• La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948

    Rudolph Maté est ce qu’on pourrait appeler un petit maître du noir. Bien qu’il ait œuvré dans des genres très différents, c’est dans le film noir qu’il a laissé sa marque. C’est d’abord un opérateur, c’est lui qui a fait par exemple la photo de The lady from Shangaï. On retrouvera donc toujours dans ses films un cadre et une lumière très soignés. Il inspirera d’ailleurs par sa rigueur Jean-Pierre Melville. Il est reconnu pour D.O.A. qui est considéré comme un chef d’œuvre du noir, mais aussi pour Midi gare centrale dont nous avons déjà parlé et qui est aussi excellent[1]. The dark past est seulement le second long métrage de Maté en tant que réalisateur, mais il y a beaucoup d’idées et déjà une marque personnelle dans la façon d’utiliser les codes déjà bien en place du film noir.

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948 

    Le professeur Collins s’intéresse aux délinquants arrêtés 

    Al Walker vient de s’évader de prison, et en attendant le bateau qui doit venir le chercher, il va trouver refuge avec sa bande dans la maison du professeur Collins qui est lui-même psychiatre auprès des services de la police et qui professe des idées d’avant-garde sur la façon dont on pourrait faire évoluer la délinquance qui est le plus souvent le résultat de traumatismes anciens. Al Walker le prend en otage, avec sa famille et ses invités, tandis que la police a mis des barrages un peu partout et cherche à le coincer. Il est accompagné de sa régulière et de toute sa bande. Mais au fil de l’attente, il va nouer un dialogue tendu avec le professeur Collins qui va essayer de la soigner de ses névroses en l’aidant à remonter ses souvenirs d’enfance. En effet le problème de délinquance d’Al peut s’exprimer d’abord par le fait qu’il a été en conflit grave avec son père, aussi bien parce que celui-ci le battait que parce qu’il le privait de l’amour de sa mère. On apprendra au fil des bobines que les cauchemars récurrents d’Al sont le résultat du fait qu’il a vendu son propre père à la police et a ainsi provoqué sa mort. Pendant que ce développe cette psychanalyse express, une des prisonnières enfermées dans la cave va réussir à s’évader et à prévenir la police. La fin sera évidemment tragique, mais Al sera guéri de ses obsessions. On peut se demander si le jeu en valait la chandelle, en tous les cas, Collins en tirera la leçon selon laquelle les criminels s’ils ne doivent pas être excusés, doivent être compris dans leurs déterminations. C’est une nécessité pour rétablir l’harmonie dans la société moderne.

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948 

    Al Walker met au pas toute la maison 

    Le scénario est tiré d’une pièce de théâtre de James Warwick. Et ça se voit en ce sens que les décors sont peu nombreux, que le film est assez bavard, et qu’il se referme sur un huis clos. Le film ne dure qu’une heure dix. Et bien sûr cette forme de psychanalyse ultra-rapide est assez incongrue. Mais le scénario est assez dense et complexe pour faire passer la pilule. Il faut dire qu’ils se sont mis à quatre pour le développer. Une fois qu’on a admis le double principe du film noir psychanalytique et du film noir porté par les relations entre les otages et les gangsters, alors on peut considérer que c’est un film excellent. Il y a en effet des finesses très intéressantes, par exemple cette opposition latente entre la bourgeoisie et les classes inférieures. Non seulement on comprend que Al est une victime désignée de la société pour être né dans un quartier pourri, affublé d’un père alcoolique et d’une mère trop légère, mais ce sera la servante des Collins, très déterminée, qui fera preuve de courage et dénouera l’histoire d’une manière avantageuse. On fera aussi allusion aux mœurs dissolues de la bourgeoisie, avec un affrontement entre le mari et l’amant de sa femme en opposition justement au couple solide envers et contre tout représenté par Betty et Al. La ligne de conduite est qu’on ne nait pas délinquant, c’est la société qui nous fabrique ainsi en nous traumatisant. Al est un jeune homme intelligent, et c’est bien pourquoi il accepte de se livrer au docteur Collins en lui racontant sa vie. Cette manière de vider son sac va peut-être le tuer, mais il aura retrouvé la paix. Bien que plus effacé, le rôle de Betty n’en est pas moins important. En effet, non seulement elle est fidèle à Al, mais elle le materne et le défend contre tout le monde et même contre lui-même. Elle démontre par-là la vérité des thèses du professeur Collins, Al est bien une victime qui doit être protégée. D’autres éléments intéressants seront la mise en scène de jeux : Collins et Al s’affrontent aussi bien autour d’un jeu de fléchettes, que d’un jeu d’échecs. Preuve que le jeu est une affaire sérieuse !

