• Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    C’est un des films fondateurs du style néo-noir de la fin des années soixante, comme Bullitt et comme Harper. Malgré ses avancées formelles importantes, il ne renie pourtant pas l’héritage du film noir. Au contraire, il le reformule dans un cadre nouveau. Parmi les nouveautés évidentes dans la mise en scène, il y a une violence crue, comme en ce qui concerne les courses de voitures dans Bullitt qui donnent une grande vérité, elle interpelle directement le spectateur. On ne saurait pourtant pas oublier que le point de départ du film est le premier roman de la série des Parker, série écrite par Donald Westlake sous le nom de Richard Stark. Même si beaucoup de détails sont changés, le film respecte l’esprit de cette série qui gravite autour d’une sorte de brute qui vit à l’écart du milieu traditionnel, un truand qui le plus souvent monte des coups spectaculaires et qui se retrouve souvent en conflit avec ses acolytes. Ici Parker qui n’a pas de prénom sera rebaptisé Walker, sans qu’on sache pourquoi. Vers la même époque une autre adaptation de Parker sera entreprise en France sous la direction d’Alain Cavalier, ce sera Mise à sac. Si ce film invisible aujourd’hui n’a pas eu de succès, il est remarquable que l’idée soit venue en France comme aux Etats-Unis de se saisir d’un personnage si particulier dans l’univers du noir. 

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    Walker a comme ami Mal Reese. Et avec lui et sa femme Lynne, il va réaliser un hold-up en braquant des transporteurs de fonds de l’organisation qui passent par la prison désaffectée d’Alcatraz. Mais l’affaire tourne très mal. Reese tue les convoyeurs, et flingue Walker pour s’attribuer tout le butin et sa femme. Mais Walker n’est pas mort. Il va réussir à regagner San Francisco. Dès lors il n’aura plus qu’une idée, faire rendre gorge à Reese. Curieusement il va être aidé dans son entreprise par le mystérieux Fairfax. Celui-ci lui donne des renseignements et pense qu’en échange Walker fera le ménage dans l’organisation. Le premier indice qu’il récolte est l’adresse de son ex-femme qui se trouve maintenant à Los Angeles. Lynne est choquée de revoir Walker, elle explique que Reese l’a abandonnée. Seule et vide, elle va se suicider avec des barbituriques. Walker attend l’homme qui apporte de l’argent à Lynne. Celui-ci lui livre le nom de Stegman, un marchand de voitures d’occasion. Walker le secoue durement pour lui faire donner l’adresse de la sœur de Lynne. C’est celle-ci qui va le mener à Reese. Mais Stegman a prévenu Reese et celui-ci va demander la protection de son supérieur Carter qui propose de piéger Walker en l’attirant chez lui. Mais Walker sachant qu’il est attendu va déjouer le piège en faisant intervenir la police dans l’immeuble d’en face. Il s’introduit chez Reese qui est en train de faire l’amour à Chris. Il lui réclame son argent, mais Reese lui dit qu’il ne peut pas le lui donner, qu’il l’a offert à l’organisation pour revenir en odeur de sainteté. Walker le secoue, mais ce faisant, Reese tombe par le balcon et se fracasse sur le bitume 10 étages plus bas. 

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    Reese, Walker et Lynne attendant les transferts de fonds

    Tout est à recommencer. Cette fois Walker va s’attaquer à Carter. Mais celui-ci lui fait la même réponse : il n’a pas d’argent. Finalement, sous la menace, il va céder. Walker lui demande de lui amener l’argent dans les débouchés des conduites d’irrigation. Carter tente de le piéger. Cela va se retourner contre lui, Stegman et Carter sont tués par le tireur d’élite que Carter avait engagé pour tuer Walker. Brewster va ensuite aiguiller Walker vers Fairfax. Avec Chris, Walker va attendre Fairfax dans sa maison ultra-moderne et isolée. Après avoir mis hors d’état de nuire son garde du corps, il va faire chanter Fairfax. Celui-ci se fait tirer un peu l’oreille, mais accepte finalement de lui donner de l’argent à condition qu’il vienne à Alcatraz où une livraison d’argent liquide doit arriver. Avant l’arrivée de l’hélicoptère, Walker se dissimule dans les ombres des couloirs de l’ancienne prison. L’argent une fois arrivé, l’hélicoptère repart. Mais Brewster sera tué. En effet, Fairfax a engagé le tireur d’élite pour l’éliminer. Malgré les injonctions de Fairfax, Walker refuse de réapparaître, et finalement Fairfax et le tireur vont se retirer, laissant à Walker son argent.

