• Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

    Le thème du faux coupable est récurrent chez Hitchcock. Il traverse toute son œuvre. Evidemment le faux coupable est aussi peut-être un vrai coupable en puissance, en tous les cas il porte forcément une partie de la culpabilité du vrai coupable. C’est aussi un des rares films d’Hitchcock qui nous dispense de son fameux humour anglais qui généralement plombe la plupart de ses films et qui les ont rendus si démodés. C’est peut-être un des films de Hitchcock, avec Vertigo, qui se rapproche le plus de la thématique et de la forme du film noir. Nous sommes en 1956, et c’est un peu comme s’il prenait le train du film noir en marche. Mais il prend aussi un autre train en marche, celui du néo-réalisme. En effet, cherchant à se renouveler un peu, il se dit fasciné par le néo-réalisme italien, et il va mettre en scène pour une fois une certaine forme de vérisme. Evidemment l’idée qu’il se fait du néo-réalisme n’est pas tout à fait la même que celle de Rossellini ou de De Sica. The wrong man est tourné entre l’insipide The man who knew too much et le fameux Vertigo. Il va s’emparer d’une histoire vraie qui a défrayé la chronique au début des années cinquante.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

    Manny vient à la compagnie d’assurances pour emprunter de l’argent 

    Christopher Emmanuel Balestrero, dit Manny, est un musicien qui gagne sa vie à jouer dans un cabaret, le Stroke club. Il a une femme qu’il adore, et deux petits garçons, bref une vie bien tranquille, bien qu’il rentre très tard de son travail, au petit matin. Mais sa femme ayant une rage de dents, il décide d’aller voir sa compagnie d’assurance pour voir combien il peut emprunter sur l’assurance vie de sa femme pour pouvoir payer le dentiste. Mal lui en prend, il est reconnu par plusieurs employées comme étant l’homme qui les a attaquées et qui a volé leur caisse. La police va l’arrêter et l’interroger. Puis elle le fait reconnaitre par des témoins d’autres hold-ups qui ont été commis dans le quartier. Tout s’acharne contre lui. Pourtant sa famille le soutient et va trouver l’argent pour la caution et le faire sortir de prison. En attendant le procès, il organise sa défense avec l’avocat O’Connor, cela consiste essentiellement à rechercher des témoins qui l’ont vu ailleurs les jours des hold-ups. Mais l’affaire est difficile, deux témoins sont morts, un autre est introuvable. Au moment du procès, un des membres du jury crée un incident, ce qui permet à l’avocat de demander un nouveau procès pour gagner du temps. Mais la femme de Manny n’a pas supporté la pression du procès et sombre dans la dépression, elle va se retrouver dans une clinique spécialisée. Malgré toutes ces difficultés qui s’accumulent, Manny va bénéficier d’un vrai coup de chance. Son sosie en effet attaque un nouveau magasin et se fait coffrer. Un des policiers qui avait participé à l’arrestation de Manny comprend qu’il est un sosie et donc enclenche le mouvement qui va libérer Manny de toutes les poursuites. Il récupérera sa femme et ses enfants et partira refaire sa vie en Floride.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    La police arête Manny 

    Si le thème principal est celui du faux coupable, plusieurs sous-thèmes l’accompagnent. D’abord évidemment celui de l’incompétence de la police : Manny ne doit qu’au hasard d’être déchargé des accusations qui pèsent sur lui, et donc il n’y aura pas vraiment d’enquête, d’ailleurs les maigres témoignages que Manny récolte en sa faveur ne l’aide pas beaucoup. Ensuite, il y a un homme, manifestement innocent, qui est pris dans un cauchemar créé par une machine administrative qui semble n’exister que pour broyer les consciences et donc pour faire d’un faux coupable, un vrai coupable, puisque finalement nous avons toujours quelque chose à nous reprocher. Manny culpabilise justement parce qu’il a été obligé d’emprunter, et sa femme culpabilise aussi parce qu’elle a des problèmes dentaires, et, ne travaillant pas, elle n’a pas été assez économe ! Dès lors il ne restera à Manny plus que le choix de prier. Dans l’écriture du scénario, et bien qu’il se soit efforcé de s’en tenir au plus près de la vérité des faits, cette histoire de prière et de catholicisme fait dériver le film vers quelque chose de bien peu réaliste. Puisque l’ordre des séquences semble indiquer que c’est bien la prière qui permet à Manny de trouver une solution avec l’arrestation de son sosie.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Malgré ses dénégations, il ira en prison 

    Le vrai Manny touchera 22 000 $ de la part du studio pour vendre son histoire, et pour cette erreur, la ville le dédommagera de 7 500 $, et sans doute le magazine Life qui avait fait plusieurs reportages sur Manny et son histoire a dû lui donner encore un peu d’argent. On dit cependant que sa femme dans la réalité n’a jamais complètement retrouvé la raison. Bien que le sujet du film ce soit Manny, le scénario se déporte vers le couple et ses difficultés, donc vers la pauvre Rose, une femme au foyer complètement dépassée quand le malheur arrive et qui ne rêve que de s’enfermer chez elle avec son mari et de ne plus en sortir. Il y a donc le portrait en creux d’une femme dominée et sans défense. Hitchcock disait détester ce film, et l’obséquieux Truffaut abondait dans ce sens histoire de se faire bien voir. Sans doute Hitchcock disait cela parce que le film n’avait pas très bien marché, comparativement aux succès colossaux de To catch a thief et de The man who knew too much. En outre, Hitchcock avait choisi de tourner ce film en noir et blanc pour lui donner un aspect plus documentaire. Un gros effort a été fait pour tourner sur les lieux mêmes de l’histoire, le club Stroke, le quartier où habitait le vrai Manny, et même la prison. Seule la police de New York semble avoir refusé son aide au tournage. Techniquement il n’y a rien à redire, la réalisation est très soignée et on trouve de belles séquences, une bonne utilisation de la rue, ou des couloirs du métro. Par contre le film va pécher dans son montage, en refusant une sur-dramatisation de l’histoire, le film devient décousu et part un peu dans tous les sens. On a l’impression qui ne se passe rien en dehors de cet affrontement larvé entre le mari et la femme. Il n’y a pas de progression et l’arrestation du vrai coupable arrive comme un cheveu sur la soupe. Ça manque de colonne vertébrale. C’est flagrant quand le film décrit la quête des témoins par les deux époux. On ne sent guère l’obstination, ni le découragement. Le plus réussi est sans doute le sentiment d’écrasement qui semble frappé Manny face à la puissance aveugle de l’administration. Malgré son calme apparent, on sent l’inquiétude le gagner.

      Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Rose craque complètement 

    L’interprétation pose de gros problèmes. Henry Fonda qui avait à l’époque 51 ans incarne un musicien de 38 ans. Il a sans doute été choisi parce qu’il incarne un peu cet américain ordinaire et sans histoire, politiquement correct. Mais s’il est crédible lorsqu’il se trouve broyé par la machine judiciaire, il l’est beaucoup moins dans les scènes avec son épouse. Vera Miles est excellente dans le rôle de Rose, elle passe très bien d’une forme de certitude et d’enthousiasme à l’accablement et à la dépression. Cependant, elle a vingt cinq ans de moins qu’Henry Fonda, et celui-ci à l’air plutôt d’être son père que son époux. Il ne s’agit pas de critiquer le jeu des acteurs, mais de souligner plutôt une erreur de casting. On ne sait pas comment Hitchcock s’est entendu avec Henry Fonda, sans doute plutôt bien, parce que Fonda était une vraie star, et que le réalisateur ne faisait pas trop le malin avec les grandes vedettes. On sait par contre que les relations d’Hitchcock avec Vera Miles ont été plus que mauvaises. Comme à son ordinaire, Hitchcock a eu des attitudes de prédateur sexuel – bien qu’il soit certainement impuissant à cette époque – avec Vera Miles et celle-ci en a été très choquée[1]. Ce qui ne l’empêchera pas pourtant de le retrouver sur le tournage de Psycho. Hitchcock avait surestimé ses forces, et en engageant Vera Miles, il pensait en faire une nouvelle Grace Kelly. Mais comme on sait Hitchcock a toujours été déçu par ses blondes qui tour à tour le laisseront tombé, que ce soit Ingrid Bergman, Grace Kelly, Vera Miles ou Kim Novak. Le reste de la distribution est assez standard, Anthony Quayle dans le rôle de l’avocat, ou Harold Stone dans celui du policier qui interroge Manny, ce sont tous des habitués de ce genre de production.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Le vrai coupable réapparait 

    Plus que d’autres films encore, celui-ci fait ressortir le problème qu’on rencontre avec les films d’Hitchcock. C’est un bon technicien, encore que les transparences dont il a toujours abusé sont aujourd’hui un peu difficile à supporter, il a souvent des belles idées de plan-séquence, comme ici quand le policier croise le vrai coupable, il sort, la caméra le suit latéralement, puis il ralentit son pas, parce qu’il vient de faire le rapprochement avec Manny. Il s’arrête, mais la caméra continue d’avancer et remonte vers le visage du policier. Ou encore la séquence dans le métro. Mais ce talent photographique sonne toujours un peu creux et ne signifie pas grand-chose dès lors qu’Hitchcock en revient à de vieilles ficelles, comme cette séquence où, en plein tribunal, Manny prie en égrenant son chapelet et en regardant un portrait de Jésus. Egalement quand on voit se superposer vers la fin les visages du vrai et du faux coupable, on ne peut que souligner le côté artificiel de cette séquence.

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    Manny annonce à Rose qu’il n’y aura pas de procès 

    Le film, sans être un échec complet, n’a pas été très bien accueilli par le public. La critique s’est trouvée désorientée. Seul Jean-Luc Godard a trouvé ce film extraordinaire[2]. Sur le plan artistique on peut le voir comme un échec dans la mesure où cette incursion dans le néo-réalisme ne fut pas probante. Les réalisateurs italiens ne cherchaient guère des effets de style avec des mouvements de caméra. Ils allaient plus directement à la recherche du sens d’une vie ordinaire engoncée dans un matérialisme étroit. C’est pour cela qu’ils utilisaient souvent des acteurs non-professionnels, au plus près de la vie réelle qu’ils voulaient saisir. 

    Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    A gauche le vrai Christopher Balestrero, à droite, son sosie, Charles Daniell

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956 

    La famille de Balestrero

     Le faux coupable, The wrong man, Alfred Hitchcock, 1956

    Hitchcock dirigeant Henry Fonda



    [1] Donald Spoto, La face cachée d’un génie, la vraie vie d’Alfred Hitchcock, Albin Michel, 1989.

    [2] « Le cinéma et son double », Les cahiers du cinéma, n° 72, juin 1957. 

    « L’ombre d’un doute, Shadow of a doubt, Alfred Hitchcock, 1943L’homme qui en savait trop, The man who knew too much, Alfred Hitchcock, 1956 »
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  • Commentaires

    1
    Lundi 14 Mai 2018 à 12:33

    Ce long-métrage est particulier. Je l’ai visionné plusieurs fois et je trouve qu’il ressemble plus à un documentaire qu’à un film dramatique. Alfred Hitchcock a bien fait de choisir Henry Fonda et Vera Miles pour le casting !

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