• La Mafia, toujours la Mafia

    La Mafia, toujours la Mafia

     

    La mafia a donné naissance à un grand nombre d’ouvrages et de films. Parfois ce sont des œuvres plutôt romantiques comme la saga du Parrain, mais parfois ce sont aussi des ouvrages plus sérieux, voire des ouvrages documentaires. A l’évidence la Mafia fascine. Les raisons de cette fascination sont tellement nombreuses quelles permettent de rassembler un public toujours plus large. Les thèmes récurrents de la saga des mafias sont, dans le désordre, sa capacité à construire à partir de la violence un contrepouvoir au monopole de la violence qui se trouve entre les mains de l’Etat, la destinée personnelle de maffieux, petits ou grands, qui ainsi peuvent sortir aussi bien de la misère que de l’anonymat. Mais depuis les années quatre-vingt-dix, il y a la présence mise à nue des capacités mafieuses à comploter d’une manière quasiment terroriste en corrompant les élites politiques et la magistrature. Il y a également dans les formes mafieuses de l’organisation de la vie sociale et économique, la continuation du capitalisme par d’autres moyens.

    Bref, l’histoire de la Mafia ou des mafias, recèle une grande quantité de sujets de roman policiers ou noir. C’est presque le passage obligé de tous les écrivains qui œuvrent dans ce secteur. Même un écrivain comme Frédéric Dard, n’ayant guère de goût pour la documentation, traitera par la bande de cette question dans Le dragon de Cracovie, son ultime ouvrage en grand format.

     

     

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    Avant d’être une série de films remarquables, Le Parrain est un ouvrage de très grande qualité de Mario Puzo. Cet ouvrage qui eut en son temps un énorme succès est souvent sous-estimé par la critique. Non seulement il est très documenté pour ce qui concerne la mafia américano-sicilienne, mais il est très bien construit et très bien écrit. Puzo n’a jamais réussi à mieux faire. C’est très certainement l’œuvre de fiction sur la Mafia qui réussit le mieux le pari de mêler les destinées personnelles de la famille Corleone à une description minutieuse de ce qu’a été la Mafia. Si on fait abstraction du romantisme sous-jacent à cette œuvre, on se rend compte que son fonctionnement est décrit sans complaisance, que ce soit en ce qui concerne la cruauté de cette institution, ou que ce soit dans ses capacités à corrompre la société dans laquelle elle se meut.

     

     

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    Récemment, Gomorra, le livre pour lequel la tête de Roberto Saviano a été mise à prix a apporté un éclairage nouveau sur le sujet. C’est l’histoire de la Camorra à l’heure de la mondialisation. Cette mondialisation qui prospère dans l’affaiblissement croissant de l’Etat, mêle allègrement les vieilles méthodes du capitalisme sauvage au développement d’un pouvoir presque sans limite dans tous les secteurs de la vie sociale et économique. Cet ouvrage a donné naissance également à un film de Matteo Garrone qui, cette fois sans romantisme, décrit le quotidien sordide de la Camorra. Le plus remarquable dans Gomorra est sans doute la mise en perspective des relations économiques entre la Camorra et les capitalistes chinois. Cet ouvrage capital confirme que le développement de la mafia s’appuie sur un retrait de l’Etat et généralement sur l’ouverture commerciale des sociétés. La mondialisation est une aubaine pour la mafia.

     

     

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    De nouveaux éclairages ont été également apportés par des ouvrages mettant l’accent sur les relations entre les mafias et le personnel politique. J’en retiendrais trois ici. Le premier est celui de John Dickie, intitulé Cosa Nostra, il retrace l’histoire de la mafia sicilienne, de ses origines paysannes vers le milieu du XIXème siècle jusqu’à l’arrestation de Provenzano. Bien qu’il ne comporte guère de révélations, il montre clairement comment Cosa Nostra s’adapte à toutes les transformations du capitalisme, et comment, dès ses origines, elle s’insère dans une logique internationale : autrement dit, elle prospère dans le cadre d’une économie ouverte sur l’extérieur. En effet, vers le milieu du XIXème siècle, la Sicile sort de son engourdissement grâce à le production d’agrumes destinés à l’exportation, et c’est sur ce marché important que la mafia sicilienne va asseoir sa puissance et accumuler ses premiers millions. Le passage le plus intéressant du livre est d’ailleurs celui où il décrit la collusion entre la Mafia, l’Eglise et les grands propriétaires terriens pour enrayer les tendances à la socialisation des terres qui se manifestaient à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. Il s’appuie sur le fameux rapport Sangiorgi dont il donne des passages assez longs plutôt passionnants qui montre que le problème de Cosa Nostra était bien connu depuis la fin du XIXème siècle. La seconde phase de développement de Cosa Nostra a pour origine son implication directe avec les Américains dans la reconstruction d’une modernisation de l’Italie. Cette collaboration s’explique par la vision que les Etats-Unis se faisaient de la Guerre froide. Et on ne s’étonnera pas que des mafieux comme Toto Riina ou son alter ego Bernardo Provenzano aient commencé à faire leurs preuves d’abord dans l’assassinat de délégués syndicalistes proches du parti communiste. La troisième phase d’expansion de la mafia sicilienne s’inscrit dans la montée en puissance de l’Union européenne, ce qui a affaibli l’Etat tout en augmentant les opportunités de détournement de fonds publics à partir des subventions distribuées par l’Union européenne : il y a quelques années circulait un chiffre ahurissant, 15% des fonds de la PAC atterrissaient dans les poches de Cosa Nostra. Ce chiffre émanait directement des services de la Commission européenne.

     

     Toto-Riina-et-Provenzano.jpg  Toto Riina est derrière les barreaux depuis 1993 et son ami Provenzano l'a suivi en 2006

     

    Naturellement, la Mafia choisit comme courroie de transmission la Démocratie chrétienne. La contrepartie de cette funeste alliance fut la mise en coupe réglée d’une large partie de l’économie sicilienne et par suite le renforcement du pouvoir de Cosa Nostra.

    L’ouvrage de Nicola Tranfiglia, Pourquoi la mafia a gagné, qui traite de la question jusqu’aux années 2007-2008, s’attache presqu’exclusivement aux relations entre la classe politique et la Mafia. Il s’intéresse moins aux formes de la violence que véhicule cette institution sanglante. Sa thèse est que s’il est aussi difficile que cela de s’attaquer à la Mafia, cela provient essentiellement du fait que l’Italie n’a jamais réussi à créer un Etat moderne, unifié et démocratique, autrement dit l’Etat n’a jamais eu les moyens de contrebalancer le pouvoir de la Mafia. C’est un ouvrage passionnant à tous égards. Il apporte des éclairages importants sur la collusion des partis de gouvernement – ce n’est pas un hasard si le Parti communiste italien s’est trouvé la plupart du temps en pointe dans le combat antimafia. Il montre clairement l’implication de la loge P2, cette loge maçonnique à laquelle appartenaient aussi bien Berlusconi que Gelli ou encore des membres de la haute hiérarchie du Vatican. Il termine d’ailleurs sur une note pessimiste pour l’avenir puisqu’il dénonce le détricotage législatif entrepris par Berlusconi et la mise en question des juges par l’opinion publique qui suit d’une façon assez inquiétante cette contre-révolution judiciaire appuyée par les médias corrompus.

     

     

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    La mafia italienne de Claude Ducouloux-Favard, avocate et universitaire, n’est pas très loin des thèses de Tranfaglia qu’elle cite d’ailleurs abondamment. Son point de vue est complémentaire du livre précédent. Principalement consacré à la mafia sicilienne, elle insiste sur les nécessaires modifications du droit qui ont permis les succès contre Cosa Nostra et qui ont abouties au « maxi procès » qui permis de traduire en justice 475 mafieux et d’en condamner une grande partie à de lourdes peines. L’ouvrage décrit également le fonctionnement concret et hiérarchisé de Cosa Nostra d’une manière très vivante en s’appuyant sur de nombreux témoignages de repentis. Elle tente également de présenter la mafia sicilienne comme une entreprise capitaliste – avec un chiffre d’affaire de 90 millions d’euros, c’est la première entreprise du pays – et de cerner les secteurs où elle produit ses bénéfices les plus importants.  Comme Tranfiglia, Ducouloux-Favard craint que le calme relatif qu’on peut observer en Sicile depuis l’arrestation de Riina et Provenzano, ne soit que très relatif ou même la conséquence d’une reconquête de ses territoires par la Mafia.

     

     

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    La conclusion de tout cela est que si vous ne vous occupez pas de la Mafia, elle, elle s’occupe de vous. On peut voir à partir du 4 juillet 2010 à la télévision une série italienne Corleone, en italien Il capo dei capi, qui raconte la vie de Toto Riina. La série est plutôt bien faite. Certains ont trouvé qu’elle donnait une image trop noble de Toto Riina. Ce n’est pas vrai, bien au contraire elle montre le caractère paranoïaque de Riina et les compromissions de la classe politique, mais la critique venait d’un proche de Berlusconi. Elle insiste aussi sur une dimension importante du fonctionnement de la mafia : si tu ne trahis pas, tu seras trahi à ton tour, les « hommes d’honneur » n’ayant guère de principes à cet égard. On dit également que Toto Riina a apprécié cette série, la trouvant très proche de la réalité. Ce réalisme est souvent renforcé d’ailleurs à l’aide de bandes vidéo d’époque.

     

     

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    Bibliographie

     

    Frédéric Dard, Le dragon de Cracovie, Fleuve noir, 1998.

    John Dickie, Cosa Nostra, Buchet-Chastel, 2007.

    Claude Ducouloux-Favard, La mafia sicilienne, des vergers d’agrumes aux marchés globalisés, Arnaud Franel, 2008.

    Mario Puzzo, Le Parrain, Robert Laffont, 1969.

    Roberto Saviano, Gomorra, dans l'empire de la camorra, Gallimard, 2007.

    Nicola Tranfiglia, Pourquoi la mafia a gagné, Tallandier, 2010.

     

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