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    Walker retraverse les longs couloirs d’Alcatraz 

    Le scénario décrit ainsi une boucle. Le point de départ est la prison désaffectée d’Alcatraz où Walker se fait descendre par celui qu’il considérait comme son ami, et le point d’arrivée est le même comme si tout ce qu’avait entrepris Walker n’avait servi à rien et que l’argent qu’il avait gagné n’avait plus aucune importance. Walker est un homme déçu qui ne peut surmonter son désarroi que dans la destruction du monde qui l’entoure. Il a été trahi par sa femme et par son ami et cela ne peut pas se rattraper. Il n’aura jamais plus confiance en personne. Et donc il se sert des autres pour des objectifs assez obscurs. Ce faisant, il se classe de lui-même dans la même catégorie que Fairfax, Reese ou Carter. Il manipule les gens comme lui-même est manipulé. Puisqu’en effet en poursuivant sa vengeance aveugle, il sert surtout Fairfax qui veut prendre le pouvoir au sein d’une organisation bureaucratique, bien que criminelle. Ce qui est assez étonnant d’ailleurs c’est la description de cette « organisation » – comme dans Bullitt, on ne prononce pas le mot mafia à cette époque – dont le fonctionnement est assez peu poétique. Très organisée, elle s’apparente plus à une grande entreprise de type multinationale, avec ses kyrielles de secrétaires, ses beaux immeubles et ses hiérarchies, qu’à un rassemblement de délinquants issus de la rue. Comme si elle rongeait la société de l’intérieur. L’entreprise de Fairfax qui manipule le ressentiment de Walker, s’apparente aux purges staliniennes, ou à celles qu’on pouvait voir à cette époque au cœur du Parti communiste chinois. Le complément de cet affrontement est qu’on se retrouve dans un monde dominé par les objets dans lequel les hommes et les femmes sont complètement déshumanisés. C’est le sens qu’on peut donner aussi à cette méditation cinématographique sur l’architecture de Los Angeles. Reese vit dans une vraie prison. Lynne également. Et Walker emprisonne pour de rire un couple d’homosexuels qui l’aide à détourner l’attention de la police. On a parlé à sa sortie d’une parabole sur l’aliénation par les objets. Que soit les révolvers, ou que ce soient les appareils ménagers que Chris met en route pour ennuyer Walker et le faire réagir. C’est assez juste, mais un peu insuffisant tout de même. Walker apparaît ainsi en lutte contre le monde des objets. C’est un destructeur comme dira Fairfax qui ne respecte rien. C’est un anti-moderne, révolté par nature. Lorsqu’il démoli la voiture de Stegman, celui-ci est horrifié, pas seulement parce qu’il a peur, mais aussi parce qu’il trouve odieux qu’on s’en prenne à un objet qui est sensé représenté le triomphe de la marchandise. 

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    Lynne est choquée par le retour de Walker 

    Tourné en écran large, le film donne un sentiment de solitude, accentué sans doute par le jeu très calculé sur les couleurs. Walker est sombre, Lynne est grise et argentée, Chris est jaune. C’est très étonnant. Les hommes de l’organisation sont roses ! Ce n’est pas un film particulièrement nocturne, c’est un peu comme si les couleurs éclatantes de la Californie remplaçaient les ombres de la nuit en devenant des nouvelles menaces. Les scènes de violence sont abondantes, presque continues. La bagarre dans la boite de nuit est d’une crudité inouïe. Si Walker mène la danse, ses adversaires ne sont pas en reste. Ils veulent le détruire encore plus que le tuer. Seul le tireur d’élite, un professionnel des armes à feu comme on s’en rend compte, affecte une conduite policée. Quand Walker pénètre chez Reese, celui-ci a vraiment peur, il sait qu’il est là pour le tuer, et de fait il va passer par la fenêtre. 

