• La triple crise du cinéma

     La triple crise du cinéma

    Il y a une triple crise du cinéma. D’abord la crise du véhicule pour les films, et on se demande comment les salles peuvent rester encore ouvertes avec les conséquences du COVID-19, mais aussi les nouvelles politiques de diffusion des films. Si les salles ferment les films risquent de devenir invisibles non pas physiquement mais comme objets culturels clairement identifiés. Un film qui ne passe pas en salle est-ce encore un film ? Or évidemment de nombreuses salles sont sous la menace d’une fermeture car elles sont privées de films qui pourraient les remplir au moins un peu. Walt Disney cette ignoble boutique a décidé de sortir Mulan un film promis au succès directement sur une plateforme de VOD et cela pour un prix exhorbitant, on parle de 30 $[1]. On se souvient que Netflix avait décidé de sortir le film de Martin Scorsese, considéré encore comme un artiste, The Irishman, uniquement sur sa plateforme. Ce film avait été très cher, on a parlé de près de 160 millions de $. Mais cette débauche d’argent n’a pas empêché que le film soit complètement raté. Scorsese faisait semblant d’être content disant que jamais il n’avait disposé d’autant de moyens, mais quelque part on le sentait inquiet[2]. On comprend que ceux qui ont le pouvoir de l’argent à Hollywood, ont pour ambition première de tuer le film en salles et un peu plus loin de tuer le cinéma qui ne serait pas autre chose d’une suite d’image entre distraction et jeu vidéo. Certes il est très probable que la salle proprement dite ne mourra pas, il va y avoir encore des salles subventionnées qui passent des classiques – par exemple l’Institut de l’image d’Aix-en-Provence entamera une rétrospective des films de Kirk Douglas au début septembre – ou alors des circuits parrallèles qui proposertont des films militants comme ceux de François Ruffin ou de Gilles Perret. Mais on voit que dans cet étau, c’est le film de fiction qui sera pénalisé. Cet effacement des salles aura des répercussions d’abord sur le public qui ne se reconnaitra plus dans un film emblématique qui forme l’imaginaire d’une génération. Le grand nombre de salles permettait jusqu’à ce jour un certain équilibre entre les films rassemblant les foules adolescentes qui mangent du pop corn et ceux qui se voulaient un peu plus sérieux, mais qui comme les films français d’aujourd’hui n’étaient pas forcément meilleur.

    Le sabotage des salles qui subissaient déjà les effets du COVD-19 s’est accéléré aussi par ce qui vient de se passer : le gouvernement de Castex vient d’autoriser les chaînes de télévision à passer des films maintenant le samedi soir[3]. Il y a encore quelques années une telle attaque frontale des salles ne serait pas passée inaperçue. Mais qui donc croit aider ce gouvernement ? Le cinéma ? Les chaînes de télévision ? Les producteurs ? Les principaux bénéficiaires de ces mesures seront d’abord les marchands de publicité télévisée. Parmi les autres effets négatifs des décrets publiés par le gouvernement, il y a l’autorisation de la publicité pour ce qu’on appelle les block-busters. Ce qui veut dire que de plus en plus le cinéma en salle sera réservé aux films dits de distraction pour adolescents mangeurs de pop corn.

     La triple crise du cinéma 

    Ensuite, il y a une crise de la création. Eric Neuhoff a sorti à l'automne dernier un médiocre ouvrage sur ce thème[4]. Le bouquin pour être mauvais n'en pointe pas moins un problème majeur. Quels sont les réalisateurs qui sont intéressants aujourd'hui ? On en trouve bien quelques uns en Asie, parfois il y a quelques exceptions aux Etats-Unis, mais c'est vrai qu'en France, c'est le désert complet. Neuhoff se lamente sur le fait que nous ne sommes plus capables de faire émarger des Sautet, des Truffaut. Il s’en prend particulièrement à Ozon et Assayas. Certes ce sont deux très mauvais réalisateurs, mais le premier arrive tout de même à attirer des spectateurs. Les films français qui cartonnent comme on dit, ce sont des débilités sans grâce aucune avec Christian Clavier, Omar Sy ou enocre Frank Dubosc et Kad Merad – des fois on les a même tous ensemble ! Neuhoff nous dit que c'est la faute de la FEMIS et de ce que des professeurs enseignent aux apprentis réalisateurs. Ce n’est pas tout à fait vrai. Un réalisateur comme Olivier Marchal qui tente de faire des polars à l’ancienne est un ancien policier devenu acteur avant de passer derrière la caméra, sans avoir fait décole de cinéma. Il a eu un certain succès dans ses débuts de réalisateur, mais le résultat d’ensemble est calamiteux. Il vient de terminer un film Bronx qui finalement ne sortira pas en salles, il sera directement proposé sur Netflix, ce qui semble le ravir car cela lui évitera les feux de la critique, mais aussi la déconvenue de voir les salles vides[5]. Mais cette crise de la création est aussi une crise du financement. Les recettes des supports numériques – DVD puis Blu ray – se sont effondrées, et les chaînes de télévision achètent bien moins de droits qu’auparavant. Neuhoff en avait après Ozon et Assayas, mais il y a bien pire que ces deux réalisateurs qui de temps à autre arrivent à couvrir leurs frais. Il y a par exemple Bertrand Bonello qui fait des films très confidentiels mais qui donne tout de même son opinion sur le cinéma français du haut des petits prix qu’il récolte dans des festivals de province[6]. Cette crise s’étend d’ailleurs des réalisateurs aux acteurs qui à quelques exceptions près sont tous plus mauvais les uns que les autres. Malgré la médiocrité du cinéma américain actuel, celui-ci a au moins l’avantage de souvent pouvoir travailler avec de très bons acteurs. Les acteurs français d’aujourd’hui sont très mauvais, mais dénués de tout charisme, à tel point que personne ne les connait et ne les reconnait, sauf ces acteurs dits comiques de quatrième ordre et que nous avons déjà cités plus haut. Dans le genre « cinéma d’auteur » on a Isabelle Huppert ou l’indéboulonable Catherine Deneuve qui a fait plus que son temps, et dans le genre soi-disant cinéma grand public il y a les restes de Gérard Depardieu, ou encore les mornes Jean Reno et Nicolas Duvauchelle. Je ne m’amuserais pas à dresser un comparatif avec les acteurs des années cionquante ou soixante, ça nous attristerait encore plus. Reposant le plus souvent sur des scénarios mal ficelés, ils sont tout aussi mal filmés et provoquent l’ennui avant la fin de la première bobine. Si ce n’était que les producteurs ont rentabilisé leurs produits avant même qu’un spectateur ne les voit, il y a longtemps qu’ils auraient disparus. Tu veux t’emmerder, va voir une misère couteuse et signée Léo Carax qui par le plus grand des hasards arrive encore à tourner. Je veux bien que le succès commercial ne soit pas un gage de vérité artistique, et je peux citer un grand nombre de films qui n’ont jamasi eu de succès en salle et qui pourtant sont de véritables chefs-d’œuvres qui au fil du temps ont marqué leur époque. On peut supposer que ce laxisme dans le financement est la conséquence de l’idéologie selon laquelle tout se vaut, et que de bien filmer est déjà en soi une hérésie. 

