• Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

     Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    C’est encore un film produit par la Warner, avec Humphrey Bogart dans le rôle d’un voyou, un dur, cruel et sans cœur. Cependant, il y a tout de même une nette inflexion, comme un retour à une morale, après l’excellent Each dawn I die, de William Keighley[1]. Comme si leurs précédentes audaces avaient effrayé le studio. Le scénario est basé sur une pièce de théâtre, Chalked out, qui était sortie en 1937 mais surtout qui avait été écrite par Lewis E. Lawes, un ancien directeur de la prison de Sing Sing, où il a travaillé durant vingt-et-un ans. Il n’est d’ailleurs pas seulement à l’origine de ce film, on lui doit aussi le sujet de Twenty Thousand Years in Sing Sing, un film de Michael Curtiz, avec Spencer Tracy, réalisé en 1932, film dont on fera un remake en 1940, Castle on the Hudson, réalisé par Anatole LItvak, avec John Garfield. Lewis E. Lawes était un réformateur, non pas pour excuser le crime, mais essentiellement parce qu’il croyait à la possibilité de rachat, et puis bien sûr il s’attardera sur les injustices qui se commettent en prison, à l’époque c’était un thème très porteur, parce que les peines étaient très lourdes, et les conditions de la vie carcérale étaient très dures. Nous sommes en plein New Deal, et donc on veut réformer les prisons comme on veut réformer la société en profondeurs, sur le plan économique et social. On insistera toujours, sur la misère, le milieu, qui favorise la délinquance et le crime. Le film aura beaucoup de parenté avec Crime school du même Lewis Seiler qui avait bien marché. Non seulement à cause de la thématique développée, mais aussi à cause des acteurs principaux, Humphrey Bogart qui jouait le rôle du réformateur des prisons dans Crime school réendosse ici le costume rayé et clinquant du voyou, Gale page est toujours dans le rôle de la jeune femme honnête et dévouée, et Billy Halop reste quant à lui le jeune homme mal fini, au chaud, qui a besoin qu’on le guide pour trouver sa place dans la vie.

     

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939 

    Fred annonce à Madge qu’il a trouvé un bon emploi à Boston 

    Fred et Madge ont le projet de se marier, et je jeune homme veut aller à Boston où un bon emploi l’attend. Ils projettent d’emmener Johnny, le frère de Madge, avec eux et de lui trouver un emploi, afin de l’éloigner des mauvaises fréquentations. Et en effet Johnny est tombé sous la coupe de Frank Wilson, un truand chevronné qui l’entraîne dans l’attaque d’une station-service. Ça se passe à peu près bien, ils évitent de se faire prendre par la police. Peu après Fred tente de ramener Johnny à la raison, mais il se heurte à Frank. Celui-ci entraîne à nouveau Johnny dans le casse d’une bijouterie. Mais ça se passe très mal, Johnny, pour jouer aux durs, avait pris l’arme de Ted, pour qu’il ne fasse pas de bêtise, Frank la lui confisque. Mais ça se passe très mal. Le vieux bijoutier déclenche l’alarme et Frank l’abat. Il laisse sur place l’arme de Ted. Peu après Frank et Johnny se font pincer par la police qui les a retrouvés à cause de leurs empreintes digitales. Ils filent en prison, à Sing Sing. Mais voilà maintenant que Fred est accusé du meurtre du vieux bijoutier. Johnny commence à perdre ses nerfs, et Frank a peur qu’il ne le dénonce. Ils se disputent, et pour les séparer les gardiens envoient Johnny travailler à la bibliothèque.  

