• La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943

     La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943

    Mark Robson est un réalisateur discret, il compte de belles réussites, notamment Champion un des tout premiers films qui lança la carrière de Kirk Douglas[1]. Ici il s’agit d’un petit film noir, et c’est en même temps le premier long métrage qu’il signe. Il va démontrer dans The seventh victim à partir d’une histoire relativement simple ce qu’est la maîtrise. Il y a dans ces films de série B produits par la RKO un style qui en quelque sorte fait ressortir au mieux les spécificités du film noir. Sans doute cela vient-il du fait qu’ils sont obligés pour des raisons évidentes de construire des histoires relativement simples. Notez que très souvent ces films comportent des incohérences et des lacunes parce que leur durée ne devant pas dépasser une heure ou une heure dix, il faut couper des scènes qui parfois auraient apporté des explications bienvenues. 

    La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    Mary rencontre une ancienne employée de sa sœur 

    Mary est orpheline, elle termine ses études dans un lycée dont les frais sont payés par sa sœur Jacqueline. Mais elle apprend que celle-ci qui vit à New York a disparu : elle ne paye plus les factures. Mary va donc partir à la recherche de sa sœur. Elle se rend à l’entreprise de cosmétiques que Jacqueline dirigeait, mais c’est pour apprendre que celle-ci a été vendue. Ses démarches la mènent jusqu’à la police où elle signale la disparition. Une sorte de détective un peu miteux lui demande de l’argent pour la retrouver. Mais elle préfère se débrouiller par elle-même, d’autant que de l’argent elle n’en a pas. Une employée de l’entreprise de cosmétique va lui donner une piste qui la mène à un restaurant italien. Là elle apprend que Jacqueline avait une chambre juste au-dessus du restaurant. Après avoir insisté pour visiter cette chambre, elle y découvre une corde et une chaise, comme pour se suicider. Elle se tourne également vers un avocat qui est sensé être le fiancé de Jacqueline, mais qui est en réalité son mari. Celui-ci se propose de l’aider et va lui trouver un emploi dans une école maternelle. Mary sa prendre elle aussi une chambre au même endroit que sa sœur. Avec le détective rencontré par hasard, elle va pénétrer dans l’entreprise de cosmétiques. Le détective est poignardé et Mary doit s’enfuir. Dans le métro, elle croisera deux hommes qui ont embarqué le cadavre de ce détective. Mais Assisté d’un jeune poète qui semble amoureux d’elle, elle va finir par retrouver sa sœur qui est protégée par un psychiatre nommé Judd. Mais Jaqueline disparait encore. En fait elle a été enlevée par des membres d’une secte sataniste à laquelle les membres de la société de cosmétique appartiennent aussi. Elle est désignée comme la septième victime, car ceux qui dénoncent cette secte doivent mourir. La secte va donc lui demander de se suicider. C’est d’ailleurs une idée qui a tenté un moment – au moins sur le plan intellectuel – Jacqueline, et c’est pourquoi elle a installé un système pour se pendre dans sa chambre. Jacqueline va fuir encore, échappant à un mystérieux tueur. Pendant ce temps, Judd, Jason et Ward se rendent sur les lieux de réunion de la secte avec Mary. Là ils leur font un sermon comme quoi le bien c’est mieux que le mal, et qu’ils feraient mieux d’abandonner leurs idées loufoques. Mais il est trop tard : Jacqueline s’est suicidée, tandis que Ward déclare enfin sa flamme à Mary.  

