• L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

     L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Hugo Fregonese est un cinéaste dont la reconnaissance est en demi-teinte. Il est souvent salué pour quelques-uns de ses films, mais tout aussi souvent oublié. Ses films les plus connus sont Apache Drums, l’excellent Man in the Attic[1], remake de The Lodger, ou encore The Seven Thunders, un film sur la Résistance. Il a touché un peu à tous les genres, western, film noir, films d’aventures, chaque fois en y apportant cependant une touche personnelle, comme une relecture. Il termina sa carrière en Europe, en Italie et en Espagne, travaillant sur des films de genre à budget modeste, avec assez peu de succès. Hugo Fregonese était un cinéaste argentin, et One Way Street est son premier film aux Etats-Unis. Le scénario est bricolé par l’obscur Laurence Kimble en recyclant des pièces et des morceaux des films noirs qui avaient eu avant lui de bons succès. On y trouve des références à Criss Cross de Robert Siodmak[2], référence renforcée par la présence de Dan Duryea dans la distribution, ou encore au film de Lewis Seiler, King of the Underworld[3]. L’œuvre de B. Traven plane au-dessus de cette histoire pour la longue parenthèse mexicaine, et bien sûr également The Treasure of the Sierra Madre de John Huston[4] Ces emprunts évidents ne veulent pas pour autant dire que ce film est un simple raccommodage d’idées qui trainaient dans ces années-là. En télescopant des formes détournées d’autres films, le scénario arrive à une certaine originalité. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Le docteur Matson est appelé pour soigner Ollie qui a reçu une balle lors d’un hold-up 

    La bande de John Wheeler vient de commettre un hold-up. Leur chef, Grieder et Ollie attendent deux membres pour faire enfin le partage du butin. Ollie étant blessé, Laura, la maitresse de Wheeler va chercher le docteur Matson qui travaille pour la pègre. Celui soigne le blessé puis donne des cachets à Wheeler. Il va lui faire croire qu’il s’agit d’un poison. Il lui dit qu’il a caché l’antidote. Et si Wheeler veut vivre, il doit le laisser partir avec le butin et Laura ! Ça fonctionne, mais Arnie qui a tout entendu de derrière la porte, s’est cacher dans la voiture de Matson et le menace de son révolver. Mais Matson arrive à s’en défaire et le tue. Ils vont avoir un accident, lorsque la police intervient, Matson leur fait croire qu’Arnie est mort dans l’accident. Comme c’est un médecin la police le laisse partir. Il achète une voiture. Matson veut s’enfuir au Mexique, mais il n’a pas l’intention d’amener Laura. Comme celle-ci insiste, il va céder. Ils passent donc au Mexique et de là tente de gagner Mexico en louant un avion. Mais l’avion a une panne et doit atterrir en catastrophe. Pendant ce temps Wheeler comprend qu’il a été roulé dans la farine. Toutefois Matson et Laura ont des difficultés. Le pilote va tenter de trouver de quoi réparer le moteur, de leur côté Matson et Laura font la connaissance d’un prêtre qui se joint à eux autour du feu pour la nuit. 

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    Arnie s’est glissé dans la voiture pour dépouiller Matson 

