• La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953

     La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953

    Une petite famille américaine s’en va faire du tourisme dans un coin isolé du Mexique, avec l’idée de fuir un peu la civilisation américaine et tout ce qu’elle peut avoir de factice. Après être passés par Tijuana, ils vont rejoindre une plage à peu près déserte du côté d’Ensenada se réjouissant d’y trouver la solitude. Tandis qu’Helen prépare le repas, Bobby s’éloigne sur un pont vermoulu. Ayant coincé son pied entre des planches, Doug, son père, va chercher à la délivrer de ce piège, mais en retournant vers la plage, le pont s’effondre, et Doug va rester coincer sous un pilier. Rapidement, Helen et Doug vont constater leur impuissance. Il faut aller chercher du secours, ou au moins trouver une corde qui permettrait de soulever le pilier en s’aidant de la puissance du moteur de la voiture. Helen prend la voiture et, dans un coin un peu désertique, va tomber sur un prisonnier évadé, un criminel, qui cherche à s’enfoncer plus avant vers le sud du Mexique pour échapper à la police. Dès lors Helen va devoir ruser avec Lawson pour l’amener à l’aider à délivrer son mari, elle promet de lui donner la voiture, les habits de son mari, ses papiers, et même de partir avec lui. Mais le sauvetage de Doug n’ira pas sans difficultés.

     La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953 

    Les Stilwin partent en vacances

    Le scénario est dû à Mel Dinelli, au début de sa riche carrière, il travailla sur plusieurs scénarios de haute qualité, The spiral staircase de Siodmak, The windows de Ted Tetzlaff[1] ou House by the river de Lang et encore The reckless moment. Sa contribution au film noir est donc très large. Il s’orientera ensuite vers la télévision, travaillant notamment pour la série Alfred Hitchcock presents. Ici il reprend pour partie le fait que c'est un enfant qui se trouve à la source des désordres, comme dans The windows.

     La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953 

    Bobby s’est coincé le pied entre deux planches vermoulues 

    C’est un petit film très tendu et très dense qui dure seulement un petit peu plus d’une heure. Des décors simples et naturels, très peu d’acteurs. Tout va reposer sur l’habileté de la mise en scène pour donner de la vie et de la complexité à des caractères qui à priori n’en ont guère. De cette situation dramatique, Sturges va tirer des oppositions qui vont remettre en question l’ensemble des codes et des valeurs de la vie américaine dans ce qu’elle a de mécanique et de consumériste. Alors que Doug est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, alors même qu’il se présente comme un homme de sang-froid et de détermination héroïque, c’est Helen, se femme fragile, qui va mettre ne œuvre sa libération grâce à son courage et son obstination. Rapidement Doug devient un simple objet, coincé au bord de la mer. Le jeune Bobby, leur fils, représente l’idéal de la famille, mais pourtant il se révèle rapidement une source d’ennuis et de malheur. Même si cela n’est jamais dit, il est clair qu’il est un vrai poids mort qui empêche le couple de jouir du peu de liberté qu’ils possèdent. Mais bien sûr le plus intéressant est l’opposition entre Helen et Lawson. Ce dernier se présente comme un criminel endurci et rusé. Et à l’évidence, s’il est séduit par Helen, celle-ci n’est pas insensible à son  charme sauvage. Toute l’ambiguïté ressortira de la proposition qu’elle lui fait pour l’accompagner, et donc partir avec lui, à condition qu’il sauve d’abord son mari ! Lawson va finalement être ébahi par tant d’abnégation, et il va lui-même se montrer à son avantage en délivrant le malheureux Doug. Finalement il repartira seul vers sa destinée, un peu comme s’il voulait éviter le piège de se retrouver sous la domination d’Helen ! On ne saura pas d’ailleurs si Helen n’a pas poussé un peu trop loin la relation ébauché avec Lawson, bien qu’on le suppose lorsque le fuyard se jette sur elle et l’embrasse. On voit donc que sous le couvert de sauver la famille, le film montre au contraire la nécessité de la remettre en question. Mais le film évite aussi la psychologie, de Lawson on ne saura rien, ni pourquoi il est considéré comme un dangereux criminel, certes, on verra qu’il est bien un tueur, mais ses motivations ne sont pas dévoilées. Après tout un fuyard doit tuer, c’est du ressort de la nécessité.

