• Le grand retournement, Gérard Mordillat, 2013

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    Le film est une adaptation d’une pièce de Frédéric Lordon, par ailleurs directeur de recherche au CNRS en économie. Lordon a des positions sur l’économie qui ne sont pas particulièrement dans le courant.

    Le sujet en est la crise des subprimes et ses conséquences, des faillites bancaires, du renflouement de l’Etat, et ensuite des plans d’austérité qui se sont généralisés en Europe, empêchant toute reprise économique, engendrant le chaos et la montée des inégalités de plus en plus criantes.

    C’est donc un cours d’histoire et d’économie sous forme d’une pièce en vers. Ceux qui croiraient à une comédie se tromperaient lourdement. Il y a certes un humour un peu grinçant, mais l’ensemble relève plutôt de la tragédie.

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    Il y a évidemment beaucoup de lectures possibles de ce film. C’est à l’évidence une critique directe du couple Sarkozy-Fillon, entouré de conseillers veules autant qu’hésitant, cédant facilement aux fantaisies des banquiers. Mais ce n’est pas là l’essentiel. L’essentiel se trouve dans la fétichisation qu’on a pu donner à l’économie et à ses lois naturelles. En effet quand les banques étaient en quasi-faillite, consécutivement à leurs turpitudes d’avant 2008, il était possible alors de nationaliser les banques, puisqu’elles ne pouvaient être renflouées qu’avec de l’argent public. Mais on ne l’a pas fait, au motif que l’Etat et ses fonctionnaires n’ont pas les compétences pour gérer l’économie. Cette antienne répétée à satiété par Sarkozy et sa clique, n’a curieusement pas trouvé de démenti du côté des partis de gauche.

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    L’aspect le moins inattendu est sans doute de peindre les banquiers, tels qu’ils sont, cupides et hargneux, magouilleurs et irresponsables, mais conscients que l’Etat ne les laissera jamais faire faillite. Le fait que les dialogues soient en alexandrins permet sans doute de critiquer aussi la modernité dont se revendiquent les banquiers. C’est là d’ailleurs la meilleure part de la pièce de Lordon, critiquer le progrès et la modernisation des sociétés comme des fins en elles-mêmes.

    Si le rôle néfaste des banquiers est mis en lumière d’une manière assez militante, rien n’est dit sur les mécanismes et les traités d’une Europe qui a conduit à cette situation explosive. C’est le défaut du discours de Lordon, faire comme si la crise n’était que le résultat des excès de cupidité et de naïveté de l’ensemble du secteur bancaire.

    Je passerais volontiers sur quelques approximations du point de vue de l’analyse économique, comme quand les banquiers vont frapper à la porte de la Banque centrale pour que celle-ci les renfloue. Cela n’a pas été le cas. Les Etats se sont endettés pour soutenir les banques de second rang et l’activité économique, c’est une des raisons d’ailleurs du gonflement des dettes publiques. C’est seulement à la fin de 2011 que la Banque centrale européenne a changé sa politique devant l’impossibilité d’apurer les passifs à l’aide des plans d’austérité.

    On peut également se poser des questions sur la fin du film qui annonce la montée de la révolte contre un tel système. N’est-ce pas prendre ses désirs pour la réalité ? Certes depuis trois ans maintenant les luttes se développent, notamment dans les pays du sud de l’Europe, mais pour l’instant on ne sent guère de mouvement renversant.

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    La forme est curieuse. Film manifestement sans budget, Le grand retournement ne s’embarrasse pas de technique cinématographique. De ce côté-là le service est minimum. C’est la voie qu’a choisi Mordillat, faire un cinéma utile et responsable, militant pour tout dire. La pièce ayant été écrite en vers, des alexandrins tout de même pas si classiques que ça, cela surprend et surtout gomme le côté militant qui pourrait ennuyer.

    La pièce est filmée dans des décors de récupération, des entrepôts ou des hangars désaffectés qui parlent finalement très bien de la décomposition de notre société industrielle à l’abandon. Mordillat a su s’entourer d’acteurs professionnels assez connus. Parmi eux émerge surtout François Morel qui se révèle ici excellent, tandis que les autres ne se donnent pas vraiment de peine, que ce soit Jacques Weber ou Edouard Baer, mais ils sont là et on imagine qu’ils ont prêté la main à ce projet parce qu’ils se sentaient concernés. Elie Triffault est bien en Sarkozy.

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    Au bout de quatre ans de grande crise, alors que dans le monde dit développé la misère s’étend et que les inégalités se creusent, il manque encore la solution politique qui nous permette d’aller au-delà du constat sur le capitalisme sauvage et sans avenir dans lequel, il faut bien le dire, nous nous vautrons comme des porcs.

    Les critiques ont été sans surprise, Le Figaro journal de la banque et du capitalisme bigot a évidemment donné 1/5, Le monde trouvant que le discours de Lordon, porté par Mordillat était vide de sens, ce qui n’est pas étonnant pour le journal libéral-social. L’accueil du public a été mitigé.

    Au-delà de ces critiques partisanes, on posera tout de même la question de la forme et du fond. Ce type de films ne s’adresse-t-il qu’à des convaincus ? Sur quelle action sérieuse peut-il déboucher ? Mais également doit-on faire des films de fiction, des documentaires ou comme ici des discours en vers pour faire passer le message de la transformation sociale?

    « Les incorruptibles contre Al Capone, The scarface mob, Phil Karlson, 1959Les sorcières de Hollywood, Thomas Wieder, Philippe Rey, 2006 »
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