• Le prince de New York, Prince of the city, Sidney Lumet, 1981

    Le prince de New York, Prince of the city, Sidney Lumet, 1981

    C’est un très bon film noir qui est passé plutôt inaperçu lors de sa sortie et qui continue, malgré une tendance à la réhabilitation de Sidney Lumet, à rester ignoré. J’ai essayé de comprendre en le revoyant pourquoi le public n’a pas suivi. A mon sens cela vient d’abord de la trop grande complexité du scénario. Le point de départ est un ouvrage de Robert Daley, ancien policier du NYPD, il a été ensuite aussi l’auteur de L’année du dragon qui fut adapté de belle manière par Michael Cimino. Le scénario a été rédigé par Sidney Lumet lui-même avec l’aide de Jay Presson Allen qui avait travaillé sur Marnie d’Hitchcock, mais aussi sur Cabaret et avec Vincente Minelli. Elle retravaillera d’ailleurs avec Lumet sur un film mineur de celui-ci, Piège mortel.

    Le prince de New York, Prince of the city, Sidney Lumet, 1981  

    L’histoire est celle de Daniel Ciello, le chef d’une équipe de la brigade des stupéfiants qui a des succès considérables. C’est une équipe très soudée. Certes de temps en temps elle s’accommode un eu de la loi, mais dans l’ensemble tout se passe bien. Jusqu’au moment où une équipe des affaires internes va lui tomber dessus pour lui demander de coopérer et de faire tomber aussi bien un avocat véreux de la mafia, que des flics corrompus qui touchent de l’argent. Danny trouve là l’opportunité de se mettre au clair avec les petits passe-droits qu’il a effectués durant sa carrière. Il demande seulement à ne pas citer ses anciens coéquipiers. Le cauchemar ne fait que commencer. Il va porter un micro pour piéger ceux qu’il rencontre, mais ce n’est pas ce qui lui fait le plus peur, c’est même presqu’un jeu. Le plus inquiétant est que l’enquête va durer des années, et qu’au fil du temps tout le monde va savoir qu’il balance. Dès lors sa vie et celle de sa famille vont être menacées. Il lui faudra se planquer, être protégé en permanence. Son cousin, travaillant pour la mafia, sera assassiné. La complexité de la loi est telle que Danny risque d’être accusé de parjure et d’entraîner dans sa perte l’ensemble de ses anciens coéquipiers. Le procureur, les juges vont s’acharner sur cette équipe, la diviser, la réduire en bouillie, les montant les uns contre les autres. Certains en mourront.

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    La brigade dirigée par Danny Ciello va de succès en succès 

    La première partie du film met en avant le passage de Ciello de la brigade des stupéfiants au rôle de balance. La seconde décrit comment le système travaille contre des gens qui pourtant ne songent qu’à bien faire. C’est le côté malsain des affaires internes et des procureurs qui poursuivent les policiers : ils demandent des confessions, un acte de contrition qui n’en finit jamais, qui ne peut pas finir. Le policier devient alors un criminel qu’il faut poursuivre, punir, éradiquer. Cette manière démente de traquer le mal est portée particulièrement par le procureur Polito qui se moque bien des dégâts que cela peut faire, pour lui la rigueur de la loi ne doit souffrir aucune exception. Et donc il sera le plus acharné à détruire Ciello alors même que celui-ci l’a aidé. Mais la justice n’est pas la seule à être travaillée par l’ambiguïté. Ciello lui-même a des déterminations très incertaines. Pourquoi balance-t-il ? Est-ce parce qu’il est catholique et qu’il est travaillé par le besoin de rachat ? Gus Levy, l’inspecteur juif de la brigade, lui est sûr de son bon droit, et n’ayant rien à se faire pardonner, décide de ne pas coopérer comme on dit. Comme on le voit, le cœur du problème est celui de la culpabilité, et cette ligne incertaine qui partage le bien du mal dans des situations explosives.

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    Danny va aider la justice à enquêter sur la corruption dans la police 

    C’est donc un film très complexe, bien plus que ne l’était Serpico. Ce dernier n’avait aucun état d’âme. Même si son travail de déminage de la corruption était dangereux et difficile, il savait pourquoi il l’entreprenait. Cette complexité scénaristique s’accompagne d’une complexité de mise en scène. En effet, on retrouve tout ce qui a fait le succès des films noirs de Lumet : cette capacité à saisir les décors naturels, les rues de New York, les imposantes architectures des bâtiments administratifs. Il en tire aussi bien une profondeur spatiale et une densité très vivante que des figures géométriques étonnantes, l’art de tirer des diagonales par exemple. Quelques scènes d’action sont aussi très rondement menées. Mais ce n’est sans doute pas là le plus étonnant. C’est plutôt la deuxième partie où les gros plans resserrés analysent la tension qui n’en finit pas de monter entre les différents protagonistes qui restent souvent sans voix. 