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    Walker va s’en prendre à l’organisation 

    Point blank recycle de façon astucieuse de nombreux codes du film noir de la période classique. Par exemple les longs couloirs de la prison d’Alcatraz. Mais cette prison est vide et le paradoxe, c’est Walker qui s’y est enfermé tout seul ! Attiré par ce lieu maudit, il va même y retourner ! On remarquera que Boorman film les couloirs de la prison de façon à en faire ressortir les arcades chères à Chirico qui indiquent à la fois le labyrinthe et la solitude. De la même manière sont utilisés les miroirs. Qu’ils soient brisés ou non, ils indiquent un trouble de la personnalité qui ne se guérit pas. La manière dont sont filmées aussi les fenêtres rappelle comment l’isolement des personnalités dans les grandes mégalopoles agissent sur les cerveaux des individus comme une maladie. Il y aura aussi des clins d’œil, notamment cet oiseau sur les barbelés de la prison désaffectée qui non seulement renvoie à la quête de la liberté, mais qui rappelle Birdman of Alcatraz, le film de John Frankenheimer qui comptait la rédemption d’un prisonnier condamné à la perpétuité en devenant un grand ornithologiste. On pourrait penser que ce clin d’œil indique que le temps du rachat est révolu et que vient maintenant celui du jugement. L’affrontement physique entre Walker et Lynne, puis entre Walker et Chris, semble reconstruire l’affrontement de Debby Marsh avec Vince Stone dans The big heat de Fritz Lang, affrontement qui était aussi d’une brutalité inouïe.  

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    Walker et Chris tentent d’approcher Reese 

    Le film s’est construit autour de la personnalité de Lee Marvin qui incarne Walker. Grand, solide, bestial, il venait juste de triompher dans le film choral de Robert Aldrich, The dirty dozen. Ici il est presque muet, sauf quand il pose des questions, granitique, son visage est fermé. C’était à l’époque un vieux routier des rôles secondaires de méchant dans des westerns ou dans des polars. Il trouve ici son plus beau rôle et ce rôle va en faire une vedette de premier plan dans le renouvellement accéléré du vedettariat hollywoodien à la fin des années soixante. En même temps, c’est la meilleure interprétation de Parker qu’on a vu. Angie Dickinson incarne Chris. Son rôle est moins important, mais elle est très bien et son physique donne un p »eu d’humanité à l’ensemble. John Vernon dans le rôle du traitre Reese qui trahit tout le monde, son ami, l’organisation et sa maitresse est excellent. Il est aussi mauvais qu’arrogant, lâche aussi puisqu’il s’abrite autant qu’il le peut derrière la puissance de l’organisation. Les seconds rôles sont aussi très bons. Que ce soit Lloyd Bochner dans le rôle de Carter, un autre habitué des rôles de tordus, ou Keenan Wynn dans celui de Fairfax le manipulateur. 

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    Le paquet ne contient pas l’argent promis 

    Au fil du temps ce film est devenu un classique fondateur du néo-noir et reconnu comme tel. Très original, je le tiens pour un chef d’œuvre du genre, incontournable du point de vue historique. Même après des visionnages multiples, sa puissance est toujours aussi prégnante. Son succès à sa sortie n’a pas été immense, mais les années lui ont rendu justice. On peut le voir maintenant en Blu ray, ce qui permet de mieux apprécier la magnifique photo de Philip H. Lathrop, un grand technicien, qui arrive à parfaitement saisir cette couleur particulière du ciel californien au moment où le jour décline. Un remake inutile de ce film sera tourné en 1999 par Brian Helgeland sous le titre de Payback. L’histoire sera dépaysée à New York et Parker s’appellera cette fois Porter, un malheur n’arrivant jamais seul, il sera interprété par Mel Gibson.

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    Le logement de Chris a été ravagé 

    Le point de non-retour, Point Blank, John Boorman, 1967 

    A Alcatraz Walker se méfie de Fairfax et de son tueur

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