• Le grand sommeil, The big sleep, Michael Winner, 1978

    Le grand sommeil, The big sleep, Michael Winner, 1978 

    Dans les années soixante-dix le réalisateur anglais Michael Winner avait obtenu une petite renommée notamment grâce à ses western, Chato’s land, The Lawman, mais aussi le très bon film d’espionnage Scorpio. Il avait la réputation de contrôler des vedettes au caractère difficile comme Marlon Brando dans The nightcomers d’après le roman d’Henry James. Il avait pas mal travaillé avec succès avec Burt Lancaster et aussi avec Charles Bronson avec qui il lancera la série Death wish qui connut un succès planétaire. Sa carrière est cependant assez chaotique, et à côté de réussites indéniables, on trouve aussi des ratages de première grandeur, des films mal conçus, mal ficelés, tournés à la va comme je te pousse. Ce film est donc la seconde adaptation du roman de Raymond Chandler, et c’est aussi la seconde interprétation de Robert Mitchum dans le rôle de Marlowe. La première version, celle de Howard Hawks, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall était très controversée pour sa fidélité aléatoire à la forme et à l’esprit du roman. Mais il semble que cette version de Michael Winner aille encore plus loin dans le sabotage délibéré d’une œuvre maintenant considérée comme classique. La première chose qu’on remarque est évidemment que l’action est transposée en Angleterre, alors que l’œuvre de Chandler est très spécifique du Los Angeles des années quarante. Voir Mitchum, acteur typiquement américain, faire le détective privé à Londres, parait d’emblée incongru. Je pense qu’il s’agit là d’une très mauvaise idée de producteur. En effet à l’époque les producteurs américains avaient souvent des fonds bloqués en France, en Angleterre et en Italie qu’ils ne pouvaient pas sortir du territoire. Il fallait donc recycler ces fonds dans des productions locales. Ça donnait parfois des films excellents comme The MacKintosh man de John Huston. Mais ici ça sent plutôt le bricolage hâtif que le projet murement réfléchi. On peut dire que Raymond Chandler n’a pas eu de chance avec ses livres. The big sleep a été traduit en français par Boris Vian d’une manière absolument dégueulasse. Certes, il n’est pas le seul à avoir été victime des traductions pourries de la Série noire, mais ici non seulement le ton a été dénaturé, mais l’histoire a été caviardée, à tel point qu’on peut se demander si ce n’est pas plus une œuvre de Boris Vian que de Raymond Chandler. Ce n’est qu’en 2013 que Gallimard a enfin daigné présenter au lectorat français une version un peu plus acceptable d’une œuvre majeure du roman noir. Mais enfin, passons, Gallimard n’est pas la seule maison à n’avoir pas respecté ses auteurs. Le film de Michael Winner a été présenté comme une adaptation plus fidèle à l’esprit chandlérien que celle de Hawks. C’est évidemment complètement faux, ne serait qu’à cause de ce dépaysement incongru dans la patrie d’Agatha Christie.

      Le grand sommeil, The big sleep, Michael Winner, 1978

    Le général Sternwood est très âgé, il va sans doute bientôt mourir dans son très beau manoir. Il convoque Marlowe pour lui demander d’enquêter sur un chantage que subirait sa fille Camilla. Il a en effet deux filles qui passent leur temps à faire des bêtises qu’il a de plus en plus de mal à réparer. Marlowe les croise toutes les deux, notamment Camilla qui se jette dans ses bras. En enquêtant sur ce chantage, Marlowe va être amené à fréquenter une librairie un peu louche où se passe un trafic sans doute d’œuvres pornographiques sous le couvert d’un commerce de livres anciens. Il va par la suite intervenir sur le lieu d’un drame. Chez le patron de la librairie, Geiger. Celui-ci est tué, alors que Camilla est nue et droguée face à un appareil photo qui semble-t-il a fonctionné. Il récupère la fille de Sterwood et la ramène chez le général. Il poursuit son enquête sur les lettres de chantage et remonte ainsi la piste d’un certain Brody. Mais il découvre aussi que Charlotte perd énormément d’argent dans le cercle de jeux que dirige le louche Eddie Mars. Or celui prétend que sa femme a disparu avec le mari de Charlotte ! Marlowe comprend qu’en réalité sous le couvert d’enquêter sur un chantage somme tout assez banal, le général Sternwood cherche plutôt à retrouver son gendre pour lequel il avait de l’affection. Les choses se compliquent encore avec l’entrée en scène de Canino, un tueur qui semble travailler pour Eddie Mars. Canino éliminera Harry Jones, un petit escroc qui voulait vendre des informations cruciales sur la disparition de Regan. En suivant cette piste, Marlowe va se faire à son tour enlever et séquestré par Canino. Il ne devra son salut qu’au retour précipité et inattendu de la femme d’Eddie Mars. En vérité elle n’est jamais partie avec Regan. Marlowe découvrira que c’est Camilla qui l’a assassiné. Mais il n’en dira rien au général Sternwood qui vit maintenant ses derniers instants.