    Le prince de New York, Prince of the city, Sidney Lumet, 1981 

    Il portera un micro 

    Le film est très long, 2 h 40, mais c’est nécessaire pour comprendre la transformation des personnages. Et encore les rapports entre Ciello et sa femme ont été à peine évoqués. Certes on comprend bien que celle-ci n’approuve pas la démarche de son mari, elle sera d’ailleurs la première à le mettre en garde contre le caractère sournois des procureurs. Mais c’est égal, elle le soutient tout de même jusqu’au bout, alors même que l’enquête puis le procès n’en finissent pas. Ce qui oppose d’ailleurs Ciello à Mayo qui lui n’a pas cette chance et qui se suicidera. Ciello suit son chemin de croix, tout le monde se détourne de lui, et même à la fin quand il redevient moniteur pour les policiers en formation, l’un des participants lui fait comprendre qu’il n’est plus des leurs parce qu’il a manqué au devoir de solidarité. Il sera même stupéfait lorsqu’un dealer lui crachera au visage dans le bureau du procureur : il n’est plus un représentant de la loi respecté, mais un simple traitre à sa cause. C’est un homme seul, exclu de sa famille, tenu à distance par ses collègues qui se méfient de lui.

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    La mafia soupçonne Danny d’être une balance 

    Malgré leur côté colorés, les mafieux et leurs avocats ne sont pas très présents, ils ne sont que des pièces d’un jeu qui se joue finalement ailleurs. Certes, ils sont là avec leurs rites désuets et la peur qu’ils peuvent générer. Le cousin de Danny sera d’ailleurs assassiné et flanqué dans une poubelle. Danny devra se barricader et resté sous protection policières pendant de longues années. Mais ce n’est pas un film sur la mafia, ni même un film sur la police, c’est un film noir parce qu’il traite d’abord de l’âme humaine et de l'ambiguïté quant aux décisions que parfois nous devons prendre.

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    Danny donne des rendez-vous clandestins

    L’interprétation est portée de bout en bout par Treat Williams, à la fois solide et entreprenant, et fragile et pessimiste sur les chances qu’il a de s’en sortir. Il n’a jamais retrouvé un rôle aussi important. Mais je l’ai déjà dit, Lumet est un très bon directeur d’acteurs, et tous les acteurs sont excellents. Sans doute le plus étonnant est James Tolkan qui incarne le rigoriste procureur Polito. Il a cette immobilité de visage qui masque et révèle en même temps la dangerosité du personnage. On se demande même si ce n’est pas lui qui, à force de puritanisme intransigeant, est le plus criminel. Les acteurs sont peu connus, on retrouvera tout de même le très bon Jerry Orbach dans le rôle de Gus Levy. Bien sûr un tel film ne peut se faire sans qu’il y ait aussi des têtes très particulières pour incarner les mafieux qui par nature sont plus remarquables que les fonctionnaires du département de la justice. Ron Karabatsos est Benedetto avec la violence et la truculence nécessaire. Tony Munafo est l’autre grand mafieux, Rocky Gazzo. Ce n’est pas un film de femme, et encore une fois les personnages féminins ne sont pas très présents, mais Lindsay Grouse est excellente dans le rôle de l’épouse maternelle et présente. 

    Le prince de New York, Prince of the city, Sidney Lumet, 1981

    Le cousin de Danny lui annonce qu’un contrat est sur sa tête 

    On retiendra quelques scènes étonnantes, la rencontre entre Ciello et The King, ce dernier qui était le roi de la ville il y a peu est maintenant dans la débine, la justice lui ayant confisqué tous les biens qu’il avait pu acquérir avec l’argent de la corruption. Ou encore le délibéré des procureurs qui se demandent s’ils vont ou non poursuivre Ciello pour parjure. Ils sont là, bien tranquilles, derrière les jalousies, dans l’ombre de leurs certitudes, comme un contraste avec la vie risquée des policiers  qui sont sur le terrain. Ou encore cette immense pitié qui prend Ciello lorsqu’il est confronté à la misère des deux junkies qui se battent pour leur dose d’héroïne.

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    Le King, ruiné, interpelle Danny 

    C’est un très bon film noir, avec toute l’amertume nécessaire portée par une ville qui ne sait plus que faire pour relever la tête et qui s’enfonce dans la turpitude et la corruption. Il serait trop facile de dire que seul un newyorkais comme Lumet était capable de le réaliser avec autant de vérité. Le film n’a connu aucun succès, ni public, ni critique, au moment de sa sortie. Je me souviens l’avoir vu dans une petite salle, alors que les grandes salles de première exclusivité ne l’avaient pas distribué. Mais avec le temps c’est un film qui est reconnu pour ce qu’il est : un très grand film noir parfaitement maîtrisé. 

    Le prince de New York, Prince of the city, Sidney Lumet, 1981

    Danny est un homme seul, Mayo s’est suicidé

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    Dans l’ombre feutrée de son bureau, le procureur en chef doit décider ou non de poursuivre Ciello au nom du gouvernment

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