    Ils sont cependant agressés par des bandits qui menacent de les tuer et de les dévaliser. Mais le prêtre a l’idée de leur faire croire que les soldats rodent dans le coin, et qu’ils risquent d’être pris. Ils s’enfuient à la vue de la troupe. Les trois peuvent continuer leur route. Ils arrivent dans un petit village pauvre où ils vont s’installer pour attendre que l’avion soit réparé. Matson trouve à s’employer comme médecin, soignant un peut tout le monde et les animaux aussi. Le village les adopte bien qu’il n’ait pas réussi à sauver une petite fille malade et que la guérisseuse du village déteste la concurrence du docteur. Cependant la bande à Wheeler a retrouvé la piste des fuyards. Au village Matson et Laura coulent des jours heureux, et avec l’aide du prêtre il va même monter une table d’opération. Tout va bien jusqu’à ce que les bandits reviennent les harceler. Ils menacent non seulement de voler la montre du docteur, mais aussi de violer Laura. Cependant les soldats arrivent et tuent Francisco Morales, arrêtant les autres bandits. Mais Matson est averti par le prêtre qu’on le recherche et Laura aussi. Le docteur comprend qu’il ne peut pas rester à attendre et décide d’aller au-devant de Wheeler. Il retourne à Los Angeles, et téléphone pour lui dire qu’il va lui rendre l’argent. Wheeler accepte, mais Ollie n’est pas d’accord et a descendu Wheeler. Quand Matson arrive celui-ci agonise. Quand Ollie tente de prendre le butin, Matson le tue. Il peut alors retourner vers Laura, mais en traversant la rue, il se fait écraser par une automobile. Il meurt sur le coup. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Matson a eu un accident 

    De nombreux thèmes s’entremêlent, même si c’est le classique trio autour d’une femme adultère qui structure le drame. C’est d’ailleurs ce trio singulier qui fait que les personnages ne sont guère sympathiques. C’est tout de même Wheeler qui apparait le moins faux, même si c’est un gangster, c’est le seul qui ne trahit personne. Le docteur Matson est un opportuniste qui accepte de travailler pour la pègre pour de l’argent, et qui vole la femme de son puissant patron, en même temps qu’il lui vole son argent, argent certes bien mal acquis, mais sont argent tout de même. Laura est tout aussi sournoise, et il n’est pas certain qu’elle serait partie avec le docteur si celui-ci n’avait pas mis la main sur le pactole. Les personnages sympathiques apparaissent à partir du moment où l’avion qui transporte Matson et Laura est obligé de se poser en catastrophe. Le Mexique est donc la terre de la rédemption. D’abord parce que les habitants du petit village, y compris le prêtre, n’ont pas d’ambition autre que de vivre dans une certaine harmonie avec la nature. Ils ne sont pas des consommateurs, et certainement pas cupides. Bien entendu, à côté de ces villageois, on trouve des bandits à moitié stupides, mais méchants. Ils sont une pièce rapportée dans ce paysage paisible où on se contente de peu. La première utilité de ce transport au Mexique est de construire une opposition d’avec le mode de vie frénétique des Américains, obsédés par la réussite sociale et pécuniaire. Ce sont ces paysans mexicains qui vont transformer Laura et Matson, leur ouvrant les yeux sur ce qui est important dans la vie. Lorsqu’ils arrivent dans ce village qu’ils ne connaissent pas, au bord de la mer, ils ont l’impression d’être arrivés au Paradis. Et donc qu’ils peuvent vivre un recommencement. C’est donc bien plus qu’une rédemption, c’est une révélation. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Laura voudrait partir avec Matson

    Ils ont vécu dans l’erreur, il leur faut se reprendre. C’est ce qu’ils vont faire quand Matson décide de retourner à ses risques et périls pour rendre l’argent à Wheeler. cela le perdra finalement, mais il aura vécu selon sa propre loi, sa propre morale. L’amour qu’il découvre envers Laure est un instant de bonheur qui compense tout ce qu’il a vécu et ce qu’il risque de vivre en retournant à Los Angeles.

     L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950 

    Wheeler comprend que Matson l’a trompé 

    Bien entendu, c’est un film américain, et donc on y trouvera une condescendance assez déplacée. Les Américains amènent avec le curé le progrès ! Ils sauvent des vies et aident les pauvres. Mais cette vision assez standardisée de la vision qu’Hollywood se faisait du Mexique, est largement compensée par le fait qu’en tournant dans des décors naturels, ils présentent se pays comme une sorte de modèle, le monde tel qu’il doit être avant que l’homme ne le détruise et ne le transforme. On a souvent vu au cinéma le Mexique comme un pays infesté de bandits coupeurs de gorge et de misérables. Mais ici, sans doute est-ce la leçon de Traven, on en vante au contraire la simplicité, la vérité humaine. Cela va avoir une importance capitale dans la manière de filmer. Tout cela donne cependant des images assez incongrues : le prêtre en train de prier à côté du docteur en train d’opérer ! Comme si nous avions besoin de ces deux professionnels, la caméra les mettant sur le même plan. Mais le Mexique est malade, l’enfant est malade, les animaux sont malades, et il faut donc aider ce pauvre pays d’une manière ou d’une autre. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Guidés par le prêtre, ils arrivent dans un petit village 