    La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943

    Avec l’aide d’un détective elle pénètre dans l’entreprise de cosmétique 

    C’est un film devenu culte au fil des années, bien qu’à sa sortie il ait été un échec complet tant sur le plan commercial que sur celui de la critique qui y a vu une histoire bien trop décousue. Il est vrai qu’en la résumant, on a du mal à croire que ça tienne debout. Et pourtant, dans le déroulement du film on ne se pose pas cette question, sauf la fin qui est vraiment scabreuse. Il est probable qu’un des problèmes rencontrés par ce film vienne d’un scénario hésitant entre film d’épouvante et film noir : entre la déviance d’une secte aux tendances criminelles et la quête de Mary. Les deux scénaristes, De Witt Bodeen et Charles O’Neal étaient en effet plutôt des spécialistes du film d’horreur. Lez premier avait travaillé sur Cat people de Jacques Tourneur, te le second écrira Cry of the werewolf d’Henri Levin. Certains d’ailleurs continuent à considérer The seventh victim comme un film d’épouvante et le classant très haut dans ce genre. En vérité c’est plus encore un film du producteur Val Lewton qui à la RKO développa le genre des films d’épouvante. Mais passons sur les invraisemblances scénaristiques. Le film et les personnages existent indépendamment de la solidité de l’intrigue, et c’est cela qui le rend intéressant. Le personnage principal est donc Mary, une jeune fille naïve et peu expérimentée qui va se trouver confrontée non seulement à la disparition de sa sœur, mais aussi à la noirceur de la ville de New York. Elle passe donc du cocon relatif de son internat à la dureté de la vie urbaine qui lui fait croiser un nombre invraisemblable de personnes dérangées, à commencer par sa sœur qui manifestement a perdu la raison. La ville est sombre et noire, les menaces sont permanentes, que ce soit dans le métro ou dans les rues de Greenwich Village. On peut d’ailleurs supposer que c’est cette ville dangereuse qui rend les gens fous. Les membres de la secte satanistes sous leur aspect sophistiqué accentuent cette nature délétère.

     La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    Dans le métro elle cherche ses repères 

    Le second aspect est que Mary en recherchant sa sœur va se trouver elle-même et s’émanciper. C’est un parcours initiatique, et elle tombera amoureuse du mari de sa propre sœur et on comprend que sa récompense sera de se marier avec lui et de fonder une famille. Car seule la famille protège les individus des turpitudes de la vie quotidienne. Les Romari sont les propriétaires du restaurant Dante, ils représentent la tradition et la joie de vivre. Ils chantent et font la cuisine pour des gens qu’ils apprécient. C’est le seul pôle vraiment positif du film, comme le contre-exemple de ce que la vie devrait être. Tous les autres apparaissent dérangés – comme le poète amoureux de Mary – ou comme enfermés en eux-mêmes comme le docteur Judd ou l’avocat Ward qui ne commencent à s’inquiéter que tardivement de la disparition et des fréquentations de Jacqueline. Celle-ci est d’ailleurs complètement cinglée, hésitant entre la volonté de vivre et celle de disparaitre en permanence. On a dit également que ce film était une introduction discrète à un érotisme homosexuel. Je suppose que cela fait allusion à la relation entre Frances et Jacqueline ou encore entre Jacqueline et son ancienne employée à qui elle cède son entreprise pour rien. Ce dernier point est d’ailleurs plutôt obscur. Pourquoi Jacqueline fait-elle cela ? Est-ce une critique directe des pratiques sectaires qui ont souvent pour objectif de dépouiller leurs membres ? En tous les cas pour en revenir à la tendance lesbienne de ce film qui en expliquerait peut-être l’échec, il est difficile de le vérifier à la seule vision du film.   

    La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    Mary tente d’en apprendre plus sur Jacqueline 

    La mise en scène est sans-doute plus satisfaisante que le scénario. Le montage est serré, les scènes d’action nerveuses. Il est vrai que Robson est bien aidé par la photographie impeccable du grand Nicholas Musuraca. Celui-ci est un pilier incontournable de la longue liste de ceux qui ont développé l’esthétique du film noir. On le trouve en effet au générique d’un nombre invraisemblable de chef d’œuvres du film noir, à commencer par Out of the past de Jacques Tourneur[2]. Il connaissait tout : du point lumineux au-dessus des têtes comme la conscience qui interroge, ou des ombres fulgurantes qui dissimulent pour mieux montrer, ou encore le jeu du miroir qui dédouble et modifie la réalité. Bien qu’il ait travaillé dans un peu tous les genres, c’est dans le film noir qu’il a donné sa pleine mesure. Rien que pour cette capacité à exprimer des sentiments et même une certaine philosophie, The seventh victim doit être vu pour cette photographie. La scène du métro est remarquable, comme est remarquable aussi la longue course de Jacqueline qui essaie d’échapper à son destin. Dans cette capacité de gérer les ombres et la lumière, il y a aussi une utilisation particulière du personnage étrange de Jacqueline. Elle est coiffée d’une perruque brune et frangée, et vêtue d’un manteau de fourrure qui la classe directement dans les personnages étranges et fantastiques. Elle est l’envers presque complet de sa sœur qui est encore une petite fille coiffée d’un béret, engoncée dans un manteau étriqué et banal. Cette opposition nous ramène d’ailleurs à l’idée que ce sont les personnages féminins qui intéressent plus Mark Robson que leurs homologues masculins. Ceux-ci sont du reste assez passifs, nonchalants, à peine décoratifs. Ils ne brillent ni par leur intelligence, ni par leurs initiatives. Seul peut-être le poète échappe un peu à ce constat. Mais on comprend bien qu’il possède aussi en lui une part de féminité qui s’exprime dans sa timidité, dans son incapacité à déclarer sa flamme à Mary. 

