• Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958

     Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958

    Ce film est relativement célèbre à cause du film de Mario Bava, Sei donne per l’assassino. On suppose que Mario Bava s’est inspiré de ce petit film. Six années séparent les deux films, et ce serait une injure que de dire que le film de Mario Bava est un simple remake de Mannekäng rött. Les proximités entre les deux films tiennent d’abord au fait que les assassinats en série concernent une maison de haute-couture qui dans les deux cas se réfère à Paris. Ensuite et surtout, le film de Mattsson effectue un travail sur les couleurs qui rappelle ce que va faire justement Bava avec Sei donne per l’assassino. Mais les emprunts à Mattsson ne se limitent pas à ce jeu des couleurs et au cadre d’une maison de haute couture au nom parisien. Parmi les autres références que Bava a piqué chez Mattsson, il y a cette histoire de pendus qu’on retrouvera par exemple dans Gli orrori del castello di Norimberga, ces pendus sont dans les deux cas aussi bien des mannequins que des êtres humains. Dans les deux cas aussi les touristes semblent fascinés par le manoir. Le doute n’est pas possible, Bava a bien vu et assimilé les apports de Mattsson, même s’il en détourne le sens en lui donnant un aspect bien plus tragique. Mannekäng i rott, c’est un giallo avant la lettre avec un aspect bon enfant d’une énigme à la Agatha Chirstie, sans le côté grotesque et l’érotisme qui finira par absorber par la suite l’aspect énigme des histoires. Tout y est, les différentes déclinaisons de la couleur rouge, du rose pâle au rouge sanglant, le choix d’un contraste fort entre des couleurs insaturées et des couleurs plus tranchées qui donne cet aspect très kitch. Il ne faut pas oublier que si le cinéma suédois est plutôt mal connu, il a été de très haute qualité, sans même parler de Bergman. Je pense ici par exemple à Bo Widerberg qui lui aussi, dans la plupart de ses films, notamment sur Elvira Madigan[1], mais aussi sur Joe Hill[2], avait réalisé un travail impressionnant sur les couleurs. Le photographe n’est pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de l’excellent Hilding Blath qui a souvent travaillé avec Ingmar Bergman, mais aussi avec Jean Dréville sur La bataille de l’eau lourde. Cinéma mal connu, comme tout ce qui ne sort pas d’Hollywood, à l’étroit sur son marché, le cinéma suédois a pourtant bien existé dans une grande diversité. Ce film est le second d’une série de cinq qui mettent en scène un couple de détectives privés, John et Kasja Hillman, secondé par le dévoué Freddy, une sorte d’hurluberlu, un peu lunaire, un peu sautillant. Mannekäng i rött est le seul de la série qui soit parvenu jusqu’à moi. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    Freddy prétend vouloir s’acheter une voiture 

    Après avoir mis en déroute un maître chanteur qu’il livre à la police, le détective privé John Hillman va rejoindre sa femme qui vient de s’être engagée auprès de Thyra Leenberg, la patronne d’une boîte de haute couture, La femme, pour découvrir ce qui se passe. En effet, une femme dite le mannequin rouge, à cause de sa chevelure, a disparu. John Hillman et Freddy la découvre poignardée dans le dos, le cadavre dissimulé dans la vitrine. Les Hillman et la police vont chercher à déterminer d’où vient le poignard. Thyra qui les invite chez elle leur dit qu’il y a quatre poignards en circulation, l’un est entre ses mains, le second est chez Bobbie qu’elle a élevé, mais qui lui réclame de l’argent, et les deux autres sont entre les mains de Rickard et Gabriella, frère et sœur, mais surtout héritiers potentiels de Thyra. Mais Thyra va être assassinée dans l’incendie de sa maison, paralysé des jambes, clouée dans son fauteuil à roulettes, elle n’a pas pu s’enfuir. La maison a entièrement brûlé. On aurait tué Thyra pour remplacer le poignard qui a fini dans le dos du mannequin rouge. Les soupçons se portent alors sur Gabriella que Freddy prend en filature, mais qu’on va retrouver pendue ! La police découvre ensuite que le poignard qui se trouvait chez Bobbie provenait en réalité de chez Thyra. La police tente de l’appréhender, mais il s’échapper, vient se réfugier auprès de Birgitta Lindell, l’employé de confiance de Thyra. Ils se retrouve dans un théâtre où doit avoir lieu la présentation de la nouvelle collection. Mais à son tour Bobbie est assassiné. Alors qu’on doute qu’il se soit suicidé, Thyra fait sa réapparition. Elle a compris que la coupable était Birgitta qui, voulant épouser Rickard, cherchait à mettre la main sur l’entreprise. Thyra en outre marche maintenant, l’incendie lui ayant déclenché ce réflexe. Elle se précipite sur Birgitta, l’étrangle et se livre à la police. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    Kajsa se fait embaucher comme mannequin 

    Le moteur de l’intrigue est la cupidité et cette cupidité est attisée par le caractère tyrannique de Thyra qui se venge comme elle peut de son handicap qui la tient clouée dans son fauteuil. On note déjà que Arne Mattsson utilise cette figure de style du film noir qui nous montre qu’une handicapée peut être mauvaise, mais qu’en outre, elle peut marcher ! Bava empruntera cette idée pour Gli orrori del castello di Norimberga. Ce qui à mon sens ne peut pas être une coïncidence et ruine un peu plus l’idée que Bava n’aurait pas eu connaissance du film d’Arne Mattsson. Au-delà c’est le portrait d’une famille qui se déchire pour arracher l’héritage de Thyra. Celle-ci s’impose comme la matriarche de la famille et au-delà de son entreprise où elle traite ses employés comme des enfants qu’il faut reprendre en permanence. Cette famille recomposée dont personne ne semble vraiment vouloir ruine également l’idée d’une forme de vie paisible en Suède à cette époque. Mais on remarque également si on fait attention que les rôles de « méchant » sont dévolues aux femmes. Ce sont bien elles qui mènent l’ensemble à la ruine. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    Thyra Lennberg arrive au milieu de ses employées 

    Ce jeu sur les couleurs, comme cette manière de dissimuler les personnages derrière des masques ou des objets, est une manière d’approcher l’aliénation dans la consommation. On voit évidemment cette manière, non seulement dans les mannequins qui ne bougent pas, soit parce qu’ils sont en osier, soit parce qu’ils sont morts, exposés dans une vitrine. Mais les objets qui remplacent les êtres humains, les vivant se retrouvent aussi dans les automobiles dont rêve bêtement Freddy, soit dans les poignards qui sont faits pour ôter la vie, soit encore évidemment dans le fauteuil qui prive Thyra de l’usage de ses jambes. On verra qu’en réalité cette paralysie était psychologique, comme une volonté de disparaître et de démissionner, de laisser la place à cette catégorie inerte qui fonctionne comme une béquille pour la vie moderne. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    Kasja tente d’en apprendre plus de Bobbie 

    L’ensemble repose sur l’idée de frivolité, marquée clairement par la référence à la France. La femme est le nom de la maison dirigée par Thyra, mais cette frivolité est compensée par Gabriella qui chante en suédois la chanson de Léo Ferré et de Jean-Roger Caussimon, Monsieur William. Cette introduction annonce que justement derrière le caractère en apparence léger des Français, le crime n’est pas très loin, comme la rançon de cette légèreté. Cette chanson est en effet grinçante à souhait, elle dénonce le caractère petit-bourgeois de ce monsieur William qui croyait pouvoir s’offrir une fille pour un bouquet de violettes. Il meurt justement d’avoir transgressé pour une fois la régularité de sa vie étriquée. C’est le fil rouge – c’est le cas de le dire - de l’histoire. La plupart de ceux qui meurent au fond l’ont mérité. A commencer par le mannequin rouge qui, on l’apprendra à la fin du film, exerçait un chantage douteux sur Birgitta dont elle avait percé le secret. Birgitta elle mourra des mains de celle qu’elle avait voulu brûler vive et qu’elle voulait dépouiller de ses biens. Bobbie mourra à cause de sa cupidité, mais aussi d’avoir cru naïvement en Birgitta. Quand le mouvement est enclenché, on ne peut plus l’arrêter, il faut le conduire jusqu’au bout. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    John a rendez-vous avec Rikart 