    La triple crise du cinéma

    La troisième question est celle de la place du cinéma dans la production d'images politiquement correctes. Et de ce côté les choses ne devraient pas s'améliorer avec les nouveaux censeurs. On annonce par exemple Omar Sy dans le rôle d’Arsène Lupin. Ça en fera peut-être rire certains, mais les autres se demanderont dans quel asile de fous on a échoué. En effet alors que le cinéma aurait besoin de toujours plus de liberté pour se régénérer et dire un peu quelque chose d’original sur son temps, voilà qu’à l’inverse on lui met des nouveaux corsets idéologiques pour le faire rentrer dans des cases qui n’intéressent personnes, seulement quelques politiciens ou quelques idéologues sans troupes mais ui rêvent de jouer un rôle dans la décomposition accéléré de notre monde. J’ai assez souvent dénoncé ici la chasse aux sorcières, la vraie, celle que les Américains avaient mise en place pour épurer le cinéma, pour refuser d’en subir une nouvelle. La première avait détruit partiellement le cinéma qui avait mis près de 15 ans pour s’en remettre, celle-ci pourrait bien l’achever définitivement.



    [1] https://www.numerama.com/pop-culture/641024-surprise-le-film-mulan-sortira-sur-disney-pour-un-prix-exorbitant.html Il est d’ailleurs intéressant de souligner que le film de Disney est un remake de remake d’un film chinois, preuve de l’effondrement de la créativité cinématoghraphique en Occident.

    [4] (très) Cher cinéma français, Albin Michel, 2019

    « Le goût de la violence, Robert Hossein, 1961La mort d’un tueur, Robert Hossein, 1964 »
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  • Commentaires

    1
    ciné55
    Mardi 18 Août 2020 à 17:22

    bonjour

    c'est avec un grand plaisir que j'ai découvert ce site consacré aux romans et films noirs mais pas uniquement
    il y est aussi question de cinéma en général et de triple crise du cinéma avec ce texte

    je suis ce qu'il est possible de considérer comme un cinéphile de 65 ans qui allait dans les années 70 à la cinémathèque de Chaillot et un peu plus tard au cinéma André Bazin (13ème) qui programmait notamment de nombreux films de la "nouvelle vague" - j'aimais bien écouter les disques de jazz avant le lancement du film
    j'ai cessé d'aller au cinéma au cours des années 80 alors que le nombre de salles disparaissaitquelqu'un a réussi à me traîner voir un film dans un cinéma forcément multi salles au Forum des Halles il y a deux ans - quelle ambiance! c'était terrifiant! - bienvenue dans le meilleur des mondes camarade ! comme lieu de culte lié au sacré tu repasseras ! - ici on ne pense pas on consomme, non mais tu te crois où?

    ce n'est pas seulement le cinéma qui est en crise mais aussi la culture et plus généralement notre société - cette société néolibérale mondialisée ou globalisée depuis la "révolution conservatrice" des années 80 suivie par la révolution numérique ou digitale avec internet et les GAFAM - j'ai aussi cessé d'aller à la FNAC car je n'y trouve plus rien - Clavier ou Dubosc en blu ray 4k, super! - les oeuvres ne sont plus que des "produits culturels" lancés comme des "événements"
    peut-être devrais-je argumenter, donner des exemples mais je n'en vois pas la nécessité

    2
    Mardi 18 Août 2020 à 17:39

    Je partage l'essentiel de vos idées. mais au-delà de la médiocrité de ce qu'on nous présente, il semble en effet que le cinéma disparaisse comme le reste de la culture aussi parce que notre société n'a plus de boussole. Ce n'est pas un hasard si c'est en Asie qu'on trouve le meilleur cinéma en ce moment. Il y a maintenant un bon moment que je n'ai plus vu de film français en salle ! ça me dit rien !

    Pour le Forum des Halles, voilà ! http://in-girum-imus.blogg.org/patrick-cloux-au-grand-comptoir-des-halles-actes-sud-2018-a199345656

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