     La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953 

    Helen croise la route de Lawson 

    On remarque que le scénario ne tombe jamais dans les pièges attendus, Lawson n’est pas trop brutal comme on pourrait s’y attendre, et les scènes autour desquelles se noue le drame ne sont pas surchargées, se déroulent dans une logique presqu’évidente. Le principal est la minutie de la mise en scène, pour donner du corps à un décor immobile, il faut non seulement multiplier les angles de prise de vue, mais aussi utiliser un montage très resserré.  Les décors déglingués du pont ou de la vieille cabane où Helen pense trouver une corde qui aidera à sauver son mari, laisse apparaître des trous de lumières afin de mieux jouer de cet enfermement insolite pour les trois protagonistes de cette petite famille. Le noir et blanc aide particulièrement à cela. Sturges n’est pas n’importe qui, il maîtrise parfaitement la grammaire des films d’action, c’est ce qu’on va voir ensuite dans ses westerns comme Gunfight at the O.K. Corrall ou Last train from Gun Hill ou encore The magnificent seven, mais aussi dans The great escape qui sera sans doute son plus grand succès. C’est cinéaste trop oublié aujourd’hui qui pourtant a su allier avec constance la qualité et l’audience populaire. Au tout début des années cinquante, il avait travaillé sur le film noir, avec des belles œuvres comme The capture, ou Mistery street On peut regretter qu’il n’ait pas continuer dans ce sens.

     La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953 

    Lawson veut sauver sa peau avant tout 

    C’est Barbara Stanwick qui porte le film sur ses frêles épaules. On connait l’abattage de l’actrice. Elle passe avec une facilité déconcertante de la jeune femme un peu soumise dans l’ombre de son mari, au portrait d’une femme de tête qui agit avec froideur et détermination, allant jusqu’à jouer le jeu de la séduction avec un individu dangereux – ici la cigarette sera l’expression de son émancipation. C’est cette manière de passer d’un personnage à un autre presque dans la même scène qui a fait d’elle une des plus grandes actrices du film noir. Elle tire le film à elle s’en trop en faire, comme une évidence. Certes en face elle a le tiède Barry Sullivan qui n’a jamais été un grand nerveux et qui ici se trouve réduit à la passivité totale par les circonstances du scénario. C’est lui qui plombe un peu le film d’ailleurs. Ralph Meeker qui fera pas la suite le bonheur de Robert Aldrich, dans le rôle du criminel en cavale est excellent. Il possède ce côté sauvage et cruel, sexuel, qui fait que les femmes se damnent pour ce genre de garçon. Le jeune garçon, Lee Aaker qui joue Bobby met de la bonne volonté niaise, mais n’est pas très convaincant cependant.

      La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953 

    Lawson va accrocher une corde à la poutre 

    C’est donc un très bon film noir, nerveux et bien mené. Bien entendu il n’est pas parfait, et notamment il se trimbale une vision des pauvres Mexicains qui sans être raciste ne manque pas de condescendance. C’est dans ce début des années cinquante que le cinéma américain semble découvrir le Mexique. Le pays intrigue, non seulement parce qu’il est très différent des Etats-Unis, alors qu’il est tout à côté, mais parce qu’il semble aussi conservé une vérité et une simplicité que leurs voisins du Nord ont définitivement perdue. C’était aussi une manière pour les studios de diminuer les frais de production en tournant dans ce pays aux décors naturels insolites, et en même temps, cela renforçait la pénétration du cinéma américain au Mexique. N’oublions pas que jusque dans les années soixante, la cinématographie mexicaine était abondante et de qualité. Mais comme beaucoup d’autres avant elle et après elle, elle a disparu sous les coups de boutoirs des standards américains en la matière.

     La plage déserte, Jeopardy, John Sturges, 1953 

    Doug va enfin être délivré de son calvaire

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/une-incroyable-histoire-the-windows-ted-tetzlaff-1949-a117444216

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