurement. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954 

    Le jeune Etzel Andergast a du mal à supporter sa famille. Son père, le procureur Andergast, est très indifférent, sa femme est très faible et soumise. Mais un jour il rencontre le vieux Maurizius qui le suit dans la rue à la sortie de l’Université. Celui-ci envoie un courrier au procureur qui va tomber sous les yeux de son fils, il dénonce un déni de justice, son fils ayant été jugé coupable du meurtre de sa femme qu’il n’aurait pas commis. Exalté par cette injustice le jeune Andergast va rencontrer le père Maurizius qui lui raconte une partie de l’histoire et comment lui s’est détourné de son fils. Léonard Maurizius après une vie de frivolité, mais brillante sur le plan de la carrière universitaire, a épousé Elisabeth Jahn, plus âgée que lui, mais riche de son veuvage. Son père ne le supporte pas et rompt ses relations avec lui. Mais la jeune sœur d’Elisabeth, Anna, est arrivée, et il semble qu’entre elle et Léonard une passion soit en train de naître. Les liens entre les deux jeunes gens vont se renforcer quand Léonard apprend qu’une femme avec qui il avait eu une fille est décédée. Il demande conseil à Anna, arguant qu’il avait gardé cette liaison secrète pour ne pas blesser Elisabeth. Anna propose de s’occuper de cette petite fille. Mais Elisabeth devient jalouse d’Anna, et les scènes alors commencent. Un soir Elisabeth est tuée d’un coup de revolver, mais l’ami de Léonard, Waremme, témoigne que c’est bien Léonard qui a tué. Léonard est condamné à la perpétuité. Il est donc enfermé depuis 18 ans lorsque le fils Andergast prétend faire rouvrir le dossier. Pour cela il s’éloigne de sa famille et demande de l’aide à sa grand-mère. Celle-ci reçoit ensuite la visite de son fils, le procureur, et comme elle l’engueule pour son indifférence, celui-ci décide d’enquêter à son tour il consulte le dossier, et va voir Maurizius en prison. Celui-ci le convainc de son innocence. Cependant son fils à retrouver la piste de Waremme qui boit comme un trou et qui raconte sa version. C’est Anna qui a tué sa sœur d’une balle dans le dos. Puis ensuite il a vécu avec Anna avant qu’elle ne l’abandonne. Finalement Maurizius est gracié. Il sort de prison, retrouve son père, et tente de voir Anna. Celle-ci lui annonce qu’elle ne s’intéresse plus maintenant qu’à la religion, et donc qu’elle ne veut plus le revoir. Maurizius comprend, mais elle lui signale également que sa fille ne veut pas le voir non plus. Profondément choqué, dans le train qui le ramène à Berne, il se suicide en sautant par la fenêtre. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Le procureur est très indifférent à sa famille 

    Les jeux entre les personnages sont très compliqués, c’est ce qui va permettre à Duvivier de développer des thèmes très nombreux. Le moteur de l’intrigue ce sont d’abord les rapports père-fils. C’est un des thèmes majeurs de Duvivier qui avait déjà abordé par deux fois l’indifférence paternelle dans les deux versions de Poil de carotte. A chaque fois les pères doivent se racheter en quelque sorte. On a dit que c’était une des dimensions de la vie personnelle de Duvivier lui-même qui avait beaucoup souffert de l’absence de chaleur dans les relations avec son père. Si le jeune Andergast veut rouvrir l’enquête ce n’est pas seulement parce qu’il serait un idéaliste épris de justice, mais c’est aussi pour démontrer que son propre père qui se veut la rigueur même a failli. Les relations entre Léonard et son père sont tout autant symétriques : le vieux Maurizius rejette son fils parce qu’il trouve inconvenant qu’il ait épousé une femme plus âgée que lui. Pire encore, il lui refusera de l’argent lorsque Léonar se trouve pris à la gorge. Dans les deux cas c’est un événement extérieur qui va réveiller la fibre paternelle. Andergast se rend compte qu’il a failli, il tentera de se racheter en obtenant la grâce de Maurizius, mais c’est trop tard et pas assez parce que son fils lui signifie qu’il attendait autre chose de lui, une réhabilitation. C’est quand son fils est condamné à la perpétuité que le vieux Maurizius va se mettre en ordre de marche. S’il fait bouger les choses cependant, il n’obtiendra pas le pardon de son fils. Il lui dit qu’il a beaucoup économisé, et donc qu’il va lui donner de l’argent, mais ce n’est pas ce que veut Léonard qui reste indifférent à cette attention saugrenue. Les relations entre Waremme et le fils Andergast sont aussi des relations filiales, très ambiguës toutefois. Les attouchements de Waremme reste perplexes et dénoncent un homme totalement corrompu et cynique. Mais le jeune Andergast rejettera rapidement Waremme. Ces relations impossibles entre père et fils sont l’image d’une société en décomposition qui ne croit plus en ses valeurs. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954 

