• La femme à l’écharpe pailletée, The file on Thelma Jordon, Robert Siodmak, 1950

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    Après s’être un peu égaré Robert Siodmak avec une adaptation un peu lourde du joueur de Dostoïevski, The great sinner, revient au film noir. Il choisit une histoire de Marty Holland, une solide auteur de romans noirs, dont deux ont été traduits à la Série noire.

    Cleve Marshal, adjoint au procureur d’une petite ville de Californie est déprimé par sa vie familiale, il a un beau-père envahissant. Le soir de l’anniversaire de sa femme il fuit la maison et rencontre alors qu’il est complètement ivre Thelma Jordon. Celle-ci vient lui signaler qu’elle craint pour sa tante qui est à la fois riche et âgée, et signale plusieurs tentatives de cambriolage. Pour Cleve, cette rencontre est un coup de foudre. Et cela semble réciproque. Thelma et Cleve vont entamer une liaison difficile car il est marié et père de deux enfants, et elle prétend également être mariée de son côté. Bientôt se cacher ne leur suffira plus et Cleve prend la décision de refaire sa vie avec Thelma, il avoue à sa femme avoir une autre femme dans sa vie. Mais le jour de leur départ, un crime est commis : la tante de Thelma chez qui elle vie  est assassinée, semble-t-il par un cambrioleur. Elle appelle Cleve à son secours, mais cela ne suffira pas à empêcher la  justice de la soupçonner et de l’accuser car elle est l’héritière d’une véritable fortune. Dès lors Cleve va essayer de l’aider, payant son avocat, sabotant le procès. Thelma va être acquittée. Mais bientôt on va découvrir qu’elle et son complice Tony Laredo agissaient de conserve pour piéger Cleve. Dans une scène pathétique elle avouera à Cleve qu’elle ne l’aime pas et qu’elle va partir avec Tony. Cleve s’est fait assommer. Thelma et Tony s’en vont en voiture, mais Thelma va provoquer un accident mortel. Sur son lit de mort, Thelma avouera toute la machination à la justice. Cleve perdra son travail, mais on suppose qu’il pourra toujours compter sur le soutien de sa femme. 

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    Cleve est saoul lorsqu’il rencontre Thelma

    C’est un film qui est plutôt sous-estimé dans la carrière de Robert Siodmak, mais aussi dans celle de Barbara Stanwick. Et pourtant, même si ce n’est pas un des plus grands films noirs, s’il n’égale pas Criss Cross ou The killers, c’est un film très intéressant. Certes le sujet n’est pas des plus élaborés, mais l’intrigue tient la route et les rebondissements sont suffisamment nombreux pour tenir le spectateur en haleine. Jusqu’au bout, on ne sait pas si Thelma est impliquée ou non dans le crime, jusqu’à la fin, on ignore si elle manipule ou si elle aime vraiment Cleve. Et d’ailleurs les deux principaux protagonistes ne savent pas vraiment quels sont leurs sentiments. Cleve s’il s’emballe manifestement bien plus vite que Thelma, sera par la suite plus hésitant. 

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    Thelma ramène Cleve au palais de justice 

    Comme dans tout bon film noir qui se respecte, l’ambiguïté est permanente. Cleve est un bon bourgeois, bien raide, qui n’en peut plus de sa vie familiale, il veut la transgression, d’une manière prudente et sournoise, se ménageant tout de même des possibilités de retour en arrière. Thelma est une femme manipulatrice qui vise le crime et l’enrichissement. Mais pourtant c’est elle qui paraît avoir les sentiments les plus sincères. N’est-ce pas elle qui se suicidera dans un accident de voiture quand elle comprendra qu’elle ne peut pas avoir de relation sérieuse avec Cleve et que celui-ci restera avec sa femme ?

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    Le lendemain elle l’attend devant le tribunal 

    Très vite on s’aperçoit qu’il y a une asymétrie entre les deux personnages principaux. Ce n’est pas une relation sur un plan d’égalité, les pièges de la passion, d’un amour fou sont changeants et modifient le caractère des deux amants. Cependant, il est évident que Thelma est bien plus forte que Cleve. Elle voit plus loin, elle a plus de cœur aussi. Ce n’est pas pour rien que ce scénario a été écrit par une femme – Marty Holland – au-delà de son caractère criminel, c’est Thelma qui possède la grandeur d’âme. On a souvent rapproché ce film de Double indemnity de Billy Wilder. A mon avis le rapprochement n’est pas tout à fait juste, même si probablement les producteurs visaient de refaire un succès semblable avec Barbara Stanwick. En effet Thelma n’est pas aussi cynique que Phyllis Dietrichson, elle conserve des sentiments humains et ne supportera pas finalement de laisser Cleve sur le bord de la route. Et puis Cleve, quoiqu’il ait un côté un rien sournois, n’est pas un criminel, même si on se demande si pendant le procès il ne va pas la trahir. 