    La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    Mary a enfin retrouvé Jacqueline 

    Le film est construit autour de la personnalité de Kim Hunter qui incarne Mary. Elle est remarquable dans ce rôle de jeune fille tourmentée qui va finir par prendre sa vie en mains. C’était son premier film. Elle aura d’ailleurs par la suite les pires difficultés à poursuivre son métier d’actrice, notamment parce que ce salopard d’Elia Kazan la dénoncera comme communiste auprès de l’HUAC[3]. C’est elle qui créa le rôle de Stella Kowalski dans A streetcar named desire, rôle qui lui vaudre l’Oscar du meilleur second rôle en 1951. Elle restera cependant cinq ans sans tourner, ce qui suffit à une actrice pour être oubliée. Jean Brooks est Jacqueline. Très bien dans ce rôle furtif auquel elle donne un côté mystérieux et sulfureux. C’est son rôle le plus remarquable. On lui a fait une frange à la Louise Brooks, elle qui d’habitude est plutôt blonde avec une coiffure libre. Isabel Jewell est aussi très bonne dans le rôle de Frances Fallon. Elle passe facilement de l’angoisse à l’ironie, voire à la compassion. Elle n’a eu hélas que rarement des premiers rôles. La distribution masculine est plutôt négligée, faites de seconds couteaux sans charisme, mais ça passe parce que ce ne sont pas les mâles qui sont ici concernés par l’histoire. Ce sont juste des acteurs de série B. On remarquera d’ailleurs qu’il y a un point de vue féministe sous-jacent, comme une sorte de solidarité féminine. C’est assez explicite quand Mary doit quitter le lycée et qu’une de ses camarades lui enjoint de ne pas revenir. Ce qui laisse entendre que ce lycée est comme une prison. C’est également cette solidarité féminine qui va faire que Frances va empêcher Jacqueline de boire le poison fatal.

     La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    La secte met Jacqueline en accusation 

    Ce film des débuts des années quarante, donc du début du cycle classique du film noir, non seulement se voit très bien encore plus de soixante-dix ans après, mais on pourrait même dire qu’il s’est bonifié avec le temps à la lecture des critiques élogieuses qu’il ne cesse de susciter des deux côtés de l’Atlantique. Il n’est plus aujourd’hui considéré comme une médiocre réalisation de série, mais comme le chef-d’œuvre de Mark Robson. Ce n’est pas le cas, celui-ci fera beaucoup mieux par la suite, néanmoins c’est une pièce importante dans le dossier du cycle classique du film noir.

     La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    Menacée par un tueur, elle fuit dans les rues de New York 

    La septième victime, The seventh victim, Mark Robson, 1943 

    Le docteur Judd explique aux membres de la secte la différence entre le bien et le mal



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/le-champion-champion-mark-robson-1949-a114844844 

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/la-griffe-du-passe-out-of-the-past-jacques-tourneur-1947-a118298548 

    [3] Ce qui infirme d’ailleurs les assertions de ce même Kazan qui affirmera pas la suite pour minimiser son ignominie qu’il n’a dénoncé « que » des acteurs et des réalisateurs que l’HUAC connaissait déjà. Point de vue rapporté complaisamment d’ailleurs par Michel Ciment dans Kazan, Losey, édition définitive, Stock, 2009.

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