• L’OMBRE DE GAETAN ZAMPA

    Marseille opus mafia, Jean-Louis Pietri, La manufacture de livres 2012

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    Le hasard de mes lectures fait qu’aujourd’hui encore je commente un ouvrage publié par La manufacture des livres, maison qui chronique sans relâche le grand banditisme avec une grand application à travers des romans et des témoignages.

    Ça se passe à Marseille dans les folles années quatre-vingts. La police traque un parrain, Antoine Di Rosa qui règne sur la pègre marseillaise et qui travaille la main dans la main avec la mafia sicilienne. Di Rosa monte des coups tordus pour faire tomber les laboratoires de drogues situés en Sicile, afin de les récupérer dans la région marseillaise et d’en contrôler la production. Mais on n’entube pas la mafia comme ça et le retour de bâton sera violent.

    C’est le point de vue de la police. Bien que le roman soit éclaté entre les différents protagonistes, le principal personnage reste l’inspecteur Maury qui utilise avec son équipe des méthodes peu orthodoxes. Dans cette traque au goût amer, l’ensemble des personnages ne sont pas ce qu’on croit ou ce qu’ils donnent à voir. Derrière toute cette salade, il y a le personnage de Monsieur Victor, grand manipulateur qui copine avec la mafia dans une grande discrétion – cette discrétion qui ne protégera pourtant pas des balles puisqu’il en mourra. Maury entre temps tombera amoureux de la belle Madeleine prostituée de luxe qui vit plus ou moins avec un vieux truand à l’ancienne, René, un casseur qui a le sens de l’honneur, mais dont la vision du monde apparaît sacrément dépassée.

    C’est un roman à clés qui raconte la chute de Gaétan Zampa, dissimulé sous le nom d’Antoine Di Rosa, et on s’amuse au fil des pages à mettre les vrais sur les personnages du roman qui apparaissent masqués. J’avoue que je ne suis pas arrivé à retrouver tous les véritables acteurs de ce drame.

    Jean-Louis Pietri qui officie pendant une vingtaine d’années dans la police marseillaise, fit partie du commando policier qui procéda à l’arrestation de Zampa, il sait donc de quoi il parle. Pour tout ce qui concerne les procédures, les petites combines des flics pour obtenir des renseignements, il est parfaitement à son affaire. Mais comme la saga du parrain marseillais comporte énormément de zones d’ombre, il construit des hypothèses assez audacieuses. Ce qu’il peut se permettre puisqu’il les couvre par la pratique de la fiction romanesque.

    C’est donc très réaliste et appuyé sur des connaissances de première main du dossier Zampa et des combines du grand banditisme marseillais de l’époque. Tout cela ne suffirait cependant pas à faire de l’ouvrage un très bon roman sans de solides qualités d’écriture. Le découpage de l’histoire en différents tableaux qui alternent des réunions mafieuses, le montage de casses rocambolesques et le travail de la police est savamment dosé. Les dialogues sont excellents, surtout lorsqu’ils utilisent l’humour très particulier des policiers qui n’est ni l’humour des truands, ni l’humour des gens ordinaires, mélange de cynisme et de désespoir. Pietri utilise aussi des formes argotiques empruntées à Simonin. Cela peut paraître daté, mais ça correspond en fait plus à la manière de parler de la police qu’à celle des voyous.

    Tout cela suffit à faire un très bon roman noir. Mais Jean-Louis Pietri se pose aussi des questions qui n’ont jamais été élucidées vraiment. Par exemple il ne croit pas que Zampa se soit réellement suicidé et donc qu’il soit devenu réellement dépressif. Il accrédite la thèse qui a couru assez longtemps à Marseille sur le fait qu’il a été assassiné. Si cette thèse apparaît très vraisemblable, les raisons restent très obscures. Pietri suppose que la mafia, par l’intermédiaire de monsieur Victor, l’a éliminé pour faire place nette et probablement moins pour éviter qu’il ne parle. Il suppose que la mafia a voulu donner des gages de bonne conduite en éliminant le parrain marseillais de façon à avoir les mains libres pour blanchir son argent dans les casinos de la Côte d’Azur que le changement de gouvernement en 1981 lui interdit, mais également que la disparition de Zampa arrangeait aussi le maire de Marseille, nouveau ministre l’intérieur, dont Zampa avait assuré la sécurité de ses réunions électorales. Ce dernier point me semble pour ma part assez tiré par les cheveux, dans la mesure où justement ce fut Gaston Defferre qui pose le plus de problèmes  à la mafia des casinos, en décidant la fermeture d’un grand nombre d’établissements qui ne pourront du reste rouvrir qu’à l’issue de l’alternance lorsque le sulfureux Charles Pasqua prendra la tête du ministère de l’intérieur. La manière dont l’assassinat du juge Michel est également présenté, laisse aussi perplexe puisqu’il semble qu’il ait été commandité par Francis Girard et donc qu’il n’ait rien à voir avec la haine que Zampa pouvait avoir à son endroit.

    Les années quatre-vingts ont été riches en ce qui concerne le bouleversement du milieu marseillais. Pietri les présente comme des années noires, marquées d’une très grande violence. Quand on lit ce qui se passe aujourd’hui à Marseille, on a pourtant l’impression que c’était finalement une période assez calme.

    Mais ces réserves faites, après tout c’est un roman, outre qu’il s’agit d’une histoire solide, on est tout de même séduit par le réalisme de l’ensemble. On retiendra des scènes très fortes qui, à mon sens, auraient un impact cinématographique efficace, l’interrogatoire d’un petit voleur de bijoux que les flics menacent de faire passer par la fenêtre, ou la rencontre de Monsieur Victor dans un sauna avec le boss de la mafia sicilienne. 

    « En quatrième vitesse, Kiss me deadly, Robert Aldrich, 1955Samuel Fuller, Un troisième visage, Allia, 2011 »
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