• Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960

     Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    Après les grosses déceptions de sa fin de carrière hollywoodienne, Fritz Lang est retourné en Allemagne. Ce pays a besoin de lui parce qu’il a besoin de se normaliser et de reconstruire un cinéma allemand qui a été clairement détruit pendant la période nazie. Comme Robert Siodmak, un autre déçu d’Hollywood, il sera accueilli à bras ouverts dans le but de redonner un peu de lustre à un art moribond. Lang va d’abord tourner deux films d’aventures exotiques, Le tigre du Bengale et Le tombeau hindou, peu intéressants, mais qui auront beaucoup de succès, notamment en France. Et puis, après beaucoup d’hésitations, il va revenir au Docteur Mabuse pour son ultime long métrage. Ce personnage maléfique, l’équivalent allemand de Fantômas, avait fait l’objet de deux films, Mabuse le joueur, film muet datant de 1922, et Le testament du docteur Mabuse en 1933, année qui vit la prise du pouvoir par Hitler. Certains avaient voulu voir dans Mabuse une sorte de métaphore du Führer. Ça arrangeait Fritz Lang qui se disait anti-nazi, mais c’est très discutable, il est plus probable que la source de ce personnage soit les Fantômas de Feuillade. Il y a en effet le côté indestructible, l’aspect transformiste du personnage et l’aura qu’il dégage et qui entraîne la soumission totale de ses serviteurs dans le crime.   

    Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    La speakerine va annoncer la mort du journaliste qui enquêtait sur Mabuse 

    Tandis qu’on voit un journaliste se faire assassiner à l’aide d’un fusil ultramoderne au milieu d’un embouteillage, le docteur Cornelius, un voyant aveugle, téléphone au commissaire Kras pour le lui signaler comme une forme de premonition. Il sera révélé bientôt que l’homme mort, un journaliste célèbre, enquêtait sur la possible réapparition du docteur Mabuse. La police est sur les dents, on fait appel à Interpol, c’est l’hôtel Luxor qui semble être le lieu où se fomente des crimes plutôt curieux, or cet hôtel avait été construit dans le temps par les nazis. Il y aurait un lien potentiel entre cet hôtel, les nazis et Mabuse, on signale qu’un policier d’Interpol s’est infiltré dans l’hôtel pour apprendre quelque chose. De son côté Kras continue l’enquête sur la mort du journaliste et rencontre le docteur Cornelius dont manifestement il se méfie. Mais voilà qu’une cliente de l’hôtel Luxor, Marion Menil, menace de se suicider en se jetant dans le vide. La police et les pompiers sont dépêchés sur place. Mais c’est le milliardaire américain Travers qui va l’empêcher de sauter. Comme il s’ennuie il va tenter de sauver cette belle jeune femme qui semble souffrir sur le plan psychologique. Cependant un mystérieux docteur Jordan intervient pour la soigner. Le détective de l’hôtel, le louche Berg, va moyennant finance permettre à Travers de pénétrer dans l’intimité de Marion en regardant à travers un miroir sans tain à partir d’une chambre mitoyenne. Kras est de son côté victime d’un attentat au téléphone piégé qui tue son assistant. Il va se rapprocher de Cornelius qui organise une séance de télépathie. Séance à laquelle assiste aussi l’agent d’assurances Mistelzweig et Marion. Le docteur Cornelius prévoit des catastrophes en chaine. Mais Travers va assister, à travers le miroir sans tain à une étrange scène de violence : le mari de Marion est réapparu et la menace physiquement. Travers brise le miroir et intervient. Il tue le mari jaloux avec le revolver de Marion. Ne sachant pas trop quoi faire, ils en appellent au docteur Jordan qui se fait fort d’évacuer le cadavre discrètement. Mais c’est un leurre. L’homme n’est pas mort. Cependant comme il ne sert plus à rien, il va être abattu. Le commissaire Kras va retrouver son cadavre dans un lieu qui a été détruit et où on retrouve aussi des morceaux du dossier du docteur Mabuse qui a brûlé. Mais les relations entre Travers et Marion vont se dégrader quand celui-ci comprend qu’elle lui a menti en appelant le docteur Jordan. Elle avoue qu’en réalité elle est en service commandé et doit le séduire pour l’épouser et ainsi permettre à Mabuse de mettre la main sur sa fortune. Mais comme l’hôtel est truffé de micros et de caméra, l’équipe de Mabuse est au courant de la trahison de Marion. Le détective de l’hôtel va les menacer et les enfermer dans les sous-sols. Ils y sont abandonnés pour attendre la mort. Mistelzweig a entretemps démasqué Cornelius, le faux aveugle, qui n’est autre que le docteur Jordan et le docteur Mabuse, ou du moins son héritier. La chasse est ouverte. Kras va intervenir et poursuivre le reste de la bande. Il arrête Berg qui le mène à la prison du sous-sol, ce qui va lui permettre de libérer Travers et Marion. Ensuite il va pourchasser en voiture Mabuse et ses derniers hommes qui finiront par se planter sur un pont et finir dans la rivière. 

    Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    La police se réunit et s’interroge sur un retour du docteur Mabuse 

    On ne cherchera pas le réalisme du côté du scénario, ni même des personnages. Fritz Lang présentait son film comme une critique du progrès technique à la fois à travers le développement de ce fusil moderne qui tire des aiguilles métalliques qui pénètrent le cerveau, mais aussi avec ce contrôle technicien envahissant qui s’appuie sur des micros, des caméras. Big Brother n’est pas très loin. Le générique s’inscrit sur des yeux, ces milliers d’yeux du titre allemand. Mais cette approche est à peine esquissée et disparaît derrière les aventures rocambolesques de Mabuse, sauf à considérer que Mabuse incarne à lui seul le progrès technique. Est-ce à dire qu’il y a un bon et un mauvais usage du progrès technique ? Pour le reste c’est le vieux piège de la femme fatale qui va vraiment fonctionner auprès du riche américain qui s’ennuie. On apprend que celui-ci vient de voir une centrale nucléaire qui lui appartient détruite dans une explosion, sans que cela ne l’émeuve plus que ça. Donc rapidement le film se disperse et perd de sa signification. Mabuse s’est réincarné dans un vague criminel qui veut semer le chaos, soit, mais sa personnalité n’est pas vraiment explorée comme elle l’était dans les deux premiers Mabuse. Le rôle central revient au commissaire Kras. C’est lui le cœur du film. Le couple Travers Marion n’a pas vraiment d’intérêt et Mabuse non plus. C’est donc Kras qui attire le plus l’attention par sa façon en apparence nonchalante de mener une enquête à la manière d’un Maigret d’outre-Rhin. L’allusion au fait que l’hôtel Luxor ait été construit par les nazis n’a pas non plus une grande signification, juste pour avaliser l’idée banale du fait qu’Hitler et sa clique ont bien incarné le mal le plus profond, ou encore pour montrer que si l’Allemagne a bien changé, il y reste cependant des résidus de cette folie, que ce soit Mabuse ou Berg par exemple. Qu’un homme seul puisse faire régner la terreur sur ceux qui le servent finalement entraîne un refus de les juger puisqu’ils ne sont pas vraiment responsables. Le commissaire Kras est celui qui répare les fautes de ses contemporains, c’est-à-dire du nazisme qui a dévoyé le cours de l’histoire de l’Allemagne. Il comprend bien qu’il en reste des séquelles et que l’épuration n’a pas été vraiment terminée. Remarquez que le docteur Cornelius tente d’entraîner ceux qui l’écoutent du côté de l’irrationnel par ses séances de spiritisme, mais il conserve pour lui les progrès de la science. Remarquez que, à la fin de sa carrière hollywoodienne, Lang s’interrogeait sur les journalistes et leur pouvoir. Ici, il commence par en tuer un, comme s’il réglait son compte à cette profession. 

    Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    Le docteur Cornelius entame une séance de télépathie 

    Si le scénario est très faible et sans surprise, par contre la réalisation est excellente, sûrement pas la meilleure de Lang comme le pensait Lotte Eisner, mais c’est du travail soigné. Il y a des emprunts nombreux à d’autres films noirs. Par exemple la scène où on voit Marion menacer de se jeter dans le vide ressort directement du film d’Henry Hathaway, Fourteen hours qui date de 1951. La séance de télépathie organisée par Cornelius est inspirée par le propre film de Fritz Lang, Ministry of fear de 1944 et bien sûr de Mabuse le joueur de 1922. La réunion des policiers qui tentent de mettre au point une parade à l’action de Mabuse rappelle aussi M. Mais il y a le style de Lang dans les mouvements d’appareil qui allient des rotations compliquées qui permettent de descendre ou de monter vers les personnages, comme dans la multiplication des plans en pied, et aussi dans ces formes qui utilisent systématiquement la plongée en avant. Il recycle évidemment toute une série de clichés du film noir, clichés qu’il a contribué à diffuser dans les années quarante. On pourra facilement apprécier cette maîtrise technique… qui tourne un peu à vide cependant à cause de la médiocrité du scénario. On remarquera l’exploitation du thème du voyeur, notamment quand il dévoile l’envers du décor du journal télévisé, quand bien sûr il montre ces écrans qui servent à espionner tout le monde, mais aussi dans le dévoilement de la chambre truquée qui permet d’accéder à l’intimité d’une jeune femme. Travers détruit ce trucage en passant de l’autre côté du miroir pour faire avancer la cause de la vérité. 

    Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    Le rusé commissaire Kras s’interroge sur un meurtre mystérieux 

    L’interprétation est assez moyenne. Ce n’est pas tant que les acteurs soient mauvais, mais plutôt qu’ils ne sont pas tout à fait à leur place. Gert Fröbe est comme très souvent, quand il ne cabotine pas trop, très bon dans le rôle du commissaire Kras. Il concentre toute l’attention. Comme c’est un peu grâce à lui que le film a eu du succès, on le réembauchera ensuite sur un remake du testament du docteur Mabuse où il sera un autre commissaire nommé Lohmann qui part à la chasse à nouveau de Mabuse. Le couple Travers-Marion Menil est assez improbable, Peter Van Eyck qui a un physique si germanique – quoi qu’il fût suisse – est peu crédible en américain enjoué. Il reviendra plus tard dans la saga Mabuse dans des rôles différents cependant. Dawn Addams dans le rôle de Marion reste un peu molle, elle a l’air d’être ailleurs. Wolfgang Preiss interprète trois rôles, Cornelius, Jordan et Mabuse. C’est un acteur plutôt habitué à jouer les raides soldats teutons plus ou moins nazis. Si son maquillage pour faire croire à trois personnes différentes est convaincant, son jeu l’est un peu moins. Par contre Werner Peters fait une très belle prestation dans le rôle de Mistelzweig, le truculent faux agent d’assurances qui se révélera être un redoutable limier d’Interpol qui démasque Mabuse. 

    Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    Travers et Marion sont retenus prisonniers dans les caves de l’hôtel Luxor 

    Si le film se voit sans déplaisir, il laisse un sentiment de vide, d’autant qu’il y a bien peu d’humour dans cette salade. Mais comme je l’ai dit ce sera un excellent succès commercial pour le baroud d’honneur de Fritz Lang. Ce succès engendrera d’ailleurs 5 suites, mais Lang ne s’y risquera pas. Dans ces suites on retrouvera Gert Fröbe, puis Peter Van Eyck. L’ultime mouture totalement inutile sera l’œuvre de Claude Chabrol qui en 1990 signera Docteur M. Je me demande d’ailleurs si ce n‘est pas le succès de cet ultime film de Fritz Lang qui va finalement décider les producteurs français à remettre au goût du jour le personnage de Fantômas sous la houlette d’André Hunebelle. Cette trilogie avec Jean Marais, Louis de Funès et Mylène Demongeot, aura un succès colossal et ne s’arrêtera qu’à cause de Jean Marais qui ne supportait pas vraiment que Louis de Funès et ses grimaces lui volent la vedette. Les deux personnages, Mabuse et Fantômas, sont très proches dans les principes qui les animent, sauf que chez Fritz Lang, contrairement à Louis Feuillade et à Hunebelle, on se prend un peu plus au sérieux. 

    Le diabolique docteur Mabuse, Die 1000 Augen des Dr. Mabuse, Fritz Lang, 1960 

    La police bloque le pont et empêche Mabuse de fuir

     

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