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Frank a entraîné Johnny dans un hold-up 

    C’est maintenant Pop, le vieux prisonnier qui est en taule depuis la nuit des temps qui est chargé de l’éduquer. Johnny va trouver en lui un substitut de père. Mais le procès en première instance de Ted se passe mal, et en appel il va être condamné à la chaise électrique. Sachant que sa sœur aime profondément Ted, Johnny essaie de trouver une solution, mais il n’y en pas. L’étau se resserre quand l’avocat de Fred vient le voir avec le procureur pour tenter de le faire parler, mais Johnny reste muet et ne veut pas trahir Frank. Cependant le vieux Pop qui sent que la situation se dégrade pousse Johnny à tout déballer pour sauver Ted, quitte à envoyer Frank sur la chaise électrique. Sentant que les choses sont en train de se gâter, Frank décide de s’évader en amenant Johnny avec lui. Ils vont donc participer à une évasion de cinq prisonniers, alors que le même jour Fred doit être exécuté. Avant de partir Johnny laisse un mot à Pop pour dénoncer Frank, mais Frank a récupéré le billet. Ils assomment les gardiens, et tentent de faire le mur avec une échelle de corde. Ils sont armés. Mais Scapa qui est le premier à passer, laisse tomber son révolver, le coup part, et le gardien les repère. Il commence à leur tirer dessus, abattant plusieurs évadés. Johnny et Frank se cache dans un wagon de train. Frank abat Johnny avant de se rendre, mais Johnny aura le temps de se confesser. Frank sera arrêté, mais Johnny va mourir sur la table d’opération sous les yeux de Ted et de sa sœur. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939 

    Ils attaquent une station-service 

    Si on s’arrête à la lecture de l’histoire, on se dit que cela va être un pensum sur la nécessité du rachat, et que le crime ne paie pas. Mais la réalité des images va montrer tout autre chose. Johnny est en effet un esprit très faible, et au fond le seul qui le mette en valeur c’est Frank. Il sera d’ailleurs surpris que sur leur premier coup Frank lui donne autant d’argent. a l’inverse, Madge, l’arrogant Ted, et même le vieux Pop, passent leur temps à lui démontrer qu’il est vraiment nul, qu’il doit se dépêcher de prendre un vrai emploi. Mais le premier constat est que ceux qui se prétendent être un guide moral ne sont pas très recommandables, Fred et Madge ne pensent qu’à se créer un petit univers bien bourgeois et mettre au pli Johnny. Pop est en taule depuis des années, il finira sa vie probablement là, et donc évidemment on comprend qu’il est aussi un criminel et qu’il est bien mal placé pour jouer les donneurs de leçon. Ils ont une morale des plus élastique, et poussent Johnny à trahir son ami, alors que pour lui, la loyauté est une valeur importante. Après tout c’est bien Johnny qui a volé l’arme de Ted, et donc c’est bien lui qui est responsable de la mise en accusation de son futur beau-frère. On se rend compte alors que la pression qui pèse sur les fragiles épaules de Johnny est bien trop lourde, car à celle de Madge, de Fred, de Pop, vient s’ajouter celle du procureur et de l’avocat de Fred. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Frank va attaquer un bijoutier 

    Il est assez difficile de trouver Johnny sympathique, mais on peut en dire autant de Pop, de Madge et de Ted qui exerce le curieux métier de vigile, c’est-à-dire, un type qui se sert de son arme pour défendre l’argent des patrons. Au début du film on voit des filles sortant du grand magasin où elles travaillent, ce sont des prolétaires qui se plaignent d’ailleurs des abus des patrons. Mais elles baissent la tête et continuent. Johnny lui tente d’échapper à la condition prolétaire, il veut de l’argent facile et du risque. Mais il n’ira pas jusqu’au bout de ses idées. On retrouve la vieille opposition frère-sœur, la sœur ainée qui élève son frère et on comprend que cela lui pèse. Bien que ce ne soit pas dit, ils sont sans doute orphelins, mais perdus dans la grande ville de New York. Ils se soutiennent tant bien que mal, mais ce sera Madge qui sera la première à s’émanciper de ce pacte familial en voulant forcer Johnny à vivre selon sa vision des choses, et surtout en le déménageant de New York à Boston. Ayant peu de colonne vertébrale, Johnny passe d’une figure paternelle à l’autre, de Frank à Fred, et de Fred à Pop. L’origine de toute cette turpitude est alors bien la décomposition de la famille comme structure protectrice qui permettrait à l’adolescent de grandir et de se trouver. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939 

