• L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971.

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    Si l’étranglement est un sport universel, les étrangleurs anglais sont très différents des étrangleurs américains, on pourrait dire que dans ce genre, ce sont des maîtres. Ainsi le vrai John Christie, petit homme chauve et chafouin, vit dans un univers complètement étriqué, confiné dans un quartier pauvre, quasiment à l’abandon. Contrairement à De Salvo, il se déplace très peu, comme une araignée, il guette sa proie quand De Salvo apparait comme un chasseur.  On aura donc du mal à lui trouver quelque circonstance atténuante. Il a l’air taré et comme ça, de naissance. D’ailleurs le film ne cherche pas à expliquer son comportement et nous le montre comme un personnage immonde et sans qualité. Cette histoire, vraie bien entendu, assez extraordinaire a été célèbre dans le monde entier. Alphonse Boudard qui donnait à l’époque des chroniques pour le journal Détective sur des criminels singuliers l’avait inclus dans sa série aux côtés de Landru et quelques autres[1]. John Christy est un criminel qui a tué une grande quantité de personnes qu’il a toutes cachées dans sa maison. Mais pour une partie de ses crimes, il a fait condamner à la pendaison un malheureux garçon, Timothy Evans. Des années plus tard, et presque par hasard, et lorsqu’on retrouvera au 10 Rillington Place de nouveaux cadavres plus ou moins bien enterrés, disposés de ci de là dans les cloisons, alors Christie sera arrêté, jugé et pendu. Le scénario est basé sur le livre à succès de Ludovic Kennedy. 

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    Les Evans vont aménager au 10 Rillington place 

    En 1944 John Christy reçoit chez lui, alors que sa femme est partie en visite, une jeune femme qu’il prétend soigner. Il la gaze puis l’étrangle et va enterrer ensuite son corps dans le jardin. En 1949, un jeune couple avec un bébé, les Evans, viennent louer un petit deux pièces au-dessus de l’appartement des Christy. Le mari est analphabète, il travaille beaucoup pour un maigre salaire et son épouse s’occupe du ménage. Mais elle va se révéler enceinte. Une deuxième bouche à nourrir c’est des frais supplémentaires. Elle veut avorter. Et John Christy va lui faire croire qu’il est compétent en la matière. Malgré les réticences de son mari, Beryl accepte. Mal lui en prend, Christy tente de la gazer, mais comme elle est rétive, il l’assomme à coups de poings et la tue. Lorsque Timothy rentre de son travail il lui annonce la mort de sa jeune femme, et il le persuade que c’est un accident. Mais il lui conseille de s’enfuir car la police risque de le rechercher. Il lui propose de s’occuper du corps. Timothy s’en va donc à Cardiff chez une tante à lui. Il commence par raconter des mensonges, mais sa parentèle s’en rend compte, et en prenant des renseignements commence à s’inquiéter pour Beryl et leur enfant. Mais bientôt il n’en peut plus de ses propres mensonges et s’en va s’accuser du meurtre de sa femme et de sa fille. Les corps sont découverts dans l’appentis de Christie. Bien que l’enquête dévoile le louche passé de celui-ci, Timothy sera condamné et pendu, et cela d’autant plus aisément que Timothy est un menteur avéré, et qu’il s’est laissé à signer des aveux. Et puis il passait son temps à se disputer avec sa femme. Mais la femme de Christy commence à entrevoir le rôle que son mari a joué. Elle veut se séparer de lui, mais il l’étrangle aussi. Il en étranglera d’autres bien sûr. Sans travail, il a été renvoyé de son emploi à cause de la révélation de son passé criminel, affaibli, il va être obligé de quitter son appartement. Il s’en va à la dérive. Pendant ce temps là des noirs vont s’installer dans son ancien appartement, et par hasard ils vont découvrir que la maison recèle des cadavres. Ils préviennent la police. Celle-ci va finalement arrêter par hasard Christie qui erre sur les bords de la Tamise. 

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    Beryl veut avorter 

    Si le souci de vérité était déjà très présent dans The Boston strangler, il l’est encore plus ici. Non seulement Richard Fleischer a utilisé les vrais décors du drame, une grande partie du film a été tournée à Rillington Place, mais Richard Attenborough s’est fait une tête très ressemblante pour incarner Christy. Curieusement le film semble s’être éloigné de la problématique qui consiste d’abord à essayer de comprendre les motivations du criminel. Dans cette sombre histoire, s’il y en a qui sont à plaindre ce sont plutôt les malheureux Evans, ils sont pauvres, Timothy est analphabète, mais en outre ils ont comme voisin Christy. Il y a donc deux aspects qui sont traités ici : d’une part le portrait d’un serial killer, avec ses maniaqueries, son caractère cassant et mauvais, et d’autre part une sorte de tableau des basses classes de l’Angleterre de la fin des années quarante. En quelque sorte, c’est Timothy Evans qui prend la place de De Salvo dans le rôle du prolétaire tourmenté. Il est en effet une victime de cette société qui l’a fait analphabète et donc incapable de se défendre sérieusement des graves accusations qui pèsent sur lui. Il y a d’autres thèmes mineurs intéressants, les femmes apparaissent bien plus que les hommes dans la difficulté. Beryl porte la lourde charge de décider d’avorter par exemple, ce n’était pas un sujet si commun à l’époque où c’est à peine si l’usage de la contraception se généralisait. Comme on le voit, la carrière du serial killer Christie est résumée dans l’affrontement avec la famille Evans, les autres meurtres ne sont évoqués que par allusion, notamment les assassinats de plusieurs prostituées. 

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    La police tente de vérifier les dires de Evans 

    La réalisation de Richard Fleischer est impeccable. L’usage des décors réels donne cette patine du temps au film. Il est toujours très délicat au cinéma de représenter une période révolue, mais ce n’est pas le cas ici. Il y a une reconstitution habile de la crasse dans laquelle vivait les populations à la sortie de la guerre. Il y a également un bel équilibre entre les scènes quasiment claustrophobiques qui opposent le sinistre Christie à ses victimes et à Timothy, et celles qui s’ouvrent sur la vaste place Rillington filmée en longs travellings ou en panoramiques, ou encore les scènes qui voient Christie errer sur les bords de la Tamise où il finira par se faire prendre, et celles qui le voit rejoindre le corps des sans-abri, obligé de se faire héberger par l’armée du salut. On remarquera que Richard Fleischer n’a pas oublié les leçons du film noir de la période du cycle classique, dans les usages qu’il fait des escaliers, ou dans celle du point lumineux. La photo est excellente en ce sens qu’elle arrive à donner des couleurs d’authenticité à l’ensemble. Il y a une scène très difficile, celle où Christie doit convaincre Timothy de prendre la fuite. Elle est très convaincante, en rapprochant les deux hommes dans des plans très resserrés, Fleischer en fait des complices dont les destins vont devenir liés. Ils seront d’ailleurs tous les deux pendus. Notez qu’ils avaient en commun la qualité d’être des menteurs invétérés.

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    Ils fouillent les égouts sur les indications d’Evans 

    L’interprétation renforce le côté anglais de l’ensemble. Il y a d’abord Richard Attenborough dans le rôle de Christie. Il est un peu cabotin, mais dans l’ensemble il donne une forte personnalité à ce criminel peu imaginatif qui aime à conserver les cadavres de ses victimes dans sa proximité. Sa performance a été saluée. Il est en effet remarquable qu’un petit homme de cette apparence assez minable puisse arriver à imposer ses volontés à son entourage. Il traduit très bien ce sang-froid monstrueux qui le rend insubmersible, même quand le tribunal lui pose des questions très embarrassantes sur son passé. C’est seulement tout à la fin du film, lorsqu’il est complétement démuni, qu’il devient presque pathétique, comme s’il souhaitait en finir et que la police l’arrête pour mettre fin à son calvaire. John Hurt est bon dans le rôle de Timothy. Encore jeune à cette époque, il manifeste l’incertitude de sa vie mécanique dont il ne maitrise absolument rien. C’est le frustré parfait dont les mensonges tentent de compenser le vide existentiel dans lequel il se vautre. Judy Geesom incarne la jeune Beryl, et je dois dire que c’est encore elle qui est la plus impressionnante de ce trio infernal. Peut-être son physique de poupée l’a-t-il empêché d’accéder à des rôles plus intéressants, mais par la suite sa carrière fut assez transparente. 

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    La police présente les habits de Beryl et de Geraldine 

    Le public comme la critique l’a bien accueilli à sa sortie, et c’est devenu avec le temps un film emblématique dans le sous-genre des films d’étrangleur. Il a eu un peu moins de succès en France où, pour des raisons sans doute de culture, les histoires de serial killer ont moins de succès que dans le monde anglo-saxon. Cette affaire sensationnelle eut des conséquences importantes. Le fait qu’Evans ait été condamné et pendu à tort, que la justice l’ait réhabilité, a appuyé la campagne d’opinion qui aboutira à la suspension puis à l’abolition de la peine de mort. En 2016 une mini-série de trois épisodes a été tournée pour la BBC avec Tim Roth dans le rôle de Christie. Au-delà de l’importance culturelle de cette affaire criminelle, il faut voir aussi ce film comme un excellent exercice de style qui démontre une fois de plus de la maitrise de Richard Fleischer, cinéaste selon moi encore largement sous-estimé.

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971.  

    John Christie sera rattrapé par son passé 

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    Le vrai John Christie et sa femme 

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971. 

    Timothy Evans, Geraldine et à droite Beryl

    L’étrangleur de Rillington place, 10 Rillington place, Richard Fleischer, 1971.



    [1] Les grands criminels, Le Pré aux Clercs, 1989. Ceux qui ne connaissent pas cet ouvrage doivent impérativement se le procurer, c’est un chef d’œuvre d’humour noir et caustique.

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