• Le bon camp, Eric Guillon, La manufacture de livres, 2010.

    le bon camp

     

    Assurément la période qui va de 1936 à 1950 est une des plus riches de l’histoire de la voyoucratie et il est normal qu’elle ait inspiré de nombreux écrivains. Sur cette époque il y a aussi l’ouvrage de Dominique Manotti, "Le corps noir" qui est de très loin son meilleur livre , ou encore le livre très méconnu de Jean-Louis Martin, "Fini les boniments". On se souvient que c’est dans celle-ci que José Giovanni, Auguste Le breton ou encore Albert Simonin firent leurs armes, au sens propre et au sens figuré. C’est cette période qui leur a permis d’inventer en quelque sorte un style. C’est justement ce style qu’Eric Guillon cherche à retrouver en retraçant le parcours d’un marginal, plus ou moins engagé politiquement, qui se fait demi-sel sans vraiment s’en apercevoir.

    C’est donc l’histoire de Joseph Mat, orphelin de père because la guerre de 14-18, qui va faire par une sorte d’idéalisme la guerre en Espagne dans le camp des républicains, puis qui se recyclera dans la Résistance où il rencontre L’incroyable Robert Blémant .

    D’une chose l’autre il sera amené à rencontrer tous les grands voyous de l’époque, de Pierrot-le-fou à Abel Danos, mais aussi des personnages plus bizarre comme le docteur Petiot. 

    Guillon avait déjà écrit un ouvrage intéressant sur Abel Danos, équipier de Loutrel et fusillé pour avoir participé à la Carlingue. C’était un plaidoyer pour expliquer les ambiguïtés d’une époque folle, sans pour autant convaincre. L’ouvrage avait eu un bon succès. Ici il récidive, tentant de montrer que même pour les résistants les plus motivés les frontières entre le bien et le mal n’allaient pas toujours de soi. Là où José Giovanni dans Classe tout risque avait écrit une tragédie à hauteur d’homme, gommant tout le contexte social et historique, Guillon s’attache à la destinée fatale d’un milieu particulier. Dans Le bon camp, il reprend ce principe de mettre en perspective les errements  d’une époque en s’appuyant sur une reconstitution minutieuse  des lieux et des faits. 

    Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ces faits, car justement les faits dans leur ordonnancement dépendent de la lecture ex-post qu’on peut en faire. Par exemple sur le rôle du Parti communiste pendant cette période, doit-on s’en tenir à un simple exposé de ce que furent les fluctuations idéologiques des partis communistes, voire de leurs crimes, sans tenir compte que c’étaient des partis de masse à l’intérieur desquels les positions étaient bien plus diverses qu’on ne le croit communément ? Certes Guillon essaie de rester objectif, de nuancer les positions, notamment en ce qui concerne le service de contre-espionnage emmené par Blémant, mais cela ne suffit pas. Egalement il attribue, sans le dire, la dénonciation de Loutrel à Antoine Guérini. Même si cette rumeur a couru un moment, il n’est pas certain que cela soit exact. Il souligne encore  que Loutrel a rendu des services à la Résistance, après avoir travaillé pour la Gestapo, un peu pour nous dire que rien n’est simple, mais en vérité, Loutrel se réfugia dans la Résistance où il ne fit qu’un très bref passage parce qu’il avait perdu ses protection à Paris et que les anciens de la Gestapo française, la bande à Laffont, étaient activement recherchés. 

    En tous les cas, le principe du roman est le même que celui qu’on peut trouver dans d’autres romans de Giovanni, Mon ami le traître ou Le prince sans étoile. On voit bien qu’il a puisé son inspiration un peu partout, notamment L’armée des ombres avec l’assassinat d’Octave qui ressemble beaucoup à celui de Mathilde. 

    Mais ce n’est pas le plus important, l’ambition de Guillon est d’écrire autre chose qu’une énième saga du grand banditisme  en mêlant la fiction à la réalité. Deux axes motivent son écriture : d’abord une décomposition de la chronologie, en usant de la première personne et en mélangeant les épisodes qui affleurent à sa mémoire. Ensuite, il y a un effort louable pour utiliser une langue argotique avec un vocabulaire d’époque. Le tout est assemblé autour d’une réflexion sur les cocus de l’histoire qui rappelle par bien des aspects André Héléna, celui de J’aurais la peau de Salvador ou Les clients du Grand Hôtel. 

    Probablement la plus grande qualité de l’ouvrage est la reconstitution minutieuse de cette sinistre époque, avec les lieux, les odeurs, mais aussi la manière de penser et de parler. Il y a de la vie, celle d’avant-guerre, avec ses petits métiers, ses petites combines.

    C’est donc un très bon roman noir, même si dans la première partie on peut le trouver touffu, ou encore même si l’épisode en Algérie avec Blémant n’apporte pas grand-chose.

     

     

    « L’esclave du gang, The damned don’t cry, Vincent Sherman, 1954Le cambrioleur, The burglar, Paul Wendkos, 1957 »
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