• La femme flic, Yves Boisset, 1980

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    On ne pourra pas dire que Boisset n’est pas aux avant-postes d’une analyse des soubresauts de la modernité. Bien au contraire. Au début des années quatre-vingts la veine anti-flic a fait son temps, comme celle de révolution sociale. Les luttes sont devenues plus parcellaires, c’est ce qu’on a appelé la lutte pour les droits. Parmi celles-ci il y a toujours la soif de justice sociale et de justice tout court, mais aussi des revendications féministes plus affirmées qui vont faire admettre que finalement les femmes peuvent aussi faire la police. C’est un phénomène qui perturbe aussi bien les hommes que les institutions puisque celles-ci, du moins à cette époque, continuent à promouvoir une virilité à travers la division du travail. Intituler son film La femme flic, c’est déjà une forme de défi. Mais comme je l’ai rappelé ici des dizaines de fois, le film noir a été un véhicule pour la remise en question d’une certaine idée de la femme. Cependant, Boisset abordera cette question par la bande d’une analyse de la pédophile comme phénomène de classe. On voit que l’esprit de Mai 68 ne souffle plus de la même manière. Les bobos comme le répugnant Dany Cohn-Bendit ont fini de nous gonfler la tête avec leur promotion de la pédophilie comme acte révolutionnaire. Et donc ce film va prendre aujourd’hui un écho différent avec les condamnations – au moins morale de Gabriel Matzneff, de Roman Polanski ou encore de ce cuistre de Cohn-Bendit. Cependant, on remarquera que le film de Boisset s’est déplacé vers le nord de la France. Et là c’est un écho à une affaire sulfureuse, celle dite de Bruay en Artois qui avait échauffé les esprits. Avec l’histoire du petit juge Henry Pascal qui avait déclenché en s’attaquant à un notable une polémique sans fin sur fond de lutte des classes. C’est également un voyage dans une France en voie de désindustrialisation rapide. Le chômage, la destruction du lien social rend la vie des prédateurs plus facile. Cela me rappelle la correspondance ignoble entre Cocteau et Montherlant qui se félicitaient de l’Occupation parce que le coût des petits garçons devenait dérisoire. Ce sujet des réseaux pédophiles n’était pas nouveau. Il a toujours été associé avec la puissance pécuniaire et politique. Mocky reprendra se thème dans Les ballets écarlates en 2002. Comme quoi on peut être anarchiste et conserver un vieux fond de morale élémentaire. On peut voir également ce film comme une revanche de Boisset sur l’échec de Folle à tuer. En effet, il s’agit d’une jeune femme isolée qui lutte pour protéger des enfants, au risque de se perdre elle-même, tant cela remet en question toutes ses certitudes. 

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    Levasseur est convoquée par le procureur 

    Corinne Levasseur est inspectrice de police à Aix-en-Provence. Mais elle a des ennuis avec le procureur pour avoir soulevé des affaires délicates et puis elle a giflé le substitut qui l’a trahie en révélant ses confidences. Elle est donc mutée dans le Nord. D’abord cantonnée à la rédaction des rapports, elle va ensuite devoir traiter d’une affaire d’inceste, un boulanger qui violait ses petites filles régulièrement. Elle se lie d’amitié avec l’inspecteur Simbert, puis avec une troupe de théâtreux dont le leader est très attiré par elle. Mais elle reste isolée. Cependant en enquêtant sur la mort d’une jeune fille, elle va avoir une autre image de la ville. Elle commence à soulever le voile sur les turpitudes de la haute bourgeoisie lensoise et lilloise. Mais elle fait des fautes, n’osant pas tirer sur un fuyard agressif, elle pousse l’inspecteur Simbert à le tuer pour la protéger. Dans cette ambiance morose, elle va rencontrer un chômeur, Cortez, qui va lui faire découvrir les dessous peu ragoutants de la ville. Cela va l’amener à démanteler un réseau de prostitution enfantine. Mais l’enquête sur la mort de la fille Watin va rebondir, d’abord sur le photographe de la maison de la culture, un ancien pédophile dont le rôle est imprécis. Mais ensuite vers le colonel et la famille Schuller, le vieux magnat de la ville qui possède tout, les banques comme les usines et les logements ouvriers. Les difficultés commencent alors, on veut empêcher la jeune Solange Watin de dénoncer le fameux Ludovic, factotum de Schuller. Les autres policiers vont se désolidariser d’elle, notamment l’inspecteur Simbert qui tout soudain se révèle moins amical. Elle trouve un appui chez un magistrat, mais celui-ci va se faire enlever le dossier après s’être fait remonter les bretelles par le procureur général. Levasseur va finalement obtenir que Solange Watin témoigne. Mais ça ne sert plus à rien. Le commissaire va la pousser à démissionner. Elle continuera son combat en tant que témoin, comme si le métier de flic était impossible dans le régime giscardien de l’époque, avec l’idée que peut-être elle risque sa vie. 

