• Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977

      Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977

    Lorsque Friedkin imagine tourner un remake du Salaire de la peur, il vient de réaliser deux films à très grand succès, French connection et L’exorciste. On a l’impression qu’il peut tout se permettre. En vérité la démesure du projet Sorcerer sera le début de sa dégringolade parmi les réalisateurs fabricants de block busters. L’histoire de ce projet ressemble un peu à Apocalypse now, sauf qu’au final Sorcerer si ce n’est pas un mauvais film, n’est pas un chef d’œuvre non plus. Les ennuis ont été de tous ordres pour Friedkin, d’abord le projet était conçu autour des acteurs Steve McQueen, Lino Ventura et Marcello Mastroianni. Steve McQueen s’étant désisté, les deux autres feront de même. Au final Friedkin aura Roy Scheider, Bruno Cremer et Amidou après avoir essuyé plusieurs refus notamment celui de Robert de Niro. Mais le tournage lui-même aller devenir un cauchemar. Il y a des scènes très difficiles à tourner comme la traversée d’un pont branlant qui ont demandé des dépenses de décor et une rallonge des jours de tournage qui ont plombé les dépenses. A sa sortie le film sera un échec aussi bien critique que public. Friedkin le prendra d’autant plus mal qu’il pensait que c’était son meilleur film. Il conservera cette idée et se répand continuellement en interviews dans ce sens.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Nilo est un tueur professionnel 

    Mais pendant des années le film de Friedkin était devenu invisible, aucune sortie en DVD ou Blu ray, ni même en salle. Aujourd’hui on peut voir ce film en salle – ce qui est toujours préférable – mais on peut aussi en trouver une version en Blu ray en anglais. La version est celle que William Friedkin avait désirée à l’époque mais que les producteurs n’ont pas voulu. C’est une bonne nouvelle et cela permet de nous faire une opinion sur ce film disparu un temps. Sorcerer s’annonce d’abord comme un hommage à H.-G. Clouzot. On rappelle que Le salaire de la peur, adapté du roman de Georges Arnaud, avait obtenu la Palme d’or à Cannes en 1953. Cela avait été un immense succès public international. Notons pour la petite histoire que le film de Friedkin s’appelle à l’origine bien Sorcerer, mais il a été rebaptise par les studios Wages of fear, soit Le salaire de la peur le même titre que celui de Clouzot, sans doute pour essayer de faire oublier son échec. En France il a toujours porté le titre du Convoi de la peur¸ sûrement pour ne pas faire d’ombre au film de Clouzot.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Scanlon a participé au braquage d’une église 

    C’est Walon Green qui a été chargé d’écrire le scénario. Son seul titre de gloire est cependant d’avoir co-écrit le scénario de La horde sauvage – ce qui n’est pas rien. Il semble que le scénario soit bien plus adapté du film de Clouzot que de l’ouvrage de Georges Arnaud. En tous les cas il en est plus éloigné. On pourrait dire qu’il se présente comme une variation sur un thème déjà très connu. Quatre marginaux, truand de petite lignée, escroc, tueur à gages ou terroriste, se retrouvent au fin fond de la jungle en Amérique centrale où ils se cachent et  où ils vivotent en travaillant pour une compagnie américaine de pétrole. Ils y vivent une misère effrayante, et pour essayer de se tirer de ce piège, ils vont s’engager à conduire des camions chargés de nitroglycérine destinée à éteindre le feu d’un puits de pétrole qui a explosé. Ils devront parcourir 218 kms à travers une jungle hostile où les périls naturels se redoublent des risques de rencontrer des révolutionnaires capables de les assassiner. Seul Scanlon arrivera au terme de cette aventure, les trois autres trouveront une mort atroce. Mais cette réussite sera très brève, les tueurs chargés de le rattraper sont là.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    La police rackette Scanlon sans état d’âme 

    Ce support donne lieu évidemment à des scènes de prouesse technique, notamment le passage d’un pont branlant sous la pluie battante. Le film est d’abord un film d’action où la psychologie et le caractère des personnages n’ont que peu de place. Friedkin s’en débarrasse dans un long début où se succèdent les actions qui vont conduire les quatre criminels à s’enfuir dans un trou perdu où ils pensent ne jamais être trouvés. Nilo est un tueur à gages, Scanlon a braqué une église sous la protection de la mafia, Manzon a spéculé en bourse et fait des mauvaises affaires, Kassem est un terroriste palestinien recherché par le Mossad. Mais les camions sont aussi des personnages à part entière de cette aventure. Brinquebalants, usés jusqu’à la corde, ils menacent constamment de rendre l’âme.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Kassem aide à charger la nitroglycérine 

    Le premier élément décisif de ce film est le réalisme avec lequel est filmé le pays où se passe l’action, bien que celui-ci ne soit jamais formellement identifié. C’est sordide à souhait – spécialité de Friedkin tout de même. La misère est crue et sans avenir d’aucune sorte. Elle engendre une sorte de folie meurtrière comme lorsque les populations s’en prennent aux soldats qui ramènent les morts consécutivement à l’explosion du puits de pétrole. Le décor est poissé et rouillé. La chaleur use et tue. Cette insertion de l’histoire dans le caractère morbide d’une jungle qui s’empare de tout est certainement ce qu’il y a de mieux dans le film. De là découle d’ailleurs cette violence importée par la compagnie américaine d’extraction pétrolière qui détruit, corrompt les lieux et les âmes. La machine capitaliste est suffisamment bien huilée pour que personne ne puisse échapper au broyage. Avare et criminelle, elle mène le jeu pour le profit des actionnaires.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Scanlon accepte de conduire un des camions 

    Malgré tout, il y a des facilités scénaristiques, présenter aussi longuement les protagonistes à partir de raisons criminelles différentes ça fait un peu catalogue. De même la fin, on entend les balles qui sans doute viennent de tuer Scanlon, est assez lourde. A partir du moment où on voit les deux tueurs arriver, on comprend bien que Scanlon mourra. Il y a beaucoup de scènes répétitives et inutiles, les camions passent et repassent pas les mêmes difficultés. Et la manière dont Kassem imagine une solution pour franchir l’obstacle d’un immense arbre abattu en travers de la route est aussi compliquée que peu réaliste. En enfermant d’une manière aussi stricte les personnages dans la réalité matérielle, Friedkin prive ses personnages d’un minimum d’intériorité. C’est juste sur la fin que Scanlon après avoir traversé une étendu déserte et quasi lunaire, va manifester enfin quelques sentiments humains. Pour le reste ce sont des robots, même si Manzon a la velléité de retrouver un jour sa femme.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Le vieux camion s’élance sur une piste difficile de plus de 200 kms 

    L’interprétation est un des points importants du film. Il faut des acteurs qui représentent une certaine virilité et un certain désespoir aussi. Mais ici les acteurs n’ont pas grand-chose d’autre à faire que d’agir, le point de vue behavioriste de Friedkin comprime les velléités d’expression. Par exemple il n’y a pas comme il y avait dans Le salaire de la peur  une forme d’amitié trouble entre les protagonistes. Ce sont tous des très bons acteurs. Le trop méconnu Roy Scheider incarne Scanlon, un demi-sel du New Jersey. Bruno Cremer est Manzon. Sans doute, à défaut d’avoir Lino Ventura Friedkin s’est rabattu sur lui non à cause de sa prestation magistrale dans La 317ème section, mais pour l’avoir vu dans un film de Lelouch. Et puis il y a Amidou qu’il a repéré aussi chez Lelouch. Ici il en fait peut-être un peu trop dans le rôle du terroriste arabe. Mais il était toujours très bien, et s‘il atteint ici son sommet, on peut dire sans se tromper qu’il n’a pas eu une carrière à la hauteur de son talent. Il y a enfin Francisco Rabal dans le rôle du tueur Nilo. Mais il est plus effacé et se contente de trimbaler une morne ironie au milieu de l’enfer de la jungle.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Les conditions atmosphériques sont épouvantables 

    Que retenir de tout ça ? D’abord une grande maîtrise technique. Si celle-ci est évidente dans les scènes difficiles des camions traversant des obstacles invraisemblables, elle est pourtant bien réelle aussi dans la manière de filmer la petite ville miséreuse à coups de longs travellings arrière et de plans en profondeur qui mettent en avant son quasi enfouissement dans une jungle luxuriante qui semble devoir tout détruire par sa vigueur. Les scènes d’action du début – l’attentat perpétré par Kassem à Jérusalem, ou  le braquage de l’église – sont bien filmées, avec vigueur même mais sans atteindre la virtuosité de French connection. J’ai été surpris du format de l’image, je m’attendais plutôt à un écran large 2,39 : 1. Ici c’est plutôt du 16/9, comme si la copie avait été réalisée pour la télévision.

    A mon avis tout cela ne fait pas de Sorcerer un chef d’œuvre. C’est insuffisant et on ne comprend pas pourquoi Friedkin s’entête à la présenter comme le sommet de sa carrière. Ceci dit, ce bon film d’action, même s’il souffre de la comparaison avec le chef-d’œuvre de Clouzot, permet de reconsidérer un peu la carrière de Friedkin faite de hauts et de bas. Si à sa sortie Sorcerer ne méritait pas tant d’opprobre, il n’en mérite pas aujourd’hui autant de louanges. Mais il est vrai que ce tam-tam est relayé par Télérama et Les Inrockuptibles.

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Kassem étudie un système pour dégager la route

    Sorcerer appartient à un sous-genre du film noir, le film de camion, sous-genre qui eut ses lettres de noblesse dans les années quarante-cinquante, avec des films comme They drive by nights, Thieves Highway ou en France, Gas-oil, et bien sûr Le salaire de la peur. 

     Le convoi de la peur, Sorcerer – Wages of fear, William Friedkin, 1977 

    Scanlon, seul rescapé offre une danse à la servante

    « Le fils de Dracula, Son of Dracula, Robert Siodmak, 1943La griffe du passé, Out of the past, Jacques Tourneur, 1947 »
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