• La vie et l’œuvre d’Edouard Rimbaud - 1

    Edouard Rimbaud est originaire de Marseille, où il est né en 1920. Après avoir tâté du métier de policier durant l’occupation, il passera de l’autre côté du miroir et deviendra un vrai truand, avec un pied à Marseille et l’autre à Paris. Il a été aussi convoyeur de drogue dans le cadre de ce qu’on a appelé la French Connection.  Mais apparemment sa carrière de truand a commencé bien avant puisqu’on trouve son nom mêlé à celui du faux baron Foucou d’Ines dans une affaire d’escroquerie en 1956. A cette époque il se faisait appeler Roucas. On ne sait pas grand-chose de sa vie, hormis ce qu’il a bien voulu en dire dans des mémoires forcément sélectives. Il a été également condamné aux Etats-Unis à trente ans de prison, ce qui l’a amené à balancer ses petits copains, et par suite, ce sera là un sujet de méditation pour lui. Bien sûr le fait d’avoir passé un deal avec la justice américaine l’a mis en danger, et probablement sa tête a-t-elle été mise à prix, ce qui l’obligea pendant un temps plus ou moins long à vivre sur le qui-vive, à se déplacer et à éviter de se faire repérer. Ce qui ne l’a pas empêché de faire publier deux ouvrages sous son nom.

    Pour ce qui nous intéresse ici, il est l’auteur de deux ouvrage sous son nom : Les pourvoyeurs, roman dans le milieu de la drogue, paru en 1974 et de Doudou, paru en 2000, et qui raconte une partie de sa vie de truand. C’est ce dernier ouvrage qui lui a amené une certaine renommée. Il fait donc partie de cette cohorte d’écrivains qui ont un passé de truand : Simonin, Le Breton, José Giovanni, Mariolle et bien sûr l’immense Boudard. Ce qu’on sait moins est qu’il est l’auteur de deux autres romans parus en Série noire sous le nom de Louis Salinas, Comme à Gravelotte, et Le pot-au-feu est assuré, et qu’il aurait aussi aidé Jean Mariolle à retaper son bouquin, Les louchetracs, paru aussi en Série noire et réédité ces derniers temps à La manufacture de livres. Certains pensent même que c’est Rimbaud qui l’a écrit de A jusqu’à Z. Il est vrai que l’histoire des Louchetracs est assez semblable à celles que développaient Salinas, sauf que Les louchetracs est écrit avec un grand nombre de formules argotiques, ce qui n’est pas le cas ni de Salinas, ni de Rimbaud

    L’ensemble de ces ouvrages révèle deux choses :

    - d’une part que Edouard Rimbaud aime écrire, et qu’il peut écrire bien qu’il est également plus cultivé que la moyenne des malfrats qui traîne dans ce milieu.

    - d’autre part que ses récits, signés de son nom, sont un témoignage de première main sur le quotidien des trafiquants de drogue, quelle que soit leur place dans la hiérarchie. C’est une sorte de « vie quotidienne » chez les trafiquants de came, dans les années soixante-dix.

    Ecrits sans fioritures, les récits de Rimbaud développent une forme chorale qui ressemble un peu, mais comme un miroir aux romans de Wambaugh car il s’y trouve de l’autre côté de la barrière, du côté des marchands de drogue. Comme Wambaugh Rimbaud utilise les formes particulières de langage de la rue, et aussi des anecdotes propres à ce milieu particulier.

    On peut diviser son œuvre en deux, d’un côté deux romans publiés en Série noire sous le nom de Salinas qui s’inscrivent dans une veine assez bien codifiée du roman de truands à la française, louchant du côté de Simonin ou de Pierre Lesou, mais sans grand éclat, et de l’autre un roman et un récit autobiographique d’excellente facture, signés Edouard Rimbaud et qui s’approchent par le ton et par la tenue des grands romans noirs américains.

    En apparence son patronyme l’inclinait à allier une vie d’aventure à une vie d’écrivain. D’ailleurs, il exerça aussi un temps, assez bref il vrai, le métier de libraire, ce qui tend à prouver qu’il aimait aussi les livres.


    Comme à Gravelotte, 1968

     

    Rimbaud va utiliser d’abord un pseudonyme. Louis est le prénom de son père, mais Salinas on ne sait guère à quoi cela ressemble. Rimbaud ne s’en expliquera pas plus dans ses mémoires.

    C’est la première tentative littéraire d’Edouard Rimbaud. Publié en 1968, c’est une histoire de truands marseillais assez traditionnelle. Sorti de prison, Serge retrouve ses deux anciens complices et amis, Gabarit et Gaspard. A partir de là, et d’une manière très confuse, deux histoires vont se croiser : d’un côté, Serge va poursuivre une vengeance vis-à-vis d’une équipe qui l’a doublé, et de l’autre Gaspard et Gabarit vont monter un cambriolage avec ouverture d’un coffre fort au chalumeau, ce qui semble avoir été un temps la spécialité de Rimbaud lui-même.

    L’histoire est d’autant plus décousue que l’inspecteur Crespo a juré la perte de nos trois truands. Et à cette fin, il usera de toutes les fourberies possibles et imaginables, alternants chantage et fabrication de fausses preuves, allant jusqu’à flinguer les truands qu’il ne peut arrêter.

     

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    Il semblerait que l’histoire ait été tronquée par l’éditeur, la Série noire, de façon à la faire entrer dans les normes de l’époque, car il semble manquer des passages entiers, notamment vers la fin, quand on apprend que Serge a effectivement éliminé les frères Sartanéo et Allessandrini. En effet, suivant la logique de l’écriturre de Salinas, cela aurait dû être le clou de l’ouvrage, et non pas une digression de deux lignes rapportée par Crespo. Même chose pour l’arrestation de Serge, ou encore l’extraction de Gabarit.

    Si les personnages avaient eu un minimum de psychologie et d’épaisseur, cela aurait pu faire un roman dans le genre de ceux que Pierre Lesou écrivait à l’époque, le personnage de Crespo y fait inmanquablement penser. Mais ce n’est pas le cas. C’est seulement une succession de scènes de genre : le cambriolage, le triquard qui se fait mettre à l’amende par le condé, etc.

    L’ouvrage est râté dans son ensemble, le langage se veut un mélange de formules argotiques parisiennes à la Simonin et de français académique, les scènes d’amitié virile entre Gaspard et Gabarit ne sont pas très crédibles non plus. Il y a pourtant quelques éléments intéressants, par exemple on voit assez bien que l’auteur connait Marseille, car sans rajouter des détails, il campe clairement le décor. Par exemple les bistrots qu’il décrit dans la rue Vincent Scotto, anciennement rue de l’Arbre, étaient bien tels qu’il les décrits. Comme le toubib des allées Léon Gambetta qui est lui aussi plus vrai que nature. Il y a le Frippé qui va revenir dans l’ouvrage suivant. Mais on y trouve aussi une violence complaisamment décrite, comme cela ne se faisait guère à l’époque.

     

    Le pot-au-feu est assuré, 1973

     

    Le deuxième ouvrage de Louis Salinas, alias Edouard Rimbaud, pa           raît cinq ans après. Le délais semble assez long. Mais il n’est pas certain qu’il ait été écrit aussi longtemps après que Comme à Gravelotte. Le style est un peu meilleur, mais l’histoire elle-même paraît dater du début des années soixante, plutôt que du début des années soixante-dix. En effet, il s’agit d’un conflit entre maquereaux parisiens et arabes, à cause d’une fille qui a choisi de tapiner pour un « tronc ».

     

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    Il y aura des bains de sang, avec des scènes de torture assez osées, mais aussi une histoire de cambriolage avec ouverture de coffre-fort. Cette histoire est d’ailleurs assez embrouillée parce que se sont les bourgeois qui choisissent d’endormir les malfrats et de les manipuler à leur avantage.

    Mais comme tout le monde trahit tout le monde, le héros, Gaston, va à son tour être trahi. Il faut noter cependant que le héros est plutôt faible, tout maquereau qu’il soit, et tout ex-taulard qu’il soit, ce sont les femmes qui lui font la loi dans tous les sens du terme. On est loin des romans à la Le Breton où le mac se contente de faire régner la loi à coups de ceinturon. Mais on est aussi assez éloigné du héros de Pierre Lesou, Cœur de hareng.

    Le récit est écrit à la première personne, ce qui est sensé donner un peu plus de relief à la personnalité du héros. Mais Louis Salinas essaie aussi de jouer sur les différences de langage, entre d’un côté le pseudo-argot des truands, et de l’autre le parler encore policé des bourgeois – preuve que l’histoire date d’avant mai 68. Il inaugure aussi des scènes d’amour saphique qu’on retrouvera avec plus de mordant dans l’ouvarge suivant, cette fois signé Edouard Rimbaud.

    Outre que Salinas dénigre systématiquement le comportement des gens du milieu, il faut bien avouer que l’intrigue est assez invraissemblable. C’est probablement voulu pour donner un ton plus léger au récit, ajouter une dose d’humour. Mais il faut bien reconnaitre que l’ensemble est daté.

     

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