    Johnny a peur et attend Frank 

    Ce film s’inscrit donc partiellement au moins dans cette grande lignée américaine des films sur les adolescents livrés à eux-mêmes, soit parce que la société est malade – et c’est pourquoi cette veine a éclos dans les années de la Grande dépression avec les films de William Wellman, comme Beggars of life[2] ou Wild boys od the road – soit parce que la famille ne tient plus debout comme institution, ce sera plus tard East of Eden d’Elia Kazan ou Rebel without cause de Nicholas Ray.  La liste est très longue, avec ses variantes où on revient de temps à autre sur la responsabilité individuelle. Mais ici le désarroi de Johnny fait qu’il ne peut pas être tenu pour responsable de ses propres turpitudes. C’est en prison qu’il trouvera sa propre vérité. Car c’est aussi un film sur la prison, son univers, ses mœurs particulières et sa dureté. Et même s’il en mourra Johnny y apprendra à être un homme. On voit bien l’ambiguïté du propos, même s’il n’est pas vraiment responsable de son destin scabreux, la prison lui forge le caractère et l’oblige à s’émanciper de la quête d’une figure paternelle qui lui servirait de modèle et de guide. Et là il va découvrir que Frank n’est pas seulement un dur, un ami, mais aussi un homme qui a ses faiblesses qui l’amène à transgresser ses propres codes moraux. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    En prison Johnny est inquiet pour Ted 

    Le film va fonctionner comme ça, par petites touches, en montrant indirectement la cruauté du système carcéral. Johnny en sortira les pieds devant, mais Red également, alors qu’il est promis à une liberté conditionnelle, et qu’il compte bien s’amender, au dernier moment cette conditionnelle lui sera refuser et le poussera à se joindre à une tentative d’évasion qui va très mal tourner. Pop, le bibliothécaire, est carrément enterré vivant dans la prison. Malade et âgé, on se demande bien ce qu’il fait en prison. On comprend qu’il y mourra, la prison lui donnant le statut du prêcheur qui demande aux fautifs de se repentir. Dans ce film on évite d’insister sur la cruauté des gardiens ou sur la dureté du travail en atelier, ce qui fait peut-être ressortir encore mieux l’inanité du système carcéral et de sa cruauté morale. Le système engendrant, trahison et mensonge, il rabaisse continuellement ceux qui ont été pris à son piège. On voit également, au début du film, que la vie des travailleuses n’est pas forcément très drôle, cette scène, une des rares en extérieur, où on voit une vie grouillante est déjà en soi une explication à la conduite déviante de Johnny. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Il s’affronte avec le bibliothécaire 

    Les étroites cellules dans laquelle les hommes sont enfermés, répondent ainsi visuellement à l’étroitesse de la vie quotidienne des travailleurs, le petit appartement misérable où logent ensemble Johnny et Madge. Mais la critique de l’univers carcéral est également indirecte, par exemple nous voyons un bateau chargé de touristes qui passe sur l’Hudson et qui regardent de loin cet univers dur et crasseux, sans prendre vraiment en considération que ce sont des hommes vivants qui y sont enfermés. Le guide dévide toute une série de chiffres qui sont tous plus aussi creux les uns que les autres. On verra aussi Frank faire des calculs étranges à partir de statistiques publiées dans les journaux. A quoi servent ces statistiques ? Si Frank s’en sert pour se rassurer sur l’issue de son parcours, elles sont là pour cacher la réalité humaine. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939 

    L’avocat de Ted tente de le faire parler 

    Les décors sont soignés, ce qui est déjà la preuve d’un solide budget. Ils évitent toutefois le misérabilisme, ce qui a mon sens fait encore mieux ressortir la dureté de la situation carcérale. Les deux tiers du film se passe à l’intérieur de la prison un univers clos par définition, on verra la foule des prisonniers se déverser dans les couloirs et les escaliers, ou encore aller à la messe, ce qui permettra de s’évader. Le film a sans doute le défaut d’être un peu répétitif avec Crime school, même si ici on a voulu noircir le tableau. Il n’y a pas d’issue vraiment heureuse. Certes Ted sera innocenté, mais Johnny mourra et Frank sera sûrement condamné à la chaise électrique. Et on se dit que Ted et Madge sont condamné à supporté le décès de Johnny jusqu’à la fin de leurs jours. Madge passe son temps d’ailleurs dans le film à baisser la tête, comme si elle avait quelque chose à se reprocher, cachant ses yeux derrière le rebord de son grand chapeau. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Pop conseille à Johnny de soulager sa conscience 

    Bien que relativement court, un peu moins d’une heure et vingt minutes, le film est très actif, on aura droit à deux attaques à main armée, une tentative d’évasion, une poursuite avec la police. Sur le plan visuel ce sont ces scènes qui sont le mieux réussies, bien rythmées et bien photographiées. Il y a de très belles perspectives qui font oublier qu’on travaille en studio. Cependant, en recentrant un peu top le propos sur Johnny, le film devient un peu trop pleurnichard. Il apparaît en effet comme étant excessivement tourmenté, incapable de se fixer par lui-même une conduite. Les scènes sont répétitives. On a l’impression que Lewis Seiler ne s’est intéressé à Johnny que par obligation, manifestement il préfère Frank, un personnage au fond bien plus nuancé et subtil. Mais dans l’ensemble le rythme est assez soutenu et on ne se perd pas trop en digressions édifiantes. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Les cinq hommes s’évadent 

    La distribution est dominée par Humphrey Bogart qui, à cette époque, commence à devenir le grand acteur qu’on connaît. Dans le rôle de Frank il est excellent, non seulement dans la sobriété de son élocution et de la mobilité de son visage, mais aussi dans la manière de jouer de son corps. Billy Hallop est Johnny. Curieusement cet acteur n’arrivera pas à dépasser le stade de l’interprétation des adolescents mal dans leur peau. Il se réorientera vers le métier d’infirmier ! Mais il est vrai que la subtilité ce n’est pas vraiment son truc. Il en fait beaucoup trop dans le genre tourmenté, au point que cela en devienne le principal défaut du film. Gale Page a un rôle finalement assez court, celui de Madge, la sœur éplorée. Elle n’est pas mal avec sa haute taille et son profil de Madone. Harvey Stephens est assez fade pour interpréter le beau-frère. C’est un acteur qui n’a jamais dépassé le stade de jouer les utilités. Plus intéressants sont les seconds rôles de prisonniers, le vétéran Henry Travers incarne l’antipathique Pop avec beaucoup de finesse, mais il y a aussi Harold Uber dans le rôle de Scapa ou Joe Sawyer dans celui de Red qui sont très bons. Curieusement les gardiens et les personnels de la justice sont assez en retrait, comme dépersonnalisés. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Le bruit a alerté le gardien 

    Le film est dans l’ensemble très bon et se voit agréablement, sans être un chef-d’oeuvre. Malheureusement Warner n’est pas capable aujourd’hui d’en mettre une bonne copie à la disposition du public français, or la présence seule d’Humphrey Bogart le justifierait. Du reste on n’en trouve qu’une version DVD même sur le marché américain. Il y a une belle qualité de la photographie qui donne du style à l’ensemble. Elle est due à Sol Polito qui a œuvré énormément avec Michael Curtiz, mais qu’on retrouve aussi chez William Keighley. 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Frank se rend 

    Le châtiment, You can’t get away with murder, Lewis Seiler, 1939

    Fred et Madge assistent à l’agonie de Johnny


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/a-chaque-aube-je-meurs-each-dawn-i-die-william-keighley-1939-a211806626

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-mendiants-de-la-vie-beggars-of-life-william-wellman-1928-a183166896

    « L’école du crime, Crime school, Lewis Seiler, 1938Jean-Luc Godard est décédé à 91 ans »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :