• La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

     La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    A mon sens le titre italien de ce film est bien plus précis que le titre français, puisqu’en effet il reflète les préoccupations de Mario Bava à cette époque. Mais on aurait tort de croire qu’il s’agit là d’un film militant. Ce film quoiqu’on en pense par ailleurs va lancer un sous-genre qui sera prolifique, le slasher, c’est-à-dire un film où l’intrigue est particulièrement étroite mais où le jeu est d’accumuler un maximum de meurtres sanglants sans qu’on sache qui sont le ou les coupables. Il faut bien le dire ce genre s’épuise le plus souvent rapidement et ne repose que sur les effets de surprise et sur une surenchère sanguinolente. Mais il oblige à une gymnastique cinématographique pour retenir l’attention du spectateur et le prendre en défaut[1]. Très souvent tournés avec des budgets étriqués, il néglige l’histoire et se concentre sur les effets bruts. Les effets spéciaux joueront un rôle important, mais aussi la façon de déplacer la caméra pour amplifier l’efficacité de ces mêmes effets. Insister sur ces aspects implique que l’histoire passe au second plan et que la psychologie des personnages soit faiblement développée. Ce sous-genre pose un regard ironique sur le cinéma qui se donne à penser. Si le giallo a été considéré comme une critique indirecte d’une bourgeoisie décadente, le slasher va encore plus loin en ce sens qu’il s’occupe d’enlever toute illusion sur le genre humain. Il est au-delà du regard critique. Dans cette ambiance, la question écologique est le complément du slasher ! Le scénario initial a été concocté par Dardano Sacchetti, il devait être tourné par Dario Argento. Mais en raison de différents importants entre les deux hommes – essentiellement des raisons d’argent si on suit ce qu’en dit Tim Lucas[2] - ce la ne put être réalisé. Cet aspect est intéressant parce qu’on considère généralement que Dario Argento, tout original qu’il ait été, doit être considéré comme un disciple de Mario Bava. 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971 

    La vieille Donati est seule dans sa vaste demeure 

    La vieille et riche comtesse Donati est handicapée, vivant seule dans sa grande maison, elle va être assassinée par pendaison. Son assassin n’est autre que son ex-mari qui a déposé sur la table une lettre de la main de la comtesse laissant entendre qu’elle s’est suicidée. Mais Filippo Donati est assassiné à son tour. Le couple Laura-Franco a pour but de mettre la main sur la baie pour réaliser un projet immobilier de grande ampleur. Mais il ne sait pas que le comte Donati a lui aussi été assassiné. En effet Laura qui était aussi la maitresse du comte, comptait sur cette relation pour l’inciter à signer en faveur de Franco. Sur la baie vit également le couple Fossati, la femme est diseuse de bonne aventure et le mari entomologiste. Puis il y a le pécheur Simone, un pauvre garçon frustre. Survient à ce moment là un autre couple qui a deux enfants et dont la femme est l’héritière des Donati. Elle veut évidemment elle aussi mettre la main sur la baie. Mais pour l’instant elle cherche son père qui bientôt va être retrouvé mort dans le lac. Reste à retrouver le testament qui authentifiera l’héritage. Entre temps arrive un quatuor de jeunes un peu idiots qui sont là pour s’amuser. Ils investissent l’espace mais bientôt vont être tous les quatre assassinés dans la maison qu’ils ont squattée. Les uns après les autres vont être éliminés, soit à coups de harpon, soit étranglés par un fil de téléphone. Simone est à la manœuvre, mais à son tour il va être victime du couple Alberto-Laura. Celui-ci se déchaîne, puis va tenter de trouver les papiers nécessaires à l’appropriation de la baie dans son entier. Ils y arrivent, restés seuls, ils sont pourtant accueillis par un coup de fusil par leurs propres enfants ! 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971 

