• La sentence, Jean Valère, 1959

     La sentence, Jean Valère, 1959

    C’est le premier film de long métrage de Jean Valère. Ce dernier avait été assistant sur Les salauds vont en enfer. L’idée du film est une histoire de Robert Hossein qui a nourri une vraie passion pour la Résistance, et c’est lui qui devait la mettre en scène. Mais sans doute n’avait-il pas le temps de le faire car il se trouvait entre deux réalisations, Toi le venin et Les scélérats d’après Frédéric Dard. Il proposa donc Jean Valère à Christine Gouze-Rénal qui était toujours à la recherche de sujets qui pourraient lancer la carrière de son mari, Roger Hanin. Jean Valère qui avait participé à la Résistance ne pouvait qu’être sensible au sujet. En vérité c’est un réalisateur qui a très peu tourné et qui a connu beaucoup de déboires, un manque de réussite assez étonnant. C’est pourtant un metteur en scène très intéressant qui avait une vraie originalité dans sa manière de travailler. Mais sans doute ne s’est-il pas affirmé dans un genre particulier pour que son œuvre soit reconnue comme originale. Notez qu’il a adapté aussi un ouvrage de Charles Williams, The big bite[1] avec la regrettée Emmanuelle Riva.

    On va revenir un peu plus loin sur ses qualités justement qui sont les plus évidentes dans La sentence qui semble rester le film préféré de Jean Valère[2]. Pour l’instant ce qui nous intéresse c’est que cette histoire de résistants qui attendent la mort, proposée par Hossein, sera reprise avec Frédéric Dard. Ils en feront une pièce de théâtre qui sera présentée en 1963 au Théâtre Antoine, puis un roman, Le sang est plus épais que l’eau, publié la même année aux éditions Fleuve Noir dans la collection espionnage. Plus tard, en 1989, cette pièce deviendra Dans la nuit la liberté au Palais des Sports. Son succès entraînera un nouveau film de télévision en 2009, La saison des immortelles, film assez médiocre du reste. Du film de Jean Valère à la pièce de Dard et Hossein, il y a des différences très importantes, Les six hommes en question et ses dérivées sont un peu moins dépouillée, on lui a rajouté des éléments qui vont vers la recherche d’un traitre, mais aussi vers plus d’approfondissement des Allemands. Donc si le point de départ est bien le même, des résistants qui vont être fusillés pour avoir agi contre l’occupant, le point de vue est un peu différent.

      La sentence, Jean Valère, 1959

    Alors que la guerre est en train de s’achever et que les alliés progressent très rapidement, un groupe de résistants organise un attentat contre un gradé allemand. Une partie de ce groupe va être arrêtée, trois hommes et deux femmes. Ils seront enfermés dans la cave d’une villa désaffectée en attendant d’être fusillés. Le groupe va passer de l’abattement à l’espoir, d’abord en tentant de s’évader en creusant une sorte de tunnel, mais les dunes de sable empèchent la réussite de ce plan. Ensuite les bombardements alliés semblent se rapprocher et indiquer que la délivrance est proche. C’est pourtant encore un faux espoir. Enfin les camarades de la Résistance vont tenter un coup pour les délivrer, mais ils n’y arriveront pas non plus. Les tensions entre les membres de ce groupe sont nombreuses. C’est François qui dit regretter de s’être laissé aller à cette aventure, puis c’est Georges qui manifeste une peut panique d’être fusillé. Antoine et Catherine vont au contraire trouver du réconfort dans une idylle qui s’ébauche. Mais quand tout espoir va disparaître, les cinq résistants vont trouver la force d’affronter dignement la mort.

     La sentence, Jean Valère, 1959 

    Georges est le premier à se faire rafler 

    C’est donc une trame des plus simples qui va mettre en valeur les caractères individuels. Mais en même temps, au-delà des différences de caractère justement, il y a une logique de groupe qui émerge et qui forme un bloc. La difficulté première que va rencontrer Jean Valère dans ce huis-clos, c’est de ne pas donner une allure trop théâtrale à son film. Et de ce point de vue c’est tout à fait réussi. Le film est divisé en trois parties : l’attentat et la rafle des résistants, l’attente dans la cave et enfin l’exécution. Le plus difficile est donc la deuxième partie avec un décor unique. Jean Valère tourne la difficulté en faisant progresser l’espoir, ou en faisant évoluer les caractères vers l’acceptation d’une destinée malheureuse. Sur le plan technique, il multiplie les plongées et les contre-plongées, insérant au passage quelques scènes qui ouvrent vers l’extérieur, comme par exemple la scène où le fils de François et ses copains viennent jouer au football devant les soupiraux, de façon à faire passer le message de la Résistance. Jean Valère évite ainsi le caractère statique de la mise en scène.

     La sentence, Jean Valère, 1959 

    Les Allemands annoncent qu’il ne leur reste qu’une heure à vivre 

    Les scènes d’ouverture et de fermeture du film sont sans doute les plus belles, elles structurent solidement l’histoire. L’attentat est présenté dans toute sa sobriété, mais avec beaucoup de minutie. Ce n’est pas seulement un groupe de résistants qui commet cet attentat, mais c’est bien le peuple français représenté ici par un pêcheur déjà âgé qui conduit son attelage, ou cette femme, une grand-mère sûrement, qui prend des risques inconsidérés malgré ses difficultés physiques. C’est la Résistance d’un peuple, fait de gens simples et de travailleurs. Antoine est un syndicaliste habitué aux combats collectifs. L’exécution est très longue et chargée d’émotion, rythmée par le Requiem de Mozart. Jean Valère tire de belles diagonales sur la plage, et filme la scène en multipliant les distances entre la caméra et les acteurs dans une atmosphère brumeuse. Ça renforce le sentiment d’isolement et en même temps la cohésion du groupe. On verra ainsi Georges mettre ses lunettes pour regarder la mort en face. La belle photo d’Henri Decaë donne une dimension plus humaine et chaleureuse et peut être moins glamour à l’exécution. Mais tout le passage dans la cave qui représente les 2/3 du film est aussi excellent et évite les redondances. Au-delà du message proprement dit, il y a une esthétique particulière qui donne une grande vérité d’époque, si ce n’est dans la forme au moins dans le fond.

    La sentence, Jean Valère, 1959  

    Ils tentent de creuser un tunnel pour s’évader 

    La distribution est assez simple, elle se résume à cinq acteurs et montre que Jean Valère était un très bon directeur d’acteur. C’est Robert Hossein qui a le rôle le plus complexe, celui de Georges un étudiant en médecine qui s’est engagé dans la Résistance pour des raisons assez compliquées tenant à son histoire familiale. Il doit manifester la peur et ensuite il doit retrouver courage et dignité. Il est excellent. Roger Hanin est Antoine, le chef, c’est sans doute le moins intéressant, même s’il n’est pas mauvais. Il manque un peu de crédibilité. Sans doute est-ce dû à son physique sans aspérité. Marina Vlady bien qu’elle tienne le haut de l’affiche est un peu moins présente, mais elle est très belle et suffisamment rayonnante pour donner du corps à Catherine. Les plus étonnants sont pourtant les moins connus. D’abord Lucien Raimbourg, cousin de Bourvil, il incarne François le pêcheur. Il est extraordinaire. On le retrouvera plus tard dans Chair de poule avec Robert Hossein sous la direction de Julien Duvivier. Et puis il y a Béatrice Bretty dans le rôle de la mère Boissard. Elle est extraordinaire de finesse et d’humanité. C’est une actrice assez rare au cinéma. Elle a fait une très longue carrière au théâtre et a été pensionnaire de la Comédie Française.

     La sentence, Jean Valère, 1959 

    Georges a perdu l’espoir et a peur 

    C’est un très bon film, certainement le meilleur de Jean Valère, construit sur un principe assez difficile. Les acteurs se sont fortement impliqués dans la réalisation qui, elle, intervient au moment où en France les anciens collaborateurs relèvent la tête et commencent à mettre en doute l’importance de la Résistance dans la construction de l’identité du peuple français. C’est le moment par exemple où on va réhabiliter les qualités littéraires de Céline, de Drieu la Rochelle ou de Brasillach. Nous sommes aussi en pleine Guerre d’Algérie, même si très peu de commentateurs osent à cette époque faire le rapprochement entre la Libération de la France et le mouvement indépendantiste algérien.

    La sentence, Jean Valère, 1959 

    Catherine manifeste ses sentiments à Antoine 

    Jean Valère raconte que son film a été un échec commercial, malgré de très bonnes critiques. Ce n’est pas certain. En France il aurait fait tout de même un petit peu plus d’un million d’entrées et il a eu une diffusion internationale. Il a obtenu un prix au festival de Moscou, et comme Robert Hossein et Marina Vlady[3] était un couple très connu dans les pays de l’Est, il est probable que ce film a tout de même dépassé le simple succès d’estime.  

    La sentence, Jean Valère, 1959

    Le fils de François le prévient d’une action imminente pour les délivrer

     La sentence, Jean Valère, 1959 

    La sentence va  être exécutée 

    La sentence, Jean Valère, 1959

     


    [1] En français, Avec un élastique, Gallimard, Série Noire ; 1957.

    [2] Jean Valère, Le film de ma vie, Editions du bord de l’eau, 2012. L’ouvrage est accompagné du DVD du film La sentence.

    [3] Marina Vlady est encore aujourd’hui très célèbre et appréciée en Russie comme une immense vedette.

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