• Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019

     Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019

    Après l’excellent Black coal[1], on se dit qu’il y a tout intérêt à suivre l’œuvre de Diao Yi’nan. Bien au-delà de l’exotisme que présente le film, on retrouve des formes universelles liées au film noir et néo-noir. Le film a été tourné dans la région de Wuhan, cette région d’où est parti l’épidémie du coronavirus 19. Singularité de l’époque, il a été tourné en dialecte local, et non en mandarin, ce qui veut dire que la plupart des Chinois qui s’intéresseront à ce film seront obligés de lire les sous-titres en mandarin ! Comme nous ! Mais en vérité, ce n’est pas le marché chinois que vise ce film, c’est le marché international à travers les festivals de cinéma où se construisent les réputations. Le principal du financement est d’ailleurs français. Mais à Cannes en 2019, il a reçu des critiques mitigées. Il y a ceux qui ont apprécie le formalisme du réalisateur, et puis ceux qui n’y ont pas été sensibles. Il récoltera le Prix du film policier au festival de Cognac. Diao Yi’nan est aussi le scénariste du film, et on notera qu’il a tout de même mi cinq ans pour le réaliser après Black coal. 

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019 

    Zhou Zenong rencontre Liu Alai alors qu’il fuit la police 

    Zhou Zenong attend à la gare Liu, elle est envoyée par le gang pour le tirer d’affaire. Il s’est en effet mis dans de sales draps. Sortant de prison, il s’est engagé dans un gang de voleurs de motos, mais il y a des dissensions, et une guerre entre clans éclate. Alors que la bataille fait rage, Zenong va tuer par inadvertance un policier. La police se déchaîne et promet une forte récompense à qui livrera Zenong. Ce dernier, sachant qu’il n’a aucune chance de s’en tirer, voudrait que ce soit son épouse qui lui a donné un fils qui le dénonce afin qu’elle puisse toucher la récompense. Mais c’est sans compter avec les autres membres du gang des voleurs de motos qui eux aussi veulent mettre la main sur Zenong, aussi bien pour toucher la récompense que pour lui régler son compte. Zenong fuit avec Lui qui est aussi une « baigneuse », c’est-à-dire une prostituée qui fait son taf au bord du Lac aux oies sauvages. Ils arrivent dans une zone qui est difficile contrôlée par la police et qui s’apparente à une zone de non droit. Entre Zenong, blessé, et Liu, très doutée d’elle-même, se créent des liens d’amitié assez distants. Elle promet de le dénoncer, en échange d’une commission de 20 000 yuans, elle donnera la prime à l’épouse de Zenong. La traque s’intensifie, avec des cadavres qui s’alignent de tous les côtés. Les policiers, eux aussi juchés sur des motos, vont cerner le couple en fuite. Elle finira par abattre le fuyard, et Liu encaissera la récompense dont elle donnera le plus gros à la femme de Zenong. 

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019

    Il raconte son histoire 

    Certains ont comparé ce film à Lady from Shangaï. La comparaison n’est pas bonne. C’est un film évidemment très sombre et sans espoir, et même la pseudo-idylle entre Zenong et Liu n’a rien de romantique. Nous avons deux thèmes dominants, d’une par la fuite d’un couple qui vit par et pour la fuite, mais aussi une course contre la montre, car Zenong doit aussi échapper au gang des voleurs de motos s’il veut que la récompense aille à son épouse. Ce thème c’est celui qu’on trouve par exemple dans DOA de Rudolph Maté qui est la matrice de ce genre de film[2]. C’est évidemment tourné à la chinoise, c’est-à-dire sans que les sentiments s’expriment par la parole. L’un est un petit truand sans scrupule, violent, et l’autre une prostituée. Ce sont deux marginaux victimes de leur propre marginalité. Les deux protagonistes principaux évoluent à l’intérieur d’un monde industriel, misérable, où les ouvriers peinent à gagner de quoi survivre. Ce contexte social, s’il n’est pas directement invoqué pour expliquer quoi que ce soit, ne peut être évacué. Au contraire, c’est pourquoi les habitants de la région sont si obnubilé pour partir vers le Sud. 

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019

    La police va mettre en jeu de grands moyens pour trouver Zenong 

    Pour les occidentaux que nous sommes, il va de soi que la description de l’envers de la « réussite » chinoise présente un intérêt décisif, même si à l’évidence le propos de Diao Yi’nan n’est pas du tout d’écrire une critique sociale. Le Wuhan est présenté comme une province un peu arriérée, misérable, crasseuse, même, et on ne s’étonne pas que ce soit de là que soit partie la pandémie dans laquelle le monde est englué depuis plusieurs mois maintenant. On comprend que si développement il y a eu, il ne s’est traduit que dérisoirement par des consommations sans intérêt, téléphones portables ou motocyclettes. C’est une société de surveillance à laquelle essaient d’échapper aussi bien Zenong que Liu. Mais Liu est marquée à vie comme prostituée, elle ne peut pas se faire passer pour autre chose. Il n’y a pas de pardon possible pour elle comme pour Zenong. La description des méthodes policières de contrôle social qui au premier abord s’apparentent à une forme documentaire sur le travail de la police comme dans les bons vieux films noirs des années cinquante, prend ici un sens un peu différent. Tout fonctionne avec la trique et la délation. C’est un univers totalement asphyxiant. Le contrepoint de cette volonté de contrôle sociale, c’est la mise en scène de la volonté du gang de créer une hiérarchie efficace pour le business. 

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019

    Hua Hua cherche lui aussi après Zenong 

    La réalisation est extrêmement travaillée, et même si elle s’inspire du film noir et néo-noir, elle conserve une très grande originalité. Deux choses sautent aux yeux. D’abord, même si le film est très sombre, il y a un travail extrêmement pointu sur les couleurs. Comme dans le néo-noir, on se sert des contrepoints du jaune et du rouge pour donner de la vie à l’ensemble. La scène du début du film quand Zenong raconte son histoire à Liu, semble tirée d’un tableau de Hopper, le fameux Nighthawks qui est non seulement emblématique de la peinture du maître américain, mais aussi une référence pour le film noir et néo-noir. La « peinture » des intérieurs misérables est rehaussée par des tons pastellisés et une lumière diaphane qui donne une patine particulière. Il y a aussi une science des mouvements d’appareil, par exemple lorsque Zedong s’enfuit, poursuivi par un gangster, mais qu’on ne voir que leurs ombres sur les murs. Le film est très violent, et parfois même on peut dire que c’est trop, par exemple quand Zedong éventre un de ses poursuivants avec un parapluie. Si la scène du bal est réussie dans son étrangeté, les poursuites en motos sont finalement assez pauvres et un peu platement filmées. La scène du viol de Liu est également tirée vers le scabreux, même si on comprend bien que le corps de celle-ci est à peine une marchandise.   

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019 

    Liu attend au bord du Lac aux oies sauvages 

    L’interprétation est très difficile à juger, les deux principaux protagonistes présentent des visages de bois, non pas à la manière des joueurs de poker, mais plutôt pour manifester leur indifférence à ce qu’il leur arrive, c’est seulement à la fin que Lieu s’anime lorsqu’elle remet la prime à Yang Shujun. Les deux principaux interprètes opposent leur mélancolie à l’excitation toute chinoise des gangsters et des policiers. La longiligne Kwai Lun-mei qui joue Liu, a une curieusement démarche en canard, notamment quand elle monte les escaliers à la recherche de Zedong. 

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019 

    Zenong doit fuir à la fois la police et le gang des motards 

    Si le film a un intérêt, c’est outre qu’il rebrasse les codes du film noir, mais aussi à cause de son formalisme. C’est très insuffisant pour en faire un chef d’œuvre, et s’il vaut le détour, il ne mérite pas les critiques dithyrambiques qu’il a reçues à Cannes. Cependant il confirme à la fois la créativité de Diao Yi’nan et généralement celle du cinéma asiatique. 

    Le lac aux oies sauvages, Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì, Diao Yi'nan, 2019 

    La police prend une photo de groupe après la mort de Zenong

    « Didier Daeninckx, Le banquet des affamés, Gallimard, 2017Le doulos, Jean-Pierre Melville, 1962 »
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