    Fossati est préoccupé par les insectes 

    Comme on le voit, l’intrigue est des plus sommaires, le scénario est bricolé, par exemple il n’y a aucune logique pour que des jeunes imbéciles viennent se perdre dans ce recoin perdu de ‘l’Italie pour s’y faire assassiner. Mais à travers ce déchainement de crimes violents, Bava se livre à une caricature féroce de ses contemporains. Les uns sont cupides, les autres habités d’une rancune tenace. Ils sont menteurs, dissimulateurs. Le titre de travail était Così imparano a fare i cattivi, qu’on pourrait traduire par Comment on devient mauvais ou Comment on apprend à faire le mal. Cette formule s’applique aussi bien aux adultes, aux jeunes qu’aux enfants. Si les couple Renata-Alberto finit par se faire tuer par leurs propres enfants, c’est la juste récompense de leurs propres crimes. Il est impossible de trouver dans ce film un seul personnage positif auquel on pourrait se raccrocher. C’est comme si Mario Bava se plaçait du côté de Dieu et décidait l’éradication de l’espèce humaine. Mais si le message est pessimiste quand au devenir de l’espèce humaine, il est en même temps grotesque. Cet aspect permet au spectateur de se mettre à distance de ces pantins auxquels il ne s’identifie pas. Les jeunes imbéciles qui représentent sans doute pour Bava la culture alternative de ses années-là, cheveux longs, mise en scène d’une sexualité libérée, irrespect de la nature et de la propriété privée, ne sont là que pour donner le point de vue du réalisateur sur la dégénérescence de l’Italie.   

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    Des jeunes décervelés s’introduisent dans la maison 

    La conduite du récit double une intrigue policière faible – qui a tué la vieille comtesse, qui assassine encore et toujours – d’une sorte de délectation dans les mille et une manières de tuer. Le hachoir, héritage de Il rosso segno della follia, est privilégié, il passe d’une main à l’autre, comme une transmission de témoin de Simone jusqu’à Alberto. Mais on pend aussi, avec le fil du téléphone, et même avec une corde. Le harpon servira encore deux fois, d’abord pour empaler deux jeunes qui font l’amour, puis Simone qui gêne et perturbe les plans de Renata et Alberto. Ici on rapprochera cette manière de tuer, du travail de Fossati qui épingle les insectes. La baie est donc peuplée d’insectes, dont certains comme les humaines grouillent d’une vie malsaine. Ces humains là qu’il faut bien éliminer pour conserver la nature inviolée, ne valent pas mieux que les bêtes, que ce soit des cafards ou des poulpes, ils sont aussi visqueux, et on pourrait tout aussi bien les manger comme le fait remarquer une conversation entre Fossati et Simone. Le crime est non seulement justifié, mais encouragé. Sans doute est-ce pour cela que le film a eu des ennuis avec la censure. Cependant le ton du récit est adouci par le fait que cette faune grouillante et vindicative s’entretue elle-même sans qu’on l’y pousse. C’est une race de suicidés.  

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971 

    Luca prend un coup de hachoir 

    Le film est ainsi construit, qu’il n’a presque pas de rapport avec la réalité extérieure, avec la modernité. Les protagonistes sont piégés dans un endroit assez fermé. Et cette clôture va permettre de révéler ce qu’ils sont en dehors du vernis de la civilisation. Le personnage le plus inquiétant de tous est sans doute Renata, non seulement elle tue, mais elle exerce une sorte de chantage pour que son mari fasse la même chose. Il va s’y plier et devenir un vrai tueur. Il se justifiera en disant qu’il a fait tout ça pour sa famille, mais nous ne sommes pas dupes, il a commis ces crimes non seulement parce qu’il a cédé à la domination de sa femme, mais aussi parce que l’odeur du sang a révélé ses tendances criminelles enfouies. Il est donc erroné de croire qu’il n’y a pas de psychologie dans ce film qui apparait d’abord comme un film d’action au rythme effréné. Mais cette psychologie est dépendante strictement de la position matérielle des individus lorsqu’ils sont lâchés dans la nature. La caméra de Mario Bava va faire le tour du lac, et chaque fois on rencontre un spécimen différent de la race humaine. Ils existent par leur habitation. La comtesse habite la plus luxueuse et la plus grande demeure, mais elle est seule avec son passé. Simone, le pêcheur, lui est un rustre, il habite dans une cabane mal entretenue et sale. Franco et Laura habite une maison d’agent immobilier, c’est la classe moyenne inférieure qui rêve de grandeur. Les Fossati vivent dans une maison d’intellectuels, leur espace est organisé pour observer. Quant au couple criminel avec enfants, il est transit, vivant dans un camping-caravaning, il attend le résultat de son action, ils visent de mettre la main sur toute la baie. Les jeunes sont seulement des intrus plutôt mal finis. Quant aux enfants qui tuent leurs propres parents, ils sont définitivement mauvais sous leurs airs innocents ! 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971 

    Denise et Roberto meurent ensemble, harponnés 

    A mon sens Bava a apporté plus de soin à ce film qu’à Il rosso segno della follia. La photo, signée Mario Bava, y est bien meilleure et la mise en scène beaucoup plus inventive. Les meurtres sont très travaillés, bénéficiant d’un montage très serré pour en accéléré le rythme, sans pour autant s’y attarder trop. Il utilise les flash-backs assez nombreux, faisant des allers-retours entre le présent et le passé, une manière de noter le temps qui passe comme une dégradation irréversible, mais aussi pour donner des explications au spectateur. La caméra est souvent subjective, c’est-à-dire qu’elle prend le point de vue du voyeur. C’est encore plus évident quand il film Sylvie complètement à poil qui se baigne sans se douter du danger qui la guette. Puis elle découvre un cadavre, rentrant précipitamment à la maison que ses amis ont squattée, elle franchit un nouveau pallier dans l’horreur. Bava s’attarde sur cette jeune femme pulpeuse, il la déshabille, montre ses dessous. C’est très fétichiste, mais c’est aussi le résultat des incursions qu’il avait faites dans le film érotique, . Il introduit aussi et pour la première fois le fauteuil à roulette, cet instrument dans lequel la comtesse est prisonnière est un des objets récurrents qu’on retrouve dans le film noir. Il représente presque toujours l’enfermement dans la richesse vue comme une malédiction. Il réutilisera cet ustensile dans son film suivant, Gli orrori del castello di Norimberga, en lui donnant un aspect malfaisant et fourbe. Mais ici il n’en tire pas pleinement les possibilités. Le faible budget alloué à ce film a obligé à tourner dans la propriété même du producteur Zaccariello. C’est intéressant parce que Bava donne l’impression que les paysages sont une vraie forêt, mais c’est seulement dû, selon Laura Betti à son ingéniosité. Le budget ne comprenait même pas de Dolly, il fallut faire les travellings avec un chariot d’enfant. Peut-être est-ce pour cela qu’il y a autant de scènes tournées caméra à l’épaule, ce qui ce justifie dans l’esprit du film cependant. 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    Madame Fossati part à la recherche de Simone 

    Film à petit budget, la distribution des rôles est à l’avenant. Si le couple Alberto et Renata interprété par Luigi PIstilli, un vétéran du western spaghetti, et Claudine Auger, ex James Bond girl en quête de rebond, tient tout à fait la route, le couple qui incarne les Fosatti, Laura Betti et Leopoldo Trieste, cabotine à qui mieux mieux. Ça fonctionne par couple, sauf pour Simone évidemment qui est seule et aigre. Le couple Laura et Franco est très bien avec Anna Maria Rosati et Chris Avram. Les deux couples de jeunes en balade, sont assez laids, surtout les deux garçons, et bien sûr sauf Brigitte Skay qui, dans le rôle de Sylvie, montre de qu’elle de mieux, son cul ! Cette actrice d’origine allemande est là pour assurer l’aspect coproduction internationale. Mais ces jeunes-là existent pour démontrer la bêtise de cette classe d’âge, donc ça va très bien. Il y a aussi Isa Miranda qui fut dans les années quarante une grande vedette et qui avait obtenu le prix d’interprétation féminine à Cannes en 1949 pour son rôle dans le film de René Clément, l’excellent Au-delà des grilles. 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    Alberto étrangle Fossati avec le fil du téléphone 

    Le film a été un échec commercial à sa sortie. Au point qu’on dut le rebaptiser Reaziona a catena pour le relancer. Mais au fil du temps, il devint un film de référence pour de nombreux réalisateurs qui se lancèrent dans la surenchère sanguinolente sur la base d’une errance compliquée. La musique est moyenne, la photo est bonne avec un excellent travail sur les couleurs, cependant il faut adhérer à son principe, à savoir qu’il n’y a dans ce film aucun personnage intéressant. 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    Simone est à son tour empalé 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    Alberto et Renata cherchent le testament 

    La baie sanglante, Ecologia del dellito, Mario Bava, 1971

    Alberto et Renata sont accueillis par leurs jeunes enfants



    [1] Mad Movies, Slasher, autopsie d'un genre hardcore, hors-série n° 54, juin 2020

    [2] Tim Lucas, Mario Bava, all the colors of the dark, Video watching, 2007, p. 848.

    « L’ile de l’épouvante, Cinque bambole per la luna d'agosto, Mario Bava, 1970 en Blu rayLe baron vampire, Gli orrori del castello di Norimberga, Mario Bava, 1972 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :