• La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951

     La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951

    Dans la carrière de Robert Wise, House on telegraph hill, intervient un peu après Nous avons gagné ce soir, et aussi après quelques petits films noirs comme Born to kill, Mistery in Mexico. Autant dire que nous sommes dans la grande période de production du film noir, et que Robert Wise, qui ne s’est jamais enfermé dans un genre particulier tout au long de sa prolifique carrière, prend à son compte le développement du genre. House on telegraph hill est maintenant considéré comme un classique du genre.

    La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951 

    Victoria va sortir du camp de concentration 

    L’histoire est due à Dana Lyon, écrivain peu prolixe, mais réputée, qui participera à l’écriture collective sous le nom de Theo Durant de La forêt de marbre[1]. Victoria Kowalska est une rescapée des camps de concentration. Enfermée par les nazis à Bergen Belsen, elle fait la connaissance de Karin Dernakowa qui décédera peu de temps avant que les alliés libèrent le camp. Traumatisée par cette expérience, et ayant tout perdu dans la guerre, ses biens, sa famille, elle va emprunter l’identité de sa compagne et tenter de se faire rapatrier aux Etats-Unis où vit l’enfant de Karin, Christopher qui avait été recueilli par la tante Sophie. Arrivée à New York, elle va faire la connaissance d’Alan Spender, le tuteur de Christopher qui est aussi un parent éloigné de Sophie. Celui-ci la charme et l’épouse. Mais peu à peu les choses vont se dégrader, et Victoria va soupçonner son mari de vouloir l’assassiner. Se sentant seule et isolée, face aussi bien à son époux qu’à l’étrange gouvernante de Christopher, elle va se tourner vers Marc Bennett, un avocat qu’elle a vaguement connu au moment de l’ouverture du camp de concentration. Elle va se mettre à rechercher des preuves des intentions malignes de son mari. Pour cela elle devra avouer à Marc qu’elle a emprunté l’identité de Karin.

     La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951 

    Victoria fait la connaissance de Christopher 

    A partir du thème souvent traité d’un changement d’identité, le film va se refermer sur un quatuor singulier. En effet, les rapports entre Victoria et Alan deviennent de plus en plus compliqués, et tandis que Victoria semble attirée par Marc, elle doit aussi affronter Margaret la gouvernante très jalouse de Christopher. Cette histoire d’une pauvre femme projetée après un traumatisme dans un mariage inquiétant, on l’a vue déjà chez Hitchcock, aussi bien dans Rebecca que dans Suspicion où d’ailleurs sera reprise d’une manière nouvelle l’idée de la boisson empoisonnée. Mais le film garde son originalité au moins pour deux raisons : la première est ce rattachement au traumatisme des camps de concentration, la seconde par l’usage particulier qui est fait de la ville de San Francisco. En quelque sorte, c’est un peu des deux films d’Hitchcock qu’on aurait plongés dans une atmosphère moins aseptisée et plus violente. On remarquera qu’à l’inverse cette idée d’emprunt d’une identité qui n’est pas la sienne est aussi la base de Vertigo de ce même Hitchcock[2] qui sera tourné quelques années plus tard également à San Francisco. Et donc si manifestement Robert Wise s’est inspiré d’Hitchcock, celui-ci a trouvé à son tour son inspiration dans House on telegraph hill y compris en reprenant cette idée de chute quand l’abîme s’ouvre sous les pieds de Victoria.

     La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951 

    L’accident est dû à un sabotage des freins 

    La jalousie est bien sûr le moteur essentiel et cette jalousie repose sur le désir d’appropriation. Alan veut s’approprier l’héritage, mais Margaret veut l’enfant qu’elle a appris à considérer comme le sien propre. Mais les caractères de Victoria et de Marc sont tout autant ambigus. En effet pour Victoria la volonté de s’approprier la richesse supposée de Karin est un puissant moteur. Quant à Marc il convoite la femme d’un autre sans presque s’en cacher. La rivalité entre Marc et Alan est très curieuse : ils avouent tous les deux se détester, et pourtant ils ont le besoin de communiquer et de se justifier l’un envers l’autre. Évidemment ils mentent, mais tout le monde ment, et Marc balaiera d’un revers de main les scrupules tardifs de Victoria lorsqu’elle avoue qu’elle a emprunté l’identité de Karin pour s’approprier la fortune de sa compagne de camp. La nécessité fait loi : Alan ne sera pas en reste puisque pour lui qui vient d’un milieu pauvre, capter l’héritage est une nécessité. Le personnage le plus trouble de cet étrange quatuor est tout de même la mélancolique Margaret dont les intentions sont assez peu claires, elle passe d’une sorte de dévotion pour Alan à une volonté farouche de protéger le petit Christopher.

