• Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953

    Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953  

    C’est un film qui a eu un curieux sort en France. Le message de ce film est assez clairement anticommuniste, bien que Fuller soit plutôt classé à gauche sur l’échiquier politique. Seulement nous sommes en 1953 en pleine chasse aux sorcières et l’hystérie anticommuniste et antisoviétique est très forte. HUAC a fait des ravages et tout le monde craint à Hollywood d’être la cible d’une enquête. C’est assez banal, mais ce qui l’est moins c’est que ce film, lorsqu’il a été distribué en France a perdu son caractère anti-communiste et est devenu, comme son titre en français le suggère, un simple film policier. L’hystérie anti-communiste était surtout destinée à appuyer cette crapule de Hoover qui préférait combattre les rouges plutôt que la mafia avec qui il était acoquiné. Des tas de cinéastes ont été manipulés en ce sens, et Fuller est l’un d’eux. Non pas que les Russes et les communistes étaient des oies blanches, mais leur faible implantation aux Etats-Unis ne leur donnait aucune capacité d’agir. C’était un prétexte pour reprendre en main les syndicats et la vie politique, puisqu’il suffisait alors d’être considéré comme un rouge pour perdre son emploi et se retrouver marginalisé. Fuller n’avait pas assez les épaules larges, ou pas assez de convictions politiques pour passer outre ce type de menaces.

     Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953 

    Skip fait le pickpocket dans le métro 

    Le scénario est en lui-même d’une débilité confondante et assez peu digne du talent de Samuel Fuller qui passait pour un libéral. Un pickpocket, Skip McCoy, vole un portefeuille dans lequel se trouve un microfilm qu’une jeune femme, Candy, doit livrer à des communistes. En fait Candy a été suivie par la police et l’intervention de Skip les empêchent de remonter jusqu’au commanditaire. A partir de là, La police comme les communistes vont traquer Skip et essayer de récupérer le film. Mais la cruauté des « rouges », ils assassinent la vieille Moe pour qu’elle donne l’adresse de Skip, va ouvrir les yeux à la fois à Candy et à Skip. Ils vont alors devenir de très bons auxiliaires de la police, ou plutôt du FBI, car s’ils sont un peu malhonnêtes, ils n’en sont pas moins patriotes et ont bien compris que les rouges menaçaient le pays.

     Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953 

    Candy a rendez-vous pour livrer le micro film 

    Ce film bénéficie d’une grande complaisance de la part de la critique. Or elle met en scène la nécessité de la délation, et l’importance de la menace des rouges. Il présente une Amérique en guerre contre une menace sournoise qui en réalité n’existait pas et n’a jamais existée. Qu’on me comprenne bien je ne suis pas particulièrement un fan des communistes américains que je trouve dogmatiques, raides et pour tout dire staliniens. Staline comme repoussoir a été en quelque sorte le meilleur allié du capitalisme américain qui luttait de toutes ses forces contre les avancées su New Deal. Mais ce qui m’exaspère c’est cette mise en scène hystérique de la peur du rouge qui a permis toutes les saloperies possibles et imaginables.

    Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953  

    Skip déjoue les filatures 

    Evidemment pour faire un bon film il faut non seulement que la mise en scène soit à la hauteur, mais aussi que le scénario soit solide et crédible. Ici c’est bien d’abord le scénario qui pèche. A coups renouvelés d’invraisemblances l’histoire nous amène vers une morale douteuse, non seulement le couple formé par Candy et Skip abandonnent le vol et la combine, mais ils deviennent patriotes et se transforment en indicateurs de police avant que d’aller sans doute fonder une famille de bons petits américains. La débilité scénaristique est d’abord révélée avec cette curieuse façon de faire transporter un microfilm sensible de ci de là par une femme qui n’a aucune conviction, ni morale, ni politique. Faire habiter le pickpocket, par ailleurs bien habillé et bien coiffé, dans une cabane en bois insalubre au bord de l’Hudson, quand on sait combien les hivers peuvent être froids à New-York, relève de l’abus de fiction. C’est prendre les spectateurs pour de sacrés imbéciles. Je glisse aussi sur la facilité avec laquelle dans une ville comme New-York il est facile pour les « rouges » et la police de mettre la main sur Skip. De même on a du mal à admettre que Candy trahisse toute le monde, elle vend Joey, Skip, mais aussi Moe. Ça fait beaucoup pour quelqu’un qui se méfie d’abord de la police.

     Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953 

    Candy a retrouvé Skip et vient marchander le microfilm 

    En général j’aime bien les films noirs de Fuller, mais celui-là ne passe pas, bien que je reconnaisse qu’il soit magnifiquement filmé. En effet, il y a une belle utilisation du métro, une vision intéressante du port, des tas d’idées cinématographiques pour les scènes d’action et la violence latente des rapports entre les deux personnages principaux. Mais il n’y a pas que le scénario qui pose problème, l’interprétation de Richard Widmark aussi.  Ce dernier a été une figure incontournable du film noir, on peut même dire qu’il est né au cinéma grâce au film noir puisqu’i obtint son premier rôle dans Kiss of death où il jouait le rôle d’Udo le tueur psychopathe. Et pendant un temps il fut abonné aux rôles de mauvais garçons, de chef de bande sadique. Il ne s’éloigna de ces rôles convenus qu’en développant l’image d’un homme droit et honnête dans les westerns et les films de guerre. Mais ici il surjoue en quelque sorte, d’ailleurs on ne sait pas s’il est une canaille un peu débile ou s’il est un calculateur au sang-froid, ou encore un honnête pickpocket qui fait juste son métier. Les contours de son personnage, oscillant entre des tendances sadiques envers Candy et des élans de tendresse, ne sont pas très fixés, et Widmark remplace ces certitudes  par une sorte de sourire un peu figé qui n’a beaucoup de sens.

    Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953  

    Elle explique à Joey que Skip fait monter les enchères 

    A mon sens Jean Peters dans le rôle de Candy est bien plus juste. Elle est une fille un peu marginale, avec un bon cœur et beaucoup d’incertitudes elle aussi. Elle présente parfaitement ce mélange de vulgarité et d’énergie que voulait sans doute insuffler Fuller à son personnage. C’est une artiste qui a très peu tourné, pourtant, même si elle n’avait pas un physique à tout casser, elle avait un talent évident, que ce soit dans Niagara d’Hathaway où elle est fabuleuse face pourtant à Marilyn Monroe, ou dans Bronco Apache d’Aldrich. Le reste de l’interprétation n’a rien de remarquable et se trouve dans la bonne moyenne des films noirs tournés à New York. Les flics ont l‘air de flics, mais les communistes ont plutôt l’allure d’intellectuels égarés dans un monde qu’ils ne comprennent pas.

     Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953 

    La police vient rendre visite à Skip 

    Les années ont passé, et on se dit que finalement ceux qui ont établi la version française ont très bien fait de transformer cette histoire ubuesque en une histoire de trafic de drogue, ça fait oublier l’imbécilité du scénario de base. Il reste cependant quelques scènes de grande beauté. La photo est excellente et est signée Joseph MacDonald, comme pour L’impasse tragique. Certes quand on commence à discuter d’un film en parlant des qualités de sa photo, c’est que le film ne vaut pas un clou. Mais ça ne fait rien, on pourra ainsi sauver les scènes dans le métro, que ce soit le travail du pickpocket ou la bagarre finale entre Skip et Joey.

    Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953 

    Moey prévient Skip que les rouges vont vouloir le tuer

     Le port de la drogue, Pickup on South Street, Samuel Fuller, 1953 

    Joey se rend compte qu’il manque la moitié du microfilm

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