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948 

    Collins apprend à Walker à jouer aux échecs 

    La réalisation est ingénieuse, par exemple cette manière au début du film de faire ressentir les réflexions de Collins à partir d’une caméra subjective. Le point de vue se trouve dans le déplacement rapide de la caméra qui permet de montrer comment Collins embrasse le monde, combien il possède le sens de l’observation et sa capacité à détecter ce qui ne va pas dans le comportement des personnes qu’il croise sur son chemin. On reconnaîtra encore cette séance de retapissage qui a tant plu à Melville, au point de la répéter presque plan par plan dans Le samouraï, s’attardant sur les voyous endurcis qui prennent les flics pour un genre finalement inférieur. Maté joue également des négatifs pour représenter les cauchemars d’Al, ce qui donne des images étonnantes. En revoyant ce film, je me suis demandé d’ailleurs s’il n’avait pas puisé une partie de son inspiration dans La maison du docteur Edwards d’Hitchcock   et surtout si John Huston ne s’était pas inspiré de ce film pour son Freud, passions secrètes. Pour le reste, Maté utilise à bon escient les fenêtres à jalousie, les ombres sur les murs, les montées d’escaliers, procédés récurrents du film noir. Le montage est très resserré, les scènes d’action peu nombreuses sont efficaces et rapides, ne laissant pas de place à une réflexion sur la violence par exemple. La scène où Betty cajole le dur Al, est également très étonnante, presqu’apaisante. Le fait qu’il n’y ait presque pas de scènes d’extérieur, donne un caractère claustrophobe à l’ensemble. Il y a bien sûr l'usage du flash-back qui prend les trois quart du film

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948 

    Le professeur Collins joue aux fléchettes avec Al 

    L’interprétation est dominée évidemment par William Holden qui joue de l’opposition entre sa violence latente et son physique de jeune premier. Il est assez rare de le voir dans un rôle aussi tourmenté. Il est excellent dans le rôle d’Al. Nina Foch est plus discrète, mais elle a quelques scènes où elle fait preuve d’une énergie farouche pour protéger Al à la manière d’une mère de substitution, mais aussi pour démontrer sa loyauté face à des bourgeoises qui ne savent pas très bien ce que cela veut dire. Lee J. Cobb est plus conventionnel dans le rôle de Collins, acteur de théâtre d’abord, il use des ficelles du métier pour démontrer qu’il est calme et qu’il maîtrise la situation. Il tient sa place évidemment, mais ce n’est pas son meilleur rôle. Le reste de la distribution n’a pas beaucoup d’importance. Les flics sont les flics, un peu fermés aux avancées de la psychanalyse, et les femmes de la bourgeoisie sont très préoccupées par leur confort avant tout. Ce sont presque des meubles. Les membres de la bande d’Al ne sont pas plus personnalisés d’ailleurs. Ils se contentent de suivre les instructions de leur chef.

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948 

    Betty prend soin d’Al et de ses cauchemars 

    Si ce n’est pas le meilleur film de Rudolph Maté, c’est tout de même un très bon film noir, solide et enlevé. Il n’y a pas lieu de faire la fine bouche. Le titre du film qui, dans sa version originale, mêle le passé avec la couleur noire donne le ton des films noirs de ces années-là. William Holden retrouvera Maté deux ans plus tard dans le très bon Midi, gare centrale. Mais en attendant on peut voir et revoir celui-ci sans problème.

     La fin d’un tueur, The dark past, Rudolph Maté, 1948 

    Le professeur Collins plaide pour la prise en charge des problèmes psychologiques des délinquants

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/midi-gare-centrale-union-station-rudolph-mate-1950-a114844756

    « Lionel Guerdoux et Philippe Aurousseau, Berceau d’une œuvre Dard – Frédéric Dard écrivain et journaliste – 1938-1950, Editions de l’Oncle Archibald, 2016L’implacable, Cry danger, Robert Parrish, 1951 »
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