• L’homme qu’on aimait trop, André Téchiné, 2014

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    Malgré la présence de Guillaume Canet et de Catherine Deneuve, ce film est un lourd échec commercial et cinématographique. Le sujet est pourtant passionnant et il s’est inspiré de l’extraordinaire saga judiciaire d’Agnelet, accusé du meurtre d’Agnès Le Roux, acquitté, puis condamné définitivement après 17 ans de procédure. Pendant ces longues années de procédure Maurice Agnelet s’est réfugié derrière l’idée que sans cadavre retrouvé, il ne serait jamais condamné. Mais il s’est trompé. Il a été condamné une première fois parce qu’il n’avait pas de vrai alibi, ou plutôt l’alibi qu’il s’était concocté reposait sur le témoignage de sa maîtresse qui, lassée d’être maltraitée par lui, décida d’avouer le faux témoignage. Le procès fut rejugé cette année en appel, mais cette fois, au-delà des turpitudes financières d’Agnelet, c’est son propre fils qui révéla devant un auditoire interdit que son père lui avait avoué le meurtre d’Agnès.

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    Le cadre est la guerre des casinos qui sévit à la fin des années soixante-dix sur la Côte d’Azur

     

    Cette histoire plutôt sordide a révélé un Agnelet cupide et manipulateur. Il a tué Agnès Le Roux pour s’emparer de l’argent qu’ils avaient sur un compte commun. Cet argent provenait de la trahison d’Agnès dans la guerre des casinos qui opposa à Nice Jean-Dominique Fratoni, notoirement lié à la mafia sicilienne, à la mère d’Agnès, propriétaire du Palais de la Méditerranée que Fratoni voulait s’approprier. Dans cette salade, Fratoni avait trouvé des alliés, notamment l’ancien et sulfureux maire de Nice, Jacques Médecin qui dut plus tard prendre la fuite misérablement pour échapper à la prison. Agnelet quant à lui a longtemps pu échapper à la justice parce qu’il avait des relations directes au sein de la franc-maçonnerie niçoise qui était très présente dans la magistrature locale.

    Je rappelle ces quelques faits bien connus pour dire à quel point la matière de ce film était riche et pouvait donner naissance à un excellent film noir. Car l’âme d’Agnelet est noire, au plus profond.

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    Agnelet pique de l’argent à sa maîtresse

     

    Pour éviter les ennuis, les producteurs du film se sont assurés la collaboration de Jean-Charles Le Roux, le frère de la disparue. Pourtant les difficultés commencent dès le titre qui a été donné au film. Ce qu’il suggère est à la fois très peu clair, et pompeux. Mais en tous les cas il essaie laborieusement de s’éloigner du film noir, sans qu’on comprenne très bien le point de vue du réalisateur.

    Essayant d’éviter le film d’enquête en sabordant toute la partie qui tourne autour de la recherche d’Agnès, Téchiné simplifie les procès qui ont jalonné cette affaire en ne retenant que le procès où il a été acquitté, signalant seulement par inadvertance les deux procès où il a été condamné. Ce faisant, il fait aussi l’impasse sur les indices qui désignent Agnelet comme le coupable du meurtre. Or ces indices posent des problèmes très intéressants, parce qu’une partie d’entre eux semblent avoir été délibérément laisse là par Agnelet lui-même, pour mettre la justice sur sa piste. En outre tous ceux qui ont suivi l’affaire savent que lors du premier procès qui s’est déroulé à Nice n’a été qu’une mascarade, Agnelet étant protégé par la communauté franc-maçonne de la magistrature locale. On remarque d’ailleurs qu’au cœur de cette affaire il y a d’un côté la trahison d’Agnès vis-à-vis de sa mère, mais ensuite, la trahison du fils d’Agnelet qui dénoncera son père. Il y avait quelques chose à tirer me semble-t-il de ces sordides histoires de famille dans une bourgeoisie en décomposition si on voulait aller un peu au-delà du film noir

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    Agnelet amène Agnès à trahir sa mère

     

    Fratoni n’est représenté que comme un élément extérieur à l’affaire qui finit par se résumer à une histoire de passion amoureuse unilatérale. Or si on s’intéresse à Fratoni, on en vient au maire de Nice de l’époque, Jacques Médecin. Finalement seul le personnage d’Agnès est traité. Téchiné refuse de se prononcer sur la culpabilité d’Agnelet et ce faisant, il déforme complètement l’histoire. On ne sait rien d’Agnelet, de ces motivations. Il n’a aucune épaisseur. Est-il mauvais, est-il seulement indifférent ? On ne le dit pas. Or une dimension importante du personnage est qu’il adorait se donner l’image d’un libertin qui pouvait tout se permettre… jusqu’au meurtre.

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    Au moment du vote Agnelet encourage Agnès à voter contre sa mère

     

    Le caractère désastreux du scénario n’est pas atténué par une mise en scène forte et percutante. Au contraire, c’est très mollasson, on dirait un téléfilm. Platement filmé, les décors ne sont pas utilisés, que ce soit le casino, avec cette atmosphère très particulière, ou que ce soit la Côte d’Azur. Photographié le plus souvent avec des plans rapprochés, le film ne respire pas, il n’y a pas de profondeur de champ.

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    Le vieux Agnelet face à son fils

     

    La distribution est lamentable. La voix nasillarde et enfantine de Guillaume Canet ne donne pas la dimension tortueuse du personnage. Catherine Deneuve a l’air de s’en foutre, et les déboires de René Le Roux ne semblent guère l’angoisser. Adèle Haenel qui se donne bien du mal en roulant les yeux pour se montrer motivée et agressive, n’a ni l’énergie d’Agnès Le Roux, ni son côté marginal et déjanté. Ce qui fait qu’on ne comprend pas très bien comment elle se laisse appâtée par le couple infernal Fratoni-Agnelet. Les dialogues qui sont censés refléter l’état d’esprit très particulier des années soixante-dix, semble tout droit sorti d’une sitcom française des années 2000. On reconnaitra lors du procès Noël Simsolo qui interprète l’avocat d’Agnelet. Je passe sur le grimage ridicule de Guillaume Canet lorsqu’il interprète le vieux Agnelet.

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    Agnès Le Roux écoute l’avocat d’Agnelet réclamer l’acquittement de son client

     

     

    C’est un ratage terrible pour une histoire pourtant extraordinaire dans tous les sens du terme. Le public ne s’y est pas trompé qui a sanctionné cette entreprise au box-office.

    « Michel Ciment, Kazan, Losey, édition définitive, Stock, 2009Jon Roberts & Evan Wright, American desperado, 13ème note, 2013 »
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