    L’intrigue est faible et les personnages sont plutôt inconsistants, on s’attardera donc sur la réalisation et sur la composition des images. En effet, les détectives qui arrivent toujours après la bataille ne résolvent rien de cette affaire du mannequin rouge. La première impression qu’on a à regarder ce film sautillant, habité d’un humour franchement lourdingue, c’est que presque dans chaque plan important, l’évolution de l’histoire est amenée, annoncée serait plus juste, par la couleur rouge. Ce sont des taches. Ce peut être un bouquet de fleurs où les roses rouges éclairent la scène, le dossier du fauteuil roulant qu’utilise Thyra chez elle, les fauteuils du théâtre où va avoir lieu le défilé des mannequins, ou encore un point rouge sur une robe blanche. Le jeu se décline à l’infini. Ce rouge est violent, il annonce aussi bien la mort qu’une passion amoureuse dans issue. On voit que le jeu sur la couleur va supplanter le jeu de la caméra. Cependant, même si elle le masque, les mouvements de la caméra et l’angle des prises de vue sont extrêmement gracieux. Dans les scènes qui se passent au cœur de la maison de haute couture, il y a des panoramiques et des travellings très fluides qui inspireront par la suite Bava pour Sei donne per l’assassino, avec cette particularité de regarder les personnages déambuler derrière des vêtements ou des meubles qui semblent envahir le paysage. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958

    Les Hillman ont été invité chez Thyra Leenberg 

    Parmi les réussites d’Arne Mattsson, il y a cette attention qui consiste à jouer sur les regards. Il capture d’un simple mouvement de caméra un regard qui va infirmer ce que les lèvres racontent. C’est bien entendu la vieille idée selon laquelle l’image est bien supérieur à la parole et à l’écrit. Mais il y en a bien d’autre, comme cette manière de prendre les protagonistes en pied, comme pour les éloigner, comme pour prendre une distance d’avec eux. On le voit dans la scène du musée quand John a rendez-vous avec Rickard, ou encore avec cette très belle scène filmée en plongée dans le théâtre tout habillé de rouge, mais vide. Cela nous donne l’impression de voir ces personnages un peu comme des pantins, agités par autre chose qu’eux-mêmes. On peut voir cela encore mieux dans les images de pendus, le faux pendu qui menace, et la vraie pendue. Tous les deux se balancent au vent. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958

    La maison de Thyra a pris feu 

    C’est un film choral où chacun tient sa place, sans trop gêner le voisin. Les acteurs sont plutôt bons, compte tenu de la minceur de l’intrigue. Karl-Arne Holsten est le détective Hillman qui a toujours un temps de retard. Il retrouvera Arne Mattsson plusieurs fois, dont un autre film du détective Hillman, mais il avait aussi joué chez Bergman. Annalisa Ericsson tient le rôle de son épouse et bien sûr elle tournera aussi dans d’autres films d’Arna Mattsson ne serait-ce que pour donner la réplique à Karle-Arne Holsten. Gio Petré dans le rôle de Gabriella en fait des tonnes et fatigue assez le spectateur. Nils Hallberg dans le rôle de Freddy l’hurluberlu ne fait pas non plus dans la dentelle. Mais enfin dans l’ensemble, tous assurent leur place, y compris Lillebil Ibsen dans le rôle de la tyrannique Thyra. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958

    Gabriella veut impressionner Peter Morrel 

    SI on s’en tient à son sujet, ce n’est pas un grand film même s’il est agréable à regarder, mais à mon sens il est pourtant incontournable par les formes nouvelles et originales qu’il utilise, et à ce titre il faut l’avoir vu. Pour ceux qui connaissent bien la filmographie de Mario Bava, l’influence est certaine. 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958

    Rickard semble mentir 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    Kajsa cherche Birgitta 

    Le mannequin rouge, Mannekäng i rött, Arne Mattsson, 1958 

    Thyra Lennberg est réapparue



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/elvira-madigan-bo-widerberg-1967-a117739552

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/joe-hill-bo-widerberg-1971-a119485218

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