    Venons-en aux emprunts. Il y a d’abord le plus évident, la fourberie de Matson, médecin à qui on fait confiance, il fait croire à Wheeler qu’il l’a empoisonné. On trouve cette même idée dans King of the Underworld de Lewis Seiler. Dans le deux cas le médecin manipule le gangster, si cela signifie bien que le médecin qui a fait des études est plus intelligent que le gangster qui ne compte que sur sa force brutale, cela signifie aussi que le médecin est un manipulateur et qu’il faut y regarder à deux fois avant de lui faire confiance. Le fait que le « héros » prenne la femme du chef de bande est dangereux bien sûr, suicidaire même, c’est exactement ce que fait Steve Thompson, incarné par Burt Lancaster dans Criss Cross de Robert Siodmak, face à Slim Dundee incarné par Dan Duryea. Que ce soit Matson ou Thompson, dans les deux cas, c’est le désespoir qui les pousse et qui ouvre la porte de la fatalité. Cette fatalité, au fond c’est la meme que celle qu’on trouve dans The Treasure of the Sierra Madre. Dobbs dans le film de John Huston est entrainé sur la pente fatale par l’amour de l’or, cet amour qui le rend fou. Ici Matson paye justement cette folie d’avoir voulu s’approprier un butin fabuleux. Les bandits qu’on trouve dans les deux films sont tout à fait les mêmes, bêtes et méchants, ne vivant que pour faire le mal, tuer et violer.  Il ne s’agit donc pas tout à fait de la morale ordinaire. On peut ajouter aussi Ride the Pink Horses, pas seulement parce que le héros s’entiche aussi d’une toute jeune mexicaine – parallèle avec le guide Matson dans le film de Fregonese – mais aussi parce que le fuyard échoue dans un petit village mexicain qui lui donne une leçon de vie[5]. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Matson va soigner la mule 

    A côté d’une intégration judicieuse des décors mexicains, la mise en scène de Fregonese est extrêmement fluide. Il utilise souvent des contreplongées pour situer ses personnages dans l’incertitude de leurs décisions. Mais son montage n’est pas haché, au contraire, ce qui permet de varier le rythme. Il utilise souvent des plans longs en filmant les personnages en déplacement, en les suivant. Quand Matson reçoit de la part du prêtre la mauvaise nouvelle qui lui fait comprendre que Wheeler est sur sa piste, on a un long travelling qui accompagne sa méditation en traversant tout le village. La parenthèse du Mexique est encadrée par des séquences qui sont des classiques du film noir. Par exemple Arnie qui s’est caché dans la voiture et qui sort comme un diable de sa boite. Ou encore à la fin quand Matson traverse la rue pour se diriger vers l’immeuble de Wheeler sous la pluie. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950 

    Ollie a retrouvé la piste de Matson 

    Il sait aussi utiliser les plans larges, par exemple pour mettre sur un pied d’égalité Matson et le père Moreno lors de l’opération du petit mexicain dont Matson s’est entiché. Cette scène saisissante résume au fond ce qu’on dit des rapports entre la religion et la science, et donc entre le Mexique et les Etats-Unis. L’arrivée silencieuse des bandits est inspirée de celle qu’on voit dans The Treasure of the Sierra Madre – idée qui sera reprise, mais avec un autre sens par Peckinpah pour The Wild Bunch. Dans l’ensemble rythme est soutenu, malgré les temps de repos qui saisissent Matson et Laura dans leurs difficultés. Le film ne dure que 1 heur 19. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Les bandits ont investi le village 

