• La traversée des livres, Jean-Jacques Pauvert, Viviane Hamy, 2004

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    Jean-Jacques Pauvert qui s’est éteint cette année a été un éditeur très important dans les années cinquante-soixante. Il a été un combattant de la liberté d’écrire et de penser, mais aussi un transgresseur. Il s’est fait connaître par la publication de textes érotiques plutôt dérangeants, comme Histoire d’O, ou les œuvres complètes du marquis de Sade, ou encore Georges Bataille. Bien sûr aujourd’hui tout cela est assez loin, puisqu’en effet on peu publier à peu près tout ce qu’on veut – sauf des appels à la haine raciale – sans rien risquer. Mais à l’époque publier de tels textes était une aventure risquée. Avant de devenir un éditeur de premier plan, il travailla chez Gallimard comme commis de librairie. Jeune alors, il se mit à adorer les livres d’une manière un peu immodérée. Et s’il abandonna rapidement ses études, il n’en développa pas moins une culture littéraire solide, même si elle n’était guère orthodoxe, fréquentant tout le gratin de la littérature moderne, de Sartre à Camus en passant par Genêt. Assez peu porté sur la politique, bien qu’il ait été intégré un moment dans la Résistance et dans la mouvance communiste, il préféra s’investir dans l’édition.

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    Pauvert à 19 ans

     

    Mais Pauvert n’était pas seulement cet éditeur qui a enfoncé les portes de la censure, il s’est souvent piqué d’écrire, notamment sur Sade auquel il aura consacré une partie de sa vie. Entre temps il republia les surréalistes, André Breton, à une époque où ils étaient plutôt enterrés. Il publia aussi le premier texte de Robert Faurisson sur Rimbaud, A-t-on lu Rimbaud ? C’était une époque où Faurisson n’était pas encore devenu un négationniste gâteux.

    Dans les années soixante, il joua donc le rôle d’un éveilleur à traver à la diffusion d’une culture un peu alternative et transgressive. Ses ouvrages se remarquaient d’abord par un soin très grand accordé à la qualité de l’impression, au graphisme sophistiqué de ses ouvrages, voire aux formats bizarres utilisés pour publier Sade ou pour sa collection Libertés.

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    Du rôle de l’écriture et de l’édition

     

    D’un certain point de vue, il est apparu très moderne, pourtant il republiait abondamment des textes finalement très anciens, leur donnant ainsi une autre signification en les faisant sortir des vieux cartons. Mais le simple fait qu’il ait donné une assez bonne unité à son catalogue, allant du surréalisme à Sade en passant par des érotiques et des en-dehors comme Darien, le présentait comme une sorte d’étendart. Bien que sa maison d’édition n’ait guère de succès commercial, du moins avec le milieu des années soixante, elle imprima une marque durable sur toute une frange intellectuelle et jeune qui participa à Mai 68 d’une manière active, refusant les codes trop voyants des structures hiérarchiques qui apparaissaient aussi bien dans le parti gaulliste, le parti communiste ou encore dans les petits partis gauchistes.

    Je me souviens assez bien de ce sentiment d’élévation qui nous habitait à la fréquentation des livres de Pauvert. Il nous semblait qu’ils nous rendaient un peu plus intelligents et un peu plus sensibles. Bien entendu si l’ensemble du catalogue de Pauvert est assez homogène, il n’est pas forcément intéressant dans son entier. Cependant, c’est en le reliant aux transformations sociales qui ont surgi à la fin des années soixante qu’on comprend mieux le rôle de l’édition. Il faut se souvenir qu’une des caractéristiques principales de Mai 68, a été l’explosion de la lecture des poètes : jamais Rimbaud ne s’est autant vendu qu’à cette époque là, mais aussi André Breton dont les livres se sont toujours peu vendus, est devenu sinon un auteur populaire, du moins abondamment lu.

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    La fortune Pauvert ne la connut que tardivement, vers la fin des années soixante. Principalement la cause en fut une implication dans la littérature contemporaine avec la publication des ouvrages d’Albertine Sarrazin et le prix Goncourt de Jean Carrière. Et puis les choses sont devenus un peu plus difficile avec la régression sociale et culturelle qui est apparue dans le développement d’une société libérale centrée essentiellement sur la réussite pécuniaire. Il dut se séparer de sa maison d’édition, mais il resta actif, écrivant sur Sade, republiant des ouvrages fondamentaux du surréalisme sous d’autres label. Et c’est lui qui fut aussi à l’origine du transfert de Guy Debord et de ses œuvres chez Gallimard. Il donna aussi une plus grande lisibilité au travail d’Annie Lebrun par exemple.

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    Dans la traversée du livre on trouvera aussi une description de la censure dans les années de l’après-Seconde Guerre mondiale. On a du mal à imaginer aujourd’hui comment il était difficile de se procurer des ouvrages dont tout le monde parlait par ailleurs. La censure ne touchait pas seulement les ouvrages de Sade, elle sévissait envers le roman noir, par exemple J’irai cracher sur vos tombes signé Vernon Sullivan (Boris Vian), mais aussi les productions du Fleuve Noir. Ce fut une bataille judiciaire épique. Et si progressivement la censure lâcha du terrain – notamment parce qu’un de ses piliers s’était fait piéger dans des affaires de pédophilie – ce ne fut qu’après Mai 68 qu’enfin l’édition put être à peu près libre.

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    Cependant La traversée des livres n’est pas seulement un ouvrage à la gloire de Jean-Jacques Pauvert, c’est aussi une description sur le métier du livre après la Seconde Guerre mondiale et disons jusqu’à la fin des années soixante-dix. Il montre l’importance pour l’édition non seulement d’un esprit frondreur et transgresseur, mais aussi de cet aspect artisanal et désintéressé, même si bien entendu la nécessité de financer lamaison d’édition par des rentrées financières est impérative. Si Pauvert fut un éditeur important, il n’était cependant pas le seul. Beaucoup ont émergé dans son sillage, comme André Balland, Eric Losfeld ou un peu plus tard Christian Bourgois.

    Il y a eu dans cette période un renouvellement continu des maisons d’édition, avec comme pic le moment de la Libération, puis Mai 68. Mais c’est un mouvement qu’il est difficile aujourd’hui de perpétuer. La plupart de ces maisons indépendantes se sont fait étrangler et racheter par des mastodontes comme Gallimard ou Hachette qui ne font qu’exploiter un fond déjà constitué.

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    L’évolution récente de la librairie en France et dans le monde ne rend pas forcément optimiste. Il semble que le livre, au lieu d’être un élément de passage et de transformation, d’ouverture, ne soit plus qu’un élément parmi d’autres de l’accumulation du capital humain, le peuple du livre semble de plus en plus se ghettoïser, le peuple dans son ensemble ayant été séparé des moyens de son émancipation par la logique de la marchandise. 

    « Haines, The lawless, Joseph Losey, 1950Milan Calibre 9, Milano Calibro 9, Fernando di Leo, 1972 »
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