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    La passion semble partagée 

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    Les deux amants se donnent des coups de fil plus ou moins discrets 

    Evidemment le film doit énormément à Robert Siodmak. Il filme d’une manière qui lui est typique et reconnaissable au premier coup d’œil. Que ce soit les escaliers chez la tante Vera, ou encore ces jardins, lambeaux de nature, qui entourent et protègent les secrets des maisons les plus bourgeoises. La photo est d’ailleurs remarquable, due à George Barnes, un vieux routier qui avait travaillé déjà pour Archie Mayo, Capra et Hitchcock. Il y a un respect des règles du film noir, avec ses ombres, ses raies de lumières qui passent à travers les volets et viennent rayer l’image. Mais le talent de Siodmak ne se résume pas à ces effets de photographie, il y a aussi une science évidente du découpage, une manière particulière de filmer les visages et la passion amoureuse.

    D’autres scènes sont remarquables, comme lorsque Thelma sort de prison et se rend à pied au tribunal pour attendre le verdict, en traversant la rue. C’est un long travelling qui donne à Thelma justement toute sa puissance, et qui annonce bien avant que la sentence soit prononcée, qu’elle sera reconnue innocente. 

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    La tante de Thelma a perçu du bruit au rez-de-chaussée 

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    Il lui faut descendre un imposant escalier

    C’est le genre de film dont la réussite ne peut se passer d’une interprétation subtile et soignée. Et Barbara Stanwick trouve là un de ses meilleurs rôles. Tout est en nuance : on peut la voir tour à tour cynique et manipulatrice, amoureuse et fragile, déterminée et tourmentée. Et comme ça tout le long du film. Dès le début elle porte un regard attendri sur le malheureux Cleve qui s’est endormi, saoul comme trente-six bourriques. Et quand à la fin elle va mourir elle a un regard à la fois résigné et pathétique. Elle nous a tellement habitués à jouer les femmes fortes et décidées qu’elle est encore plus étonnante quand elle dévoile toute sa fragilité. Evidemment à côté le triste Wendell Corey a une partie difficile à jouer. Probablement Siodmak l’a-t-il choisi pour son physique effacé et conventionnel. Ce n’est pas tant que Wendell Corey soit un mauvais acteur, lui aussi est capable de montrer une dureté sous-jacente à sa bonhommie apparente. C’est plutôt qu’il n’a pas le beau rôle, manipulé par Thelma, bousculé par son épouse – interprétée par la très belle Joan Tetzel – il a du mal à exister, parce qu’il ne sait pas ce qu’il veut finalement. N’est-il pas plus fourbe que Thelma lorsqu’il affirme à deux femmes différentes qu’il les aime ? Et puis il a un physique difficile, un manque de charisme évident. C’est une sorte de Tom Ewell, l’humour en moins.  

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    Après la découverte du crime Cleve vient en aide à Thelma 

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    Scott trouve Cleve très mauvais dans la mise en accusation de Thelma

    Même si on peut trouver le reste de la distribution un rien conventionnelle, il n’y a pas grand-chose à en dire, sauf à remarquer la luminosité de Joan Tetzel, choisie sans doute pour ne pas donner ce rôle à une épouse trop conventionnelle, Richard Rober, dans le rôle de Laredo, le gigolo un peu canaille et un peu criminel de Thelma. Ou encore bien sûr Stanley Ridges dans le rôle de l’avocat rusé et blasé à la fois. Le film est essentiellement un véhicule pour le couple Stanwick- Corey et plus encore pour la première. 

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    L’avocat démontre l’insuffisance des preuves

    Le film n’eut pas un grand succès public. Probablement qu’il faisait trop dans la nuance. Mais aussi il se trouvait trop proche des films noirs antérieurs, la parenté avec Double indemnity était patente, probablement aussi que Barbara Stanwick ne suffisait pas à attirer, malgré son talent elle n’avait pas l’allure d’une de ces nouvelles stars qui commençaient à pointer le bout de leur nez en exhibant un physique à la sexualité évidente.

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    Thelma sort de prison pour assister au verdict 

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    Après son acquittement Thelma retrouve le grossier Tony 

    Quoiqu’il en soit, c’est le dernier film noir de Robert Siodmak aux Etats-Unis, et probablement son insuccès va changer le cours des choses. A partir de ce moment sa carrière sa bifurquer, se chercher, abordant des genres nouveaux pour lui comme le film de pirate avec Le corsaire rouge, le film de légionnaire avec Le grand jeu¸ remake un peu inutile du film de Feyder, Siodmak va tourner de plus en plus souvent en Europe, perdant la cohérence qui fut la sienne à Hollywood. L’affaire Nina B s’apparente par ses manières de mise en scène au film noir, mais c’est un film d’espionnage sans grand intérêt d’ailleurs. 

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    Thelma provoque un accident mortel 

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    C’est la fin pour Thelma

    « La proie, Cry of the city, Robert Siodmak, 1948Le gang des otages, Edouard Molinaro, 1973 »
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