    Bien que le film ne soit pas un très gros budget, le niveau de l’interprétation est assez relevé, ce n’est pas de la série B. les acteurs sont connus et ont déjà de la bouteille.  Matson est incarné par le très raide James Mason. S’il a l’air sombre et tourmenté, comme très souvent, il est assez peu convaincant quand nous le voyons admettre qu’il est amoureux de la belle Laura. Il nous laisse un peu de marbre. Marta Toren qu’à l’époque on présentait comme la nouvelle Ingrid Bergman, sans doute à cause de son accent, tient à peu près sa place. Elle est belle femme, mais elle a l’air d’être toujours un peu ailleurs. On voit mal un homme se damner pour elle. Dan Duryea est justement cet homme qui se meurt d’amour pour sa maitresse qui l’a trahi. Il est comme toujours excellent, on peut toujours voir le film rien que pour lui. Il a un rôle plus étroit que James Mason et Marta Toren, mais il est plus subtil puisqu’en effet, il joue les durs inflexibles, capable de tuer qui s’opposera à lui, et en même temps le malheureux abandonné par la femme qu’il aime et qui l’a trahi. On a tout de même de la sympathie pour cet homme qui souffre réellement. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Le prêtre a récupéré une carte postale qui annonce une mauvaise nouvelle 

    Les seconds rôles sont de première qualité. D’abord le suiffeux William Conrad dans le rôle d’Ollie, le fourbe truand qui descendra son patron. Il a joué tout une palanquée de figures de ce type. C’est dans The Killers de Robert Siodmak qu’il avait trouvé cette voie et il l’a creusée. Ensuite, Jack Elam dans le rôle du mauvais Arnie, il lui suffit de paraitre pour incarner le mal. Comme d’habitude, il disparait rapidement ! King Donovan incarne Grieder, le petit bandit qui a une bien trop grande hate de toucher sa part et que Wheeler va descendre. Basil Ruysdael est le père Moreno, toujours plein de subtilité. Dans la partie mexicaine on reconnaitra les mêmes bandits qu’à cette époque on trouvait un peu partout dans les films américains qui se passaient au Mexique, il semble que cela venait de la mainmise du syndicat des acteurs mexicains sur ces coopérations, du moins sur les petits rôles. On reconnaitra aussi pour un œil exercé Rock Hudson qui incarne le chauffeur de camion qui déclenche l’accident. C’était presque de la figuration.    

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Matson appelle Wheeler 

    C’est un très bon film noir et un très bon Fregonese. Trop sous-estimé, oublié pratiquement, il vaut un peu plus que le détour. Sans doute ce désintérêt vient-il du fait qu’il n’a pas été un grand succès commercial. Il a pourtant été distribué à l’époque en France sous le titre calamiteux de L’impasse maudite, sans doute pour rappeler le film d’Henry Hathaway. La qualité de la photo de Maury Gertsman, avec de beaux contrastes, et celle du cadre ajoute à son intérêt. Malheureusement il n’existe pas de copie en qualité numérique sur le marché français. C’est un manque qu’il serait bienvenu de combler. 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Matson veut rendre l’argent à Wheeler 

    L’impasse maudite, One Way Street, Hugo Fregonese, 1950

    Ollie a abattu Wheeler pour s’approprier le butin

      



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/l-etrange-mr-slade-man-in-the-attic-hugo-fregonese-1953-a130505748

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/pour-toi-j-ai-tue-criss-cross-robert-siodmak-1949-a148583914

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/hommes-sans-loi-king-of-the-underworld-lewis-seiler-1939-a213052795

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/le-tresor-de-la-sierra-madre-the-treasure-of-the-sierra-madre-john-hus-a214035393

    [5] http://alexandreclement.eklablog.com/et-tournent-les-chevaux-de-bois-ride-the-pink-horse-robert-montgomery--a127262758

    « I was a shoplifter, Charles Lamont, 1950André Héléna, Les flics ont toujours raison, World Press, 1949 »
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