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    Le général Sternwood a convoqué Marlowe 

    Comme on peut le voir, l’incongruité n’est pas seulement dans le dépaysement vers l’Angleterre, elle est aussi dans le fait que le film est transposé à la fin des années soixante-dix, ce qui rend très bizarre le fait qu’on se cache pour lire de la littérature pornographique. Même en Angleterre, ce n’était déjà plus un vrai délit. Il ressort ainsi que le film de Michael Winner, dont il aurait écrit lui-même le scénario, est encore bien moins fidèle au roman de Chandler que le film de Hawks. Il est également incongru de voir Marlowe évoluer sous le regard bienveillant de Scotland Yard, incarnant ici la rigueur de la loi. Puisqu’en effet si Marlowe met à jour les turpitudes des classes supérieures, il se heurte en permanence à la police qui soutient d’une manière ou d’une autre cet ordre social. Si le film d’Hawks tirait l’histoire vers la romance entre Marlowe et l’aînée des sœurs Sternwood, la version de Winner choisit le point de vue inverse, quitte à déshumaniser complètement Marlowe. En effet on ne saurait trouver aucune sympathie dans le portrait tracé de ces deux sœurs. Si on voit bien que Marlowe est payé pour réparer les dégâts de la mauvaise conduite des uns et des autres, ça ne va guère au-delà. C’est à peine s’il manifeste un peu de compassion pour le vieux général, pour les autres protagonistes il affiche un superbe mépris. Il devient ainsi un héros complétement désincarné, et du reste on ne sait pas trop ce qu’il fait en Angleterre à traîner une solitude qui semble lui peser.

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    Camilla se jette dans les bras de Marlowe 

    A moderniser l’histoire, Winner fait de Marlowe une sorte de vieux détective presque retraité, avec des cheveux trop longs et une sorte d’élégance surannée qui ne passe pas vraiment. La réalisation est assez plate, il n’y a pratiquement rien à sauver, sauf peut être lorsque Charlotte après avoir gagner de l’argent au jeu se fait attaquer dans une ruelle sombre de quoi laisser Marlowe lui sauver la mise. Il y a beaucoup de complaisance à filmer la campagne anglaise à la façon d’un guide touristique, comme si c’était important ! L’ensemble manque nettement d’énergie et de détermination. Le meurtre d’Harry Jones sous les yeux de Marlowe est filmé d’une manière parodique avec des ombres chinoises qui ne font guère sens. On a connu Michael Winner plus inspiré.

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    Le louche Geiger a été tué d’une balle dans la tête 

    L’interprétation aurait dû être le point fort de la réalisation. Mais Mitchum était déjà trop vieux dans sa précédente interprétation de Marlowe. Il a franchement l’air de s’en foutre. Les autres acteurs ont l’air aussi de se payer des vacances et font à peine de la figuration. C’est le cas de James Stewart qui n’était ici plus que l’ombre de lui-même. Richard Boone trimballe sa trogne d’ivrogne sans conviction, plutôt que de faire peur, il prête à sourire. Les personnages féminins sont complètement sacrifiés. Candy Clark dans le rôle de l’hystérique et droguée Camilla est franchement ridicule. Il est difficile de faire pire, et ce d’autant que son physique n’est pas très glamour. Sarah Miles joue Charlotte, c’est-à-dire le rôle que tenait Lauren Bacall. C’est plus qu’une erreur, une faute de goût. Elle a un physique vieillot et difficile qui fait qu’on se demande pourquoi un homme s’intéresserait à elle. On retrouvera dans un petit rôle de domestique stylé le toujours impeccable Harry Andrews. L’ensemble donne l’impression d’un téléfilm fauché. Joan Collins est un peu mieux dans le rôle d’Agnès la libraire, mais ça ne va pas bien loin.

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    Charlotte perd beaucoup à la roulette 

    C’est donc un ratage complet que cette deuxième adaptation du roman de Chandler. Si on pouvait trouver un certain charme à la première interprétation de Mitchum dans le rôle de Marlowe, ici c’est l’ennui qui gagne le spectateur dès le début du film et qui ne le lâche jamais. Seuls s’intéresseront à ce film les cinéphiles qui veulent voir et comprendre ce qu’on a pu faire des romans de Chandler au cinéma.

     Le grand sommeil, The big sleep, Michael Winner, 1978 

    Marlowe assiste impuissant au meurtre d’Harry Jones

     

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