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    Seule dans la ville elle va rencontrer une troupe de théâtreux 

    Le scénario écrit avec le fidèle Claude Vieillot est très bien bouclé. Contrairement à ce que dira le critique particulièrement borné du Monde, il n’y a aucun manichéisme dans ce film. Et c’est justement là sa réussite. On ne peut pas dire que les turpitudes pédophiles ne soient que l’apanage d’une classe élevée. On voit d’ailleurs au début un boulanger arrêté pour des faits d’inceste. La différence entre les turpitudes sexuelles des gens simples et celles des hautes sphères, c’est ce ces derniers ont les moyens de se protéger. En réalité, le film est tout entier fondé sur l’ambigüité des protagonistes. D’abord Levasseur, elle croit à sa mission, mais son comportement l’amène à entraîner la mort d’un clandestin. Elle-même est sans doute consciente de cela puisqu’elle n’osera pas évoquer son vrai métier devant une troupe de théâtreux plutôt bornés pour qui par définition un flic est forcément mauvais. Elle développera d’ailleurs cette ambigüité face à Beckmann le directeur de la troupe quand elle lui demandera qui s’occupera des enfants victimes et abandonnés. L’inspecteur Simbert n’est pas un mauvais garçon, il est amical, mais il est peureux et craint pour sa carrière, le commissaire aussi. Ces gens-là sont conscients des failles de la justice et de la police, mais se pensent trop faibles pour pouvoir réagir. La question est posée : les enfants sont-ils innocents ? Et là encore la réponse est volontairement ambiguë. Les enfants sont manipulés, à coups de cadeaux douteux, de façon en quelque sorte à utiliser leur soif d’attention qu’ils manifestent, leurs parents ayant peu de temps pour s’occuper d’eux. Comme ce sont les enfants de prolos qui sont les moins protéger, ce sont les prolos eux-mêmes qui ont la meilleure conscience de la question. Cette conscience est représentée par Diego Cortez, syndicaliste et chômeur, tête dure qui explique qu’il est plus facile de trouver des coupables chez les pauvres que chez les riches.   

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    Levasseur hésite à tirer 

    C’est donc un vrai film noir, parce que sa logique mène à une impasse. Les formes institutionnelles bloquent les prises de décision courageuses. Un thème secondaire, mais important, va surgir, c’est la question de la place de la femme dans une telle société. Levasseur est une femme à la fois forte et fragile, comme la Julie de Folle à tuer. Si elle échoue en permanence, c’est parce qu’elle joue le jeu d’institutions qui sont faites par les hommes et selon une division du travail préétablie. Le féminisme supposé de Boisset renvoie plus à l’immobilisme des institutions qu’à une volonté de défendre les femmes en tant que telles. D’ailleurs tout le monde en convient, les institutions ne fonctionnent pas correctement, mais il y a ceux qui s’in insurgent et ceux qui s’en accommodent. C’est cette idée qui sans doute ne plait pas au malheureux chroniqueur du Monde : agir pour changer les choses. Quelle horreur ! Boisset n’est pas tendre avec ceux qui vivent d’une culture subventionnée, ils sont passifs, mous, juste capables de gémir et de défendre leur pré carré. Quand Levasseur finit par démissionner, c’est parce que le commissaire l’a convaincue qu’elle ne pourrait jamais rien changer en collaborant avec l’institution. On comprend qu’elle rejoindra Diego Cortez avec l’idée de renverser les pouvoirs établis. Cette idée était d’ailleurs en phase avec l’époque puisque beaucoup pensaient que les élections de 1981 apporteraient un changement radical de société. Mais cette idée ressurgit toujours d’une manière ou d’une autre à chaque crise, crise des subprimes ou crise du coronavirus. Le film va donc bien au-delà des crimes pédophiles, il pose la question du nécessaire chambardement social. On ne peut pas en effet dissocier cette question de la lutte des classes, l’affaire se développant sur ce fond terrible de désindustrialisation galopante. Je rappelle aux plus jeunes que le succès de François Mitterrand en 1981 s’explique d’abord par un rejet de la logique européiste de Giscard d’Estaing, et la contestation des inégalités de toutes sortes qui vont avec. 

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    Cortez fait découvrir les dessous honteux de la ville 

    C’est sans doute un des meilleurs scénarios de la doublette Boisset-Veillot. La réalisation est très bonne aussi, et sans effet. D’abord on appréciera un usage excellent des décors naturels, corons, usines, villes dévastées par le chômage, images de la pauvreté, sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Il y a une dignité, de la retenue, dans la représentation de cette classe ouvrière, pauvre et fatiguée. Dans ce film il m’a semblé qu’Yves Boisset utilisait plus que d’habitude la profondeur de champ, et une compréhension meilleure de l’espace, avec des beaux travellings, comme avec cette sortie d’usine, et Levasseur qui va à la rencontre de Watin en sens inverse. Boisset conserve le mouvement, après avoir pris de la hauteur, il va resserrer sur le dialogue entre Levasseur et Watin. C’est fluide et bienvenu. Les scènes tournées à Lille sont aussi étonnamment vivantes. Notez que comme pour Le juge Fayard, Yves Boisset est revenu à Aix-en-Provence pour tourner les scènes de palais de justice. Le rythme est très bon, et le temps que prend Boisset pour filmer l’insertion de Levasseur dans sa nouvelle vie n’est pas du temps perdu, au contraire, il expliquera bien des choses par la suite, notamment son isolement dans son combat. 

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    Levasseur voudrait que Watin fasse témoigner sa fille 

    Le film est construit autour de la personne de Miou-Miou. Elle est choisie pour deux raisons, d’abord à cause de son physique frêle qui fait mieux ressorti sa détermination, ensuite parce que sans doute c’est une fille du Nord, d’origine prolétaire. A l’époque elle était une vedette importante. Pour ma part, j’ai beaucoup de mal avec sa voix blanche et l’inexpressivité de son visage. Cette passivité fait que parfois on ne comprend pas très bien ses réactions. Elle est un peu à contretemps. Mais une fois qu’on est passé par-dessus cette première barrière, ça coule. Le reste de la distribution est bien meilleur. D’abord Jean-Marc Thibaud, qui était déjà dans Le juge Fayard, ici il joue le commissaire, pas mauvais garçon, mais qui a du mal à se rebeller. Beaucoup d’habitués de chez Boisset, Jean Martin, Roland Blanche. Tous très bons. On remarque un peu plus Leny Escudero dans le rôle de Diego Cortez. Il aurait pu faire une carrière cinématographique plus tôt, en effet il avait été choisi pour une première version du Deuxième souffle de Melville qui ne se fit pas pour des raisons très compliquées. Il est très bon. Niels Arestrup également dans le rôle du petit photographe pervers. Henri Garcin remplace au pied levé l’habituel Jean Bouise dans le rôle du procureur. Mais surtout ce qui est remarquable, ce sont les prolos, leurs femmes et leurs mioches, très bien choisis. N’oublions pas non plus François Simon dans le rôle d’un médecin défroqué, à la Céline, nazi, soit, antisémite, mais peut-être pas coupable. Ce qui évidemment interroge la notion de justice. 

    La femme flic, Yves Boisset, 1980 

    Le commissaire Porel pousse Levasseur à la démission 

    A quelques détails près, c’est donc un excellent film noir, amer et offensif qui se revoit sans problème. La critique chichiteuse ne l’a pas aimé, mais le public qui est meilleur juge a suivi. Ce fut un gros succès commercial, justifié. Ce film, compte tenu de ses qualités cinématographique et photographiques, mériterait une sortie Blu ray. On trouve encore le DVD sur Internet à des prix prohibitifs, mais il ne faut pas encourager le crime !

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  • Commentaires

    1
    Mardi 5 Janvier 2021 à 17:44

    Bravo, Alexandre, pour votre remarquable analyse de cet excellent film du grand Boisset que je viens juste de revoir cet après-midi avec le même plaisir. Il faut dire que je ne l'ai plus revu depuis sa distribution en Algérie quelques mois après sa sortie en France. Je me rappelle qu'il remporta un grand succès dans nos salles à l'époque.Le film n'a rien perdu de sa puissance et son (ses) thème (s) sont toujours d'actualité. Félicitation pour votre blog et meilleurs vœux pour le nouvel an. Bien amicalement. Adda Chentouf, critique et historien du cinéma algérien et surtout grand cinéphile !   

    2
    Mercredi 6 Janvier 2021 à 06:03

    Merci pour vos compliments !!

    3
    Gojo
    Jeudi 13 Mai 2021 à 14:36
    Superbe critique,un réel plaisir de voir où revoir ces films mise en scène, dialogues, sociologie d'une époque, hélas oui comme juge fayard et bien d'autres difficiles se procurer des prix raisonables, certains realisateurs victime de la speculaltion, rééditions au compte goutte, des DVD à plus de 100€, fayard parfois à 30 € mais ça part vite.
      • Jeudi 13 Mai 2021 à 14:42

        le problème est que le marché du DVD-Blu ray est très difficile pour les films anciens, alors les éditeurs font des petits tirages et ensuite lorsque le tirage est épuisé ça spécule. On a la même chose avec le livre d'ailleurs

    4
    raoul duke
    Jeudi 7 Octobre 2021 à 22:43

    super analyse !!!  

    5
    Vendredi 8 Octobre 2021 à 16:24
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