• La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970

     La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970 

    Voilà un film étonnant qui permet de comprendre combien le cinéma américain était bien plus audacieux dans les années soixante-dix que dans les décennies qui ont suivi. Le sujet est en effet scabreux, l’humour est grinçant, et le réalisateur ne s’embarrasse pas de formalismes. Nous sommes en 1918. Jonas Candide est bourreau itinérant. Il se balade dans les Etats du sud, allant d’une prison à une autre pour exécuter les prisonniers qui ont été condamné à la peine capitale. Il gagne bien sa vie. Jusqu’au jour où il va tomber sur une femme allemande qui doit être exécutée. C’est la pente fatale, il va être séduit par elle et il va tout faire, d’abord pour retarder l’exécution, puis ensuite pour faire une fausse exécution, et enfin pour l’enlever et la faire évader à la barbe de ses gardiens. Les choses ne se passent pas pourtant comme Jonas le voudrait. Il n’a pas la main heureuse, d’abord on lui mutile sa chaise, puis ensuite on lui vole l’argent qui aurait pu lui permettre de soudoyer le docteur – son idée étant d’envoyer une décharge pour laisser croire que la prisonnière est morte, et ensuite le docteur devait la ranimer. Allant réclamer un prêt à la banque, il tuera le garde malencontreusement. Enfin, lorsqu’il fera évader la belle Gundred, celle-ci lui faussera compagnie en embarquant son camion, le laissant aux prises avec les gardiens qui le ramasseront. Ce sera lui qui sera exécuté.

     La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970 

    Jonas prépare sa chaise 

    Le ton est volontairement grotesque, mais à travers cet humour noir, c’est à la fois le portrait d’un homme, Jonas, et celui d’une Amérique autant en guerre qu’inquiète. Jonas est un ancien prisonnier qui n’a trouvé comme moyen de rédemption que celui de devenir bourreau. Il fait semblant de s’identifier à son métier, jouant les bons professionnel. Mais au fond il est mélancolique et désespéré. Son seul rayon de soleil dans cette vie misérable sera sa rencontre avec Gundred qui pourtant se moque de lui et le manipule. Tout est donc à porte-à-faux. Le banquier qui a peur qu’on ne le prenne pas pour un bon patriote, le joueur de poker qui vole Jonas, mais aussi Jonas lui-même qui se révèle un baratineur extraordinaire. Evidemment le docteur est cupide et le gardien chef de la prison est une brute sanguinaire et concupiscente. Au bout du compte dans cette sarabande, c’est encore Jonas qui apparaît comme le plus sincère et le meilleur. Voleur, peut-être, escroc, certainement, mais il possède de vrais sentiments et accorde finalement sa pitié à un peu tout le monde.

     La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970 

    Avant de l’exécuter Jonas rassure le condamné 

    Jack Smight n’a pas fait grand-chose de bon pour le grand écran, il a été plutôt un pilier des séries télévisées. Mais enfin il a fait au moins l’excellent Harper avec Paul Newman, film qui en 1966 annonça le retour du film noir comme genre. Pour le reste il a bricolé, tournant des épisodes de Columbo, et réadaptant pour la télévision l’ouvrage de James Cain, Double indemnity ou une énième mouture de Frankenstein.  En tous les cas The travelling executioner est une belle réussite. Le sujet est original, et les retournements de situations ne sont pas toujours ceux qu’on attend. A partir d’un scénario solide, la réalisation très soignée va mettre en scène des personnages et des décors qui tout en appartenant au passé, sont la marque de l’Amérique : le pasteur tricheur, le banquier qui veut se montrer bon patriote, etc. Il utilise de longs travellings pour faire ressentir la prison et ses couloirs comme un piège qui se referme sur tous ceux qui y pénètrent. Il met en scène aussi cette naïveté congénitale des Américains qui se laissent fasciner par n’importe quel objet – ici une chaise électrique – pour peu qu’on leur dise que cet objet est moderne. Dans la scène finale on verra le jeune Jimmy, le successeur de Jonas  comme bourreau, expliquer doctement qu’il va se mettre aux exécutions aux gaz ! La Guerre de 14-18 ayant fait la preuve de l’efficacité de ceux-ci.

     La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970 

    Jonas va à la rencontre de Gundred 

    Tout le film gravitant autour de la personnalité de Jonas, c’est un véhicule parfait pour le talent de Stacy Keach. Bien que son physique limite ses possibilités – il est affligé d’un bec de lièvre – c’est un immense acteur. Il le prouve ici, comme il le prouvera un peu plus tard avec John Huston dans le magnifique Fat city. Il a joué également dans The new centurions de Richard Fleischer, d’après Joseph Wambaugh, et dans The killer inside me d’après Jim Thompson. Tout ça pour dire que ce n’est pas n’importe qui. En tous les cas il est parfait dans le rôle du bourreau mélancolique – sans doute avec Fat city une de ses meilleures interprétations. Le reste de la distribution a bien moins d’importance. Marianne Hill dans le rôle de la fourbe Gundred est bien, mais sans plus. Plus remarquable est Burt Cort dans le rôle du jeune Jimmy.

     La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970 

    Jonas vient demander un crédit au banquier Lafolette 

    Il y a des scènes qu’on retient plus facilement que d’autres bien sûr, le passage à la chaise électrique de Jonas qui tourne au drame spectaculaire, mais aussi le défilé des putains qui vont gagner leur bœuf à la prison, ce qui permettra à Jonas de trouver la somme qu’il lui faut. Mais le film ne vise pas l’effet, et le meilleur vient le plus souvent des scènes rapprochées qui détaillent l’âme noire de Jonas. 

    La ballade du bourreau, The travelling executioner, Jack Smight, 1970 

    Jonas encourage Jimmy à faire correctement son travail 

     

    Cette fable cruelle a bien passé le cap des années. Et plus de quarante années après sa réalisation, elle dégage encore un parfum d’anarchisme virulent qui est du meilleur effet. On saura gré à Jack Smight qui est aussi le producteur du film de ne pas en avoir fait un énième plaidoyer contre la peine de mort.

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  • Commentaires

    1
    Anton
    Mercredi 31 Août 2016 à 19:19

    Bonjour,

    J'ai vu ce film il y a très longtemps, j'ai vu qu'il existait un DVD américain sans sous titre français.

    L'avez vous récemment sur une chaine câblée ? 

    Sinon, bravo pour votre blog bien documenté. Je suis globalement d'accord avec vous concernant l'état du cinéma contemporain pourtant en cherchant bien, on peut trouver son bonheur, le problème est surtout le manque de temps. Idem pour la musique, la pop et le jazz, il faut fouiller mais c'est clair que des artistes de la trempe de Miles Davis, Léo Ferré n'existent plus, déjà rien que la taille pléthorique de leur discographie respective. Même problème pour la littérature, il faut explorer mais il reste de grands auteurs, Richard Powers par exemple au pif

     

    Cordialement

     

    2
    Mercredi 31 Août 2016 à 22:08

    je suis bien content  que ce blog vous plaise. Je suis d'accord avec vous pour le cinéma d'aujorud'hui, on peut y trouver quelques perles encore. Le cinéma chinois est intéressant et dynamique. C'est surtout le cinéma américain et le cinéma français qui peinent beaucoup à se renouveler. 

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