    Le vieux Maurizius suit le fils Andergast 

    Le second thème c’est bien entendu le rôle de la femme comme une image de l’ambivalence de la nature humaine. Que ce soit Elisabeth ou Anna, toutes deux décevront aussi bien Maurizius que Waremme. Elles apparaissent finalement égoïstes et cruelles. Elisabeth ne supporte pas sa sœur parce qu’elle la craint, parce qu’elle est en compétition avec elle pour garder Léonard. Anna rejette Léonard sans se préoccuper des conséquences que ce rejet aura sur lui en s’abritant derrière sa foi nouvelle. Or évidemment c’est elle qui a tué sa sœur et c’estpour elle que Léonard a enduré 18 ans de prison. Durant le procès elle n’a rien fait pour le tirer du mauvais pas où il se trouvait, et pire encore, elle s’en ira vivre avec Waremme qui a dénoncé son ami pour ses beaux yeux, et qu’elle abandonnera à la boisson sans remord. Si Elisabeth apparait d’être abandonnée parce qu’elle vieillit, Anna n’a pas cette excuse. Elle déploit une cruauté sans frein qui poussera Léonard à la mort. Il apparaît que la femme est un coin qui s’enfonce dans les relations entre les hommes et qui les éloigne irrémédiablement. Duvivier insistait dans ses interviews pour dire à quel point l’amitie virile était une dimension importante de son existence et de sa thématique, voir La Bandera, ou La belle équipe par exemple.  La jeune Mélita qui veut séduire le fils Andergast est du même tonneau, elle écoute aux portes, manœuvre, pour tenter de se faire adopter et de trouver une issue à sa situation. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Croisant son père dans le téléphérique, Maurizius présente Elisabeth à son père 

    Mais toute mauvaise qu’elle soit, la femme est le révélateur de ce que les hommes sont.  Elle révèle d’abord leur faiblesse. D’emblée d’ailleurs Léonard est présenté comme un homme frivole, donc facilement manipulable par les femmes. Il le reconnaitra lui-même, et portera cette croix jusqu’à la fin. Ce film est vraiment très noir, on voit des hommes et des femmes sans morale, mais soucieux de respecter les conventions sociales qui les font exister. C’est bien le pessimisme de Wassermann qu’on retrouve là. L’issue c’est le suicide et c’est ce qu’assume Léonard qui est présenté comme très intelligent. Ils manquent tous de cœur dans cette fable, d’empathie. Ce n’est que très tardivement que Léonard se préoccupe de sa fille, mais c’est trop tard. Il ne sera qu’un père raté et ses gémissements apparaîtront comme déplacés par rapport à ce qu’a été sa vie. Il paie cette attirance irrésolue pour le sexe féminin. Cependant il ne sert à rien de se méfier des femmes comme le fait le fils Adergast en repoussant Mélita. Le remède est encore pire que le mal et il se retrouve encore plus seul. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954 

    La maitre-chanteur fait des rapports détaillés à Maurizius sur son fils 

    C’est sans doute un des films les plus stylisés de Duvivier, c’est-à-dire qu’il saisit les décors au-delà de leur simple réalité pour en faire surgir une autre vérité. On a remarqué que le procès qui occupe une bonne partie de l’intrigue se déroulait dans un espace reconstruit par Max Douy pour en faire ressortir les protagonistes au milieu d’un enfermement fait d’ombres et de lumière. C’est comme une bulle noire dans laquelle se débattent les protagonistes. Travaillant sur les perspectives ascendantes pour donner de l’importance au président, ou descendants pour montrer l’écrasement de Maurizius, l’image déformée anticipe de ce que fera Orson Welles sur The trial en 1962[1], adaptation d’un autre roman mittel-Europa de Franz Kafka, avec toute l’absurdité qui va avec puisque Maurizius est innocent. Mais cette stylisation va au-delà du tribunal, on la retrouve très souvent, notamment dans la prison représentée par des formes géométriques. Mais la puissance de la réalisation ne se réduit pas à cet aspect, elle s’appuie aussi sur l’utilisation impressionnante des volumes. On a eu plusieurs fois l’occasion de le souligner, Duvivier sait multiplier les angles de prise de vue en utilisant des mouvements verticaux. La photo est excellente et due à Robert Lefebvre qui tournera encore avec Duvivier et qui fera merveille sur le film Le dos au mur de Molinaro[2] dans lequel on retrouvera cet intérêt pour les plans larges qui saisissent aussi les plafonds comme des voûtes célestes qui accablent les personnages. On remarque également cette capacité de Duvivier à filmer dans des espaces très étroits, par exemple dans la cellule où est enfermé Maurizius, le dialogue avec le procureur Andergast, ou encore la confrontation maladive entre le fils Andergast et Waremme. A chaque fois Duvivier modifie les angles de prise de vue et resserre le montage, ce qui va donner un rythme soutenu.  

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Dans le jardin Elisabeth est abattue

    Il y a une volonté de peindre un univers bourgeois étouffant et trop policé pour être honnête, c’est ce qui guide la réalisation proprement dite. Il est assez étrange que les qualités purement cinématographiques de Duvivier ne soient pas plus souvent soulignées. On se portre à dire qu’il est un excellent technicien. Mais c’est bien plus que ça. Il a une grammaire tout à fait personnelle : dans une séquence, il n’y a pas deux fois le même angle de prise de vue, et c’est toujours justifié par la volonté de faire progresser le récit. La scène du meurtre d’Elisabeth va encore plus loin parce qu’en la filmant sous plusieurs angles différents, elle fait ressortir la subjectivité des personnages et leur vérité relative comme leurs mensonges. C’est d’ailleurs un des intérêts du film noir que de faire ressortir l’ambiguïté et la relativité des faits matériels. Duvivier le renforcera avec la multiplication des miroirs qui démultiplient les points de vue. Si la majeure partie du film est tournée en studio, il ne faudrait pas croire pour autant que Duvivier n’ait rien à dire quant à l’utilisation des décors extérieurs. Il filmera la ville de Berne comme une sorte de village endormi qui cache des passions troubles et les étouffe. Berne est à l’image du caractère du procureur Andergast. Duvivier utilisera ses petites collines pour montrer comment Maurizius le père ou Andergast le fils sont obligés de les gravir péniblement à la recherche de la vérité, comme une montée au Golgotha – Golgotha qui est aussi le titre d’un des films les plus célèbre de Duvivier. Mais il passera aussi du temps à filmer le lac sur lequel navigue le ferry où se rencontrent furtivement Anna et Léonard. Ce qui est mis en avant, c’est le rôle de l’eau qui réunit et en même temps sépare les deux amants contrariés dans un calme apparent. Ils se sépareront, et l’embarcation continuera de poursuivre son rythme immuable comme si de rien n’était. Si l’eau lave tous les pêchés et noie les passions, elle engloutit aussi l’espoir. Nous avons déjà vu cela dans Au royaume des cieux. Elle nous fait comprendre pourquoi Léonard a hésité avant de signer sa demande de grâce, après tout Anna l’avait délaissé pendant ces dernières dix-huit longues années passées derrière les barreaux. Il y a parfois des gros plans qui sont trop nombreux et qui surchargent les dialogues, mais c’est ce qu’on trouve aussi chez Orson Welles, ce désir de saisir l’émotion au plus près, sans filtre, pour appuyer le propos. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Au procès Waremme a témoigné contre Léonard 

    Dans la conduite du récit, Duvivier s’est appliqué à multiplier les flash-backs, très souvent emboîtés, ils permettent à la fois de conduire le récit sur plusieurs plans, de passer sans problème de la vision de Maurizius à celle d’Andergast ou de Waremme, de briser la chronologie pour mieux égarer le spectateur, mais également de renforcer le suspense, car il s’agit aussi d’un film à suspense. Les retournements de situations sont très nombreux, si on commence par soupçonner Waremme d’être le fourbe de service, on va aller de surprise en surprise au fur et à mesure que le puzzle de la personnalité d’Anna se complète. Il y a là une grande virtuosité. Duvivier dresse une galerie de portraits tout à fait grinçante, presque grotesque, accentuant les défauts ou les maniaqueries des uns et des autres, comme par exemple le maître-chanteur qui est filmé en contre-plongée et qui lit très difficilement ce qu’il a écrit lui-même, tout en tournant les pages de son carnet minable en mouillant son doigt. Cet aspect grotesque renforcé par les gros plans, rappelle le Welles de Mr Arkadin qui a été tourné un an après. Orson Welles s’intéressait au cinéma de Duvivier, contrairement aux caciques de la Nouvelle Vague et il en connaissait la valeur. Après tout, L’affaire Maurizius est aussi la quête d’une identité, celle véritable de Maurizius, quant à Waremme d’identité il en change pour se faire oublier et s’oublier lui-même. En appuyant sur les grimaces des uns et des autres, en forçant le trait, Duvivier crée une opposition subtile d’avec le caractère compassé des bourgeois aigris et engoncés dans leur morale mortifère. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

      La mère du procureur lui fait prendre conscience de son vide affectif 

    La distribution est très intéressante. D’abord il y a Daniel Gélin qu’on a souvent vu dans les années cinquante dans des films noirs à la française, La neige était sale par exemple de Luis Saslavsky tourné la même année et d’après Simenon, ou le méconnu mais excellent Trois jours à vivre de Gilles Grangier[3]. Gélin avait tourné dans un très mauvais film d’Yves Allégret, la fille de Hambourg sur un scénario de Fréédric Dard où il tirait pourtant son épingle du jeu[4]. C’était une vedette de premier plan au jeu subtil, mais la Nouvelle Vague qui à défaut de remplir les salles faisait la loi parmi les critiques de cinémas, le laissa un peu sur le côté, et puis au début des années soixante Belmondo, Delon ou encore Lino Ventura imposaient un jeu beaucoup plus direct encore. Mais bien qu’il vienne du théâtre, il conservait toujours un grand naturel face à la caméra. Il jouait très souvent les jeunes hommes névrotiques et ici il n’échappe pas à cette marque de fabrique. Il est excellent dans le rôle de Léonard, passant de la désinvolture au piège de la passion. Il y a ensuite Charles Vanel dont le talent ne peut pas faire de doute. Il était déjà un monument à cette époque. Il est ici le raide procureur Andergast, indifférent à tout sauf à lui-même Il a des scènes très fortes, aussi bien quand il découvre toute l’étendue du désastre dans ses relations avec son fils, que quand il fait son numéro pour convaincre les jurés de la culpabilité de Maurizius. Et puis il va être touché par la grâce lorsque sa mère le remet à sa place, le rabaissant au rang d’un enfant capricieux. On voit alors le doute qui s’inscrit dans sa démarche comme sur son visage. Madeleine Robinson est Elisabeth, l’épouse murissante de Léonard. Grande actrice, elle démontre une fois de plus sa présence, sa force et sa faiblesse de femme blessée par la vie qui craint plus que tout d’être abandonnée. Le fils Andergast est incarné par le raide Jacques Chabassol. Son rôle est important, décisif même, mais il est un peu pâle, surjouant la colère et le désespoir ; certes son personnage mal à l’aise de partout est obligatoirement raide, mais c’est une excuse insuffisante, il est bien trop sautillant. Il détonne un peu tout de même dans un ensemble qui est très homogène. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Léonard s’est rapproché d’Anna 

    Le film était une production franco-italienne, et Eleonora Rossi-Drago a été imposée à Duvivier, il s’en est plaint, disant qu’elle n’était pas faite pour ce rôle, qu’elle était un peu trop en chair. Il a eu de très mauvais rapport sur le tournage avec elle. Pourtant elle passe très bien, très subtile finalement dans ce revirement de la candeur à l’indifférence vis-à-vis de Léonard. Elle arrive à faire de ce petit rôle un personnage clé. Waremme est interprété par Anton Walbrook, acteur juif autrichien, il est adéquat pour ce rôle tourmenté culpabilisant pour ses fautes et sa trahison vis-à-vis de Léonard. Il est du reste meilleur dans la déchéance que dans l’affirmation de soit lorsqu’il prétend partir à la conquête de la belle Anna. C’est lui qui porte le discours de Duvivier sur la relativité de la justice ramenée à une simple morale. Les autres petits rôles sont très soignés. Se sont pour la plupart des acteurs de théâtre de qualité. Il y a de très belles figures, Berthe Bovy dans le rôle de la mère du procureur qui fait passer un peu de folie dans une famille qui en manque beaucoup, ou alors Pierre Palau dans le tout petit rôle du conseiller qui discute avec le fils Andergast dans la cuisine. J’aime bien aussi Pierre Asso dans le rôle du maître-chanteur, une sorte d’image du destin. Denis d’Inès qui incarne le père Maurizius en fait peut-être un peu trop, mais ça passe assez bien, il a beaucoup travaillé la position de son corps et de son évolution dans le temps, puisqu’il deviendra boiteux. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Léonard va convaincre Andergast de son innocence 

    Le film a connu à sa sortie un succès commercial assez satisfaisant, en France comme en Italie, de quoi rapporter quelques bénéfices à ses producteurs et donc de ne pas entamer la crédibilité de Duvivier face à ses bailleurs de fonds. La critique par contre n’a pas suivi. Mais au fil du temps on l’a mieux apprécié et il fait maintenant partie des grandes œuvres de Duvivier. Il est toujours très compliqué de comprendre pourquoi un film qui dans le temps fut dénigré, peut devenir avec le temps une sorte de référence. Bien sûr Duvivier ne s’attendait pas à un succès fracassant comme celui des deux Don Camillo, mais je pense qu’il a été déçu par le mauvais accueil qu’il a subi, d’autant qu’il avait eu beaucoup de problèmes sur le tournage. Peut-être que l’explication se trouve dans le fait qu’aucun des caractères peints au vitriol ne soit sympathique ou même un peu positif. On ne peut même pas s’apitoyer sur le triste sort de Léonard. Aujourd’hui on peut voir ou revoir ce film dans une excellente version en Blu ray qui met peut-être bien mieux en valeur toute la richesse des images, renforçant les contrastes et donnant plus de profondeur à l’ensemble. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Le fils Andergast veut faire parler Waremme 

    Le film suivant de Duvivier sera une autre déception, ce sera Marianne de ma jeunesse, un film auquel il tenait beaucoup et qu’il considèrait comme un de ses meilleurs, tourné en deux versions – française, avec Pierre Vaneck, et allemande, avec Horst Buchholz – mais qui sera un échec commercial et un échec critique. Il va tirer de tout cela beaucoup d’amertume et celle-ci va sans doute se retrouver dans un autre film noir, Voici le temps des assassins. 

    L’affaire Maurizius, Julien Duvivier, 1954

    Léonard est effondré après sa rencontre avec Anna



    [1] Notez un détail curieux, c’est que l’idée de porté à l’écran se roman aurait été souffliée à Orson Welles par Michael Lindsay-Hogg, son fils supposé fils naturel. Encore une histoire baroque de relation douloureuse père-fils.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-dos-au-mur-edouard-molinaro-1958-adapte-de-frederic-dard-a127810230

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/trois-jours-a-vivre-gilles-grangier-1957-a127976468

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/la-fille-de-hambourg-yves-allegret-1958-a128004402

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