• L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

     L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

    Ce n’est pas le meilleur des collaborations entre Jean Gabin et Julien Duvivier, cela provient d’une forme d’hybridation entre le film de propagande anti-nazi et le film noir. Je n’ai rien contre les films anti-nazi, bien au contraire, mais cela dépend comment cette propagande est menée. On ne peut pas dire non plus que Julien Duvivier se soit tardivement converti à l’anti-nazisme. Son dernier film avant l’Occupation, Untel père et fils, était une lourde charge contre les Allemands présentés comme venant d’une manière récurrente nous envahir et nous pourrir la vie à travers les trois guerres qu’ils avaient menées contre nous depuis 1870. Untel père et fils réalisé en 1940 anticipait clairement la nécessité de la Résistance et celle de l’unité nationale. C’était un film gaulliste avant l’heure si je puis dire, puisqu’à cette époque De Gaulle n’était pas très connu du grand public. Peut de gens aiment ce film anti-Boches[1], mais moi je l’aime bien, peut-être à cause de sa première partie sur la Commune comme conséquence de la démission de la bourgeoisie face à la Prusse. Après tout Duvivier était d’origine très modeste, très imprégné de culture populaire comme on l’a vu dans ses autres films. Donc on ne saurait reprocher à Duvivier d’être un anti-nazi d’occasion. A Hollywood on avait fait beaucoup de films de propagande pour la guerre. C’était une des priorités de Roosevelt qui savait que les Américains étaient très réticents à entrer dans le conflit. Mais il pouvait compter aussi sur une gauche très puissante et qui depuis la Guerre d’Espagne militait contre le fascisme. Hollywood défendra donc la vision rooseveltienne du conflit, y compris l’alliance entre la Russie soviétique, celle de Staline, et les Etats-Unis. Ça donnera par exemple Action in the North Atlantic, Across the Pacific de John Huston, ou Casablanca tous avec Humphrey Bogart. Certains ont avancé que The impostor était intervenu trop tard, puisqu’en 1944 le conflit était presque terminé, ou du moins on savait que la défaite des puissances de l’Axe était inéluctable. Mais c’est cette même année que sera tourné par la MGM Song of Russia de Gregory Rattoff, film très pro-soviétique avec Robert Taylor qui deviendra pourtant un des piliers ensuite de la propagande anti-communiste ! Mais aux Etats-Unis à cette époque nous sommes en plein développement du film noir, et très souvent le film noir s’articule sur des événements liés à la guerre. On ne compte pas les films noirs où le héros perd la mémoire et son identité. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944 

    Dans la cour de la prison la guillotine est dressée 

    Clément est condamné à la guillotine pour avoir tuer un homme dans une bagarre. Nous sommes en 1940, au moment de l’invasion de la France par les Boches. Mais au moment de son exécution, la prison est bombardée, ce qui lui permet de s’évader. Errant sur les routes, il monte dans un camion de soldats. Mais le camion est à son tour bombardé. Il y a de nombreux morts, Clément va saisir l’occasion pour prendre l’uniforme et les papiers d’un nommé Lafarge. Changeant d’identité et de statut, il va embarquer à Bordeaux sur un bateau qui part vers l’Afrique pour rejoindre une partie de l’armée française qui n’a pas capitulé. Sur le bateau il va se trouver des copains. Tous vont se retrouver dans la jungle pour construire un camp et une piste d’aviation. Bien qu’il soit très réservé, Lafarge commence à se lier d’amitié avec ces combattants de la France Libre. Il participe à des combats et reçoit des promotions pour ses actes de bravoures, il devient sous-lieutenant, puis lieutenant. Mais arrive une femme, Yvonne qui est à la recherche du vrai Lafarge qui va être décoré pour des actes de bravoures pendant la campagne de France. Cette fausse identité perturbe Clément qui va finir par avouer à Monge qu’il est en vérité un repris de justice. Celui interviendra auprès d’Yvonne afin qu’elle ne le dénonce pas en vantant les qualités de camaraderie et d’abnégation de celui qui a pris la place de son fiancé. Plus tard le faux Lafarge est confronté à un ami du vrai Lafarge, mais ça passe encore. A Yvonne qu’il retrouve à Brazzaville, il racontera sa vie de misère, marquée par la fatalité. A cette occasion il dira ne pas regretter d’avoir usurper l’identité de Lafarge. C’est plus difficile quand il est reconnu par un soldat qui était avec lui dans le camion et qu’il dit au supérieur de Lafarge que celui-ci a volé les papiers et l’uniforme du soldat mort. Clément avoue et il va passer devant le tribunal militaire qui le condamne à la dégradation de ses titres et médailles. Il est renvoyé sur le front, où il mourra en héros, mais sans que son nom soit mentionné sur la croix qui signale sa tombe. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

    Le soldat Monge voudrait bien trouver un chef

    Certains ont voulu regarder ce film comme un exercice de propagande sans signification. Le comparant souvent à La Bandera auquel il emprunte cette fuite d’un criminel dans la légion étrangère. Mais c’est oublié que Duvivier est le producteur du film, qu’il en a écrit le scénario. Si on le regarde du point de vue guerrier, c’est un film patriotique, mais on doit le voir d’abord comme le récit d’un homme à la recherche de son identité, un homme qui refuse son passé et qui veut s’en recréer un. En empruntant une identité qui n’est pas à lui, il va devenir un héros, comme le vrai Lafarge d’ailleurs, comme si le fait de lui avoir voler ses papiers l’avait changé, comme s’il endossait en même temps que l’identité, la rigueur morale du mort. C’eest évidemment cet aspect là qui est le plus intéressant. On a donc un homme qui évolue dans son comportement et dans sa vision du monde. Au début, révolté, il ne songe qu’à sauver sa peau, il ne s’intéresse ni à la guerre, ni à ses copains. Puis dans un deuxième temps il va sqe révéler un militaire enthousiaste et un ami sûr. Son comportement même lui révèle un autre monde. Mais quand Yvonne va apparaître pour retrouver le vrai Lafarge, il va développer un complexe de culpabilité. Il ne supporte pas d’avoir menti, d’avoir voler la personnalité d’un autre, et pourtant il va vouloir garder le nom de Lafarge parce que c’est grâce à ses papiers qu’il a trouvé sa véritable identité. Il est donc écartelé entre la rigueur morale qui lui impose de se dénoncer, et la nécessité de vivre dans une nouvelle peau. Cet écartèlement le conduit devant le tribunal militaire et à la dégradation. Repartant pour le front, il ne pourra que mourir dans un dernier acte héroïque qui doit se comprendre comme un suicide. Ce n’est donc pas le parcours d’un homme qui marche vers la rédemption, c’est tout au contraire l’impossible rédemption d’un homme marqué par la fatalité. A la dureté de la prison et de sa condamnation pour meurtre, pour avoir été mêlé à une bagarre, répondra la dureté de la cour martiale : à chaque fois la société le rejette, sans chercher vraiment à comprendre les raisons de son parcours. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

    Dans la jungle les hommes vont construire un camp 

    Le scénario est construit sur des personnages emblématiques. Monge est celui qui joue un rôle décisif : soldat perdu au moment de la débâcle, il vient à Lafarge parce qu’il croit qu’il est sergent et lui demande des ordres. Mais ce faisant il se met aussi en disposition d’amitié, et cette attitude va finalement modifier le comportement asocial de Lafarge. C’est le personnage clé du film. Les autres sont plus prévisibles. Comme Lafarge sauvera la vie au lieutenant Varenne, celui-ci le défendra avec toutes ses tripes face à l’intransigeance de la cour martiale. Car derrière cette histoire plus ou moins cocardière, il y a la rigidité des institutions qui ne font strictement rien pour comprendre. Comme dans de nombreux films de Duvivier, jusqu’à Chair de poule[2], l’amitié entre hommes joue un rôle décisif, c’était déjà le cas dans La bandera, La belle équipe ou encore Pépé-le-Moko. Même si cette amitié s’effiloche souvent dans la mort et la trahison. C’est parce qu’il découvre l’amitié, que des soldats l’apprécient sans rien lui demander de son passé, qu’il va s’insérer dans un projet collectif de taille : reconstruire la France. Il y a aussi le portrait fugace d’Hafner qui ne rêve que de se battre et de prouver sa valeur, mais qui n’aura jamais l’occasion de le faire et mourra sans tirer un coup de feu. Yvonne intervient tout de suite comme une menace susceptible de briser l’amitié entre les hommes, on a vu ça dans La Belle équipe ou dans Chair de poule. Dès qu’on voit apparaître la femme, sous les traits d’Yvonne, le film bascule puisque nous passons de la reconstruction de Clément en Maurice Lafarge au suspense d’une possible destruction. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

    Lafarge reste à l’écart 

    Tout tourne autour de l’ambiguïté des personnages qui ont du mal à se libérer de leur passé et à vivre l’instant, cette communion simple entre être humains solidaires face au danger qui les menace. Même Yvonne devra faire l’effort de passer au dessus de ses souvenirs pour pardonner au faux Lafarge. D’ailleurs cette défense de la patrie pour importante qu’elle soit, n’est-elle pas un peu abstraite, n’est-elle pas un prétexte pour le devoir d’amitié, l’exaltation du danger qui oblige à la solidarité ? On retrouve ce qu’on a appelé le pessimisme de Duvivier, mais qui n’est au fond qu’un amour de la vérité des sentiments au-delà des faux semblants et des codes édictés par la société. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944 

    Yvonne demande des nouvelles du vrai Lafarge 

    C’est un film a petit budget pour les Etats-Unis, et c’est le dernier film américain de Jean Gabin et de Duvivier. Ils n’y reviendront plus. Duvivier était producteur sur ce film également. Réalisateur, producteur et scénariste, il est donc l’auteur en plein. Cependant, sans qu’on sache trop quelles sont les contraintes qui ont pesé sur le film du côté des studios, il y a un grave déséquilibre dans la thématique comme dans la mise en scène. Trop de place est accordée à la démonstration d’un patriotisme un peu simplet. Duvivier est plus convaincant quand il s’attarde sur les complexités de son héros et qu’il décrit ce petit groupe qui devient une vraie famille, que quand il chante la gloire de De Gaulle et de la France.  Ce n’est pas que le message soit discutable, mais plutôt qu’il est assené avec une lourdeur inhabituelle chez Duvivier. La pédagogie ne lui convient pas. Mais il y a quelques très belles scènes. D’abord l’ouverture avec cette guillotine stylisée – que Gabin retrouvera dans Deux hommes dans la ville de José Giovanni – qui se dresse comme un horizon indépassable. C’est une sorte d’héritage de l’expressionisme allemand. Il y a ensuite cette scène dans la jungle où Lafgarge se tient à l’écart de ses copains, mais peu à peu il va s’en approcher, avec un mouvement de caméra qui l’inclus dans le champ. La double confrontation entre Yvonne et le faux Lafarge est très réussie et émouvante, avec une caméra qui tourne autour des deux protagonistes comme pour chercher une solution à leur dilemme dans leur regard. J’aime beaucoup aussi la sobriété du passage en Cour martiale et la dégradation où on voit Lafarge passer en revue les troupes bien alignées, comme s’il refaisait à l’envers le douloureux chemin de sa rédemption. Les points les plus faibles sont les scènes de combat, la levée des couleurs, comme si Duvivier ne s’intéressait pas vraiment à la guerre et que certains attribuent à la faiblesse du budget. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

    Clément avoue qu’il n’est pas Lafarge à Monge 

    L’interprétation c’est d’abord Gabin dans le rôle du faux Lafarge et du vrai Clément. C’est le genre de double rôle pour lequel il était fait. Il retrouvera encore cette figure de l’homme en fuite, victime de la fatalité ayant commis un meurtre, dans Au-delà des grilles de René Clément en 1949. Il est très bon. Notamment dans les scènes où il doit exprimer des sentiments en se taisant. Il avait déjà les cheveux qui blanchissaient. Le reste de la distribution n’est pas très convaincant, sauf sans doute John Qualen dans le rôle de Monge, le bavard ami de Lafarge. On reconnaitra aussi Peter Van Eyck dans le petit rôle d’Hafner, lui n’avait pas encore les cheveux blancs, mais ça allait venir très vite. Les autres acteurs n’ont pas vraiment l’occasion de faire étalage de leur talent. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944 

    Yvonne comprend tout à fait les raisons qui ont amené Clément à usurper l’identité de Lafarge 

    Film plutôt mal aimé dans la carrière de Gabin comme dans celle de Duvivier, The impostor ne mérite pas autant d’indignité. Le succès commercial est au rendez-vous au moins en France. Le public l’accueillera bien mieux que Voici le temps des assassins. Gabin reniera ce film à demi-mots, et Duvivier parlera d’un simple film de propagande à destination du marché américain. Malgré les déséquilibres qu’on a dits, il est très intéressant et se voit très bien encore de nos jours. Vous noterez que Duvivier soigne comme à l’accoutumé la bande son. Quoique d’entendre le discours du général De Gaulle du 18 juin 1940, ça fait tout de même un peu drôle ! Le succès commercial ne fut pas au rendez vous, ni en France ni aux Etats-Unis, et c’est sans doute ce qui accéléra la volonté de Gabin et de Duvivier de rentrer en France. Gabin qui revint en tant que simple soldat de la 2ème DB où il s’engagera juste après avoir tourné The impostor, est très bien accueilli car sa popularité est intacte. Ce n’est pas le cas de Duvivier a qui on reprochera d’avoir fuit le territoire français et donc d’avoir manqué de patriotisme. Duvivier en retirera beaucoup d’amertume. Mais de très nombreux cinéastes avaient fui, à commencer par Jean Renoir qui s’était réfugié aux Etats-Unis, ou encore Pierre Chenal dont le vrai nom était Philippe Cohen et qui fuira l’antisémitisme en Argentine. Ils seront pas du tout ennuyés par l’épuration qui sévissait alors dans les arts et particulièrement dans le cinéma. Gabin ne retrouvera Duvivier que quinze ans plus tard avec Voici le temps des assassins. 

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944

    Clément passe devant le tribunal militaire

    L’imposteur, The impostor, Julien Duvivier, 1944 

    Clément va être dégradé



    [1] Yves Desrichard, dans un ouvrage très malveillant, est très sévère envers ce film qu’il lui semble être plutôt un acte de démobilisation pendant cette période qu’on a appelé la drôle de guerre. Il fait de Duvivier un chantre de la bourgeoisie, oubliant au passage de parler de la Commune. Malheureusement c’est un des rares livres sur Duvivier, l’auteur nous dit qu’il a passé 5 ans de sa vie pour le démolir ! Julien Duvivier, Durante, 2001.

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/chair-de-poule-julien-duvivier-1963-a119337556

     
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    1
    Samedi 30 Janvier 2021 à 17:46
    2
    Dimanche 31 Janvier 2021 à 10:33
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