     La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951 

    Victoria cherche la preuve que son mari cherche à la tuer 

    Ce n’est pas un film doté d’un gros budget, mais c’est pourtant une réalisation soignée, avec des décors de qualité. On passera sur les effets spéciaux, comme la course folle de la voiture de Victoria privée de freins pour souligner l’excellente utilisation des décors urbains. En effet le film se passe à San Francisco, un des hauts lieux de la réalisation des films noirs. Cette ville a même été assez longtemps préférée à Los Angeles car sa plus grande diversité semblait offrir plus de possibilités que la morne architecture de la capitale du cinéma. Les scènes de rue sont rares, mais éclairantes, comme la visite de Victoria dans l’immeuble où Marc possède son bureau. On retrouvera les ficelles du film noir de cette époque : l’escalier en haut duquel se tient l’étrange et rigide Margaret, les téléphones qui sont encore à cette époque la marque de la modernité. L’ensemble du film est cependant construit sur des affrontements voilés, avec une certaine dose d’invraisemblance tout de même : en effet si Alan veut se débarrasser de Victoria, on ne voit pas pourquoi il ne la laisse pas finir au fond du trou qui a été fait dans la maison de jeu. De même l’histoire du télégramme qui dévoile que tante Sophie a été annoncée comme morte trois jours avant son décès officiel est assez incongrue. Mais le rythme de l’action ne donne pas l’occasion au spectateur de trop s’en inquiéter.

     La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951 

    Victoria va voir Marc Bennett 

    La direction d’acteurs est un des points forts de Robert Wise et c’est encore le cas ici. L’interprétation est dominée clairement par Valentina Cortese qui a cette époque cherchait à faire carrière aux Etats-Unis et qui avait eu un certain succès dans le film de Jules Dassin, Les bas-fonds de Frisco.  Elle se mariera d’ailleurs la même année avec Richard Basehart son partenaire. C’est donc elle qui conduit le film et qui lui donne cette particularité : elle passe de l’exaltation au désespoir, d’une naïveté confondante à une malice étonnante. Elle incarne la volonté de survivre par-dessus tout. Richard Basehart est Alan Spender, très nettement en retrait sur sa partenaire, il n’est d’ailleurs guère présent. Mais il est très bien, particulièrement quand vers la fin il se prend de mettre à jour sa colère. William Lundigan qu’on avait déjà vu dans Mystère à Mexico, incarne le héros positif de cette histoire, le chevalier servant, dévoué aux dents bien blanches. Fay Baker dans le petit rôle de Margaret arrive pourtant à donner du mystère au film, c’est un exc ellent leurre, au point que pendant un moment le spectateur croit que le mari n’est pas forcément le coupable. Il est dommage qu’on ne l’ait pas souvent vue dans de grands rôles.

     La maison sur la colline, House on telegraph hill, Robert Wise, 1951  

    Alan risque de mourir et demande de l’aide à Margaret 

    Sans être un des plus grands films noirs, on peut le classer aisément parmi les très bonnes réalisations du genre. Peut-être est-ce le final un peu trop lénifiant qui en gâche un peu l’effet. Il a bien passé les années et se revoit encore avec un plaisir renouvelé. 

     


    [1] Publié en 1953 aux Presses de la cité dans la collection Un mystère.

    [2] Le film d’Hitchcock se présentait comme une adaptation de D’entre les morts de Boileau et Narcejac, publié en 1954, qui partait lui aussi d’un emprunt d’identité dans les soubresauts de la Seconde Guerre mondiale. 

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