• Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978

     Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978

    Ulu Grosbard n’a pas beaucoup tourné, une demi-douzaine de films, pas plus. Il était en effet d’abord un metteur en scène de théâtre. Mais ses films ont été très appréciés pour leur rigueur et leurs qualités de cœur. Falling in love, avec Robert De Niro et Meryl Streep est sans doute son film le plus connu, c’est un très bon film. Mais pour le domaine qui nous intéresse, on retiendra l’excellent True confessions, tourné en 1981, avec encore Robert De Niro, et Straight time, d’après le roman d’Edward Bunker. Le film a une histoire très particulière, Edward Bunker dit que c’est Dustin Hoffman qui était une immense vedette en ces temps-là, qui avait acheter les droits d’adaptation pour aider Bunker qui ne gagnait pas beaucoup d’argent avec ses seuls droits d’auteur. Un moment on dit que Dustin Hoffman avait envisagé de le mettre en scène lui-même, mais il y avait renoncé, trouvant la double casquette trop lourde à porter. Il aurait donc été cherché Ulu Grosbard qu’il connaissait depuis des décennies et qui l’avait lancé sur la scène newyorkaise. On peut parler d’un projet de Dustin Hoffman. En tous les cas cela a permis à Edward Bunker de faire ses débuts de scénariste et d’acteur dans un petit rôle. Bunker considérait que cet ouvrage qui était aussi son premier, était sans doute son meilleur, peut-être parce qu’il l’avait écrit en prison.  

    Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978

    Max vient de sortir de la prison de Folsom où il vient de purger 6 ans. Mais il n’est pas quitte pour autant et doit rendre des comptes à son officier de conditionnelle, Earl Frank. Il désire se tenir tranquille, et par l’intermédiaire de Jenny, il va trouver du boulot dans une usine de boissons. Egalement il loue une petite chambre minable. Parallèlement au fait qu’il entame une relation avec Jenny, il va renouer avec un ancien copain, Willy Darin. La femme de celui-ci fait comprendre à Max qu’il doit se tenir à l’écart, qu’il est une mauvaise fréquentation. Willy en vérité est un drogué, assez instable qui déballe son nécessaire pour se shooter dans la chambre de Max. C’est ce qui va valoir à celui-ci les pires ennuis. En effet, l’officier de probation comprend que quelqu’un s’est drogué dans la chambre de Max. Il menotte Max et le remet en prison pour qu’il passe des tests pour voir s’il s’est drogué. Il ne reviendra chercher Max qu’une semaine plus tard, l’ayant oublié au motif qu’il avait eu une semaine chargée. Il tente de faire pression sur Max pour que celui-ci lui dise qui était le drogué dans sa chambre. Ce chantage fait péter les plombs de Max qui casse la tronche à Earl, le menotte et le laisse suspendu à un grillage au bord de l’autoroute. Il va donc maintenant vivre en cavale. Comme il lui faut de l’argent il attaque d’abord des petites épiceries, puis se met en équipe avec Jerry pour faire des attaques à main armée plus importantes. Ils vont ainsi attaquer une banque à tous les deux. Max ne cache pas à Jenny qu’il vit dans l’aléa. Elle l’accepte, et ils vivent ensemble. Le prochain casse est plus compliqué, il s’agit de s’attaquer à une bijouterie importante en plein jour. Il va faire le coup avec Jerry, mais il leur faut un chauffeur pour pouvoir prendre la fuite. Mickey pense lui en trouver un. Mais au dernier moment celui-ci ne peut pas se joindre à eux. Dans l’urgence, Max engage Willy. Le coup se passe assez bien, mais à la sortie, personne ne les attend. Ils sont obligés de prendre la fuite. Dans l’affrontement avec la police, Jerry est tué. Max s’en sort, il se rend chez Willy et le tue. Avec Jenny, ils prennent la route. Mais après quelques kilomètres, Max refuse de continuer avec Jenny et la renvoie à Los Angeles, sans doute parce qu’il n’a pas d’avenir. 

    Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    Jenny va aider Max à trouver du travail 

    Le scénario, coécrit avec Edward Bunker, mais aussi sur lequel Michael Mann a participé, est très dense et très rigoureux, décrivant l’itinéraire d’un loser sur lequel les filets de la société se referment inexorablement. Max n’est qu’un petit délinquant, et s’il passe à l’attaque à main armé, c’est plutôt parce que son officier de probation l’y pousse. On se trouve dans le même schéma que dans Deux hommes dans la ville[1]. La société ne fait pas confiance à l’ancien détenu et ce manque de confiance le pousse à se rejeter de lui-même. Pas à pas, il va vers sa propre perte et ne peut pas faire autrement. Tout ce qu’il peut vivre, au niveau d’une relation amoureuse, ou de relations amicales, lui est, d’une manière ou d’une autre, interdit. La morale s’insinue de partout, ainsi Selma va tenter de séparer Max de Willy pour se protéger d’un danger qui n’existe pas. Evidemment l’officier de probation va lui pourrir la vie, aussi bien parce qu’il ne fait pas confiance à Max que parce qu’il veut lui montrer toute l’étendue de son pouvoir. Max dépend de lui. Un simple geste de rébellion, et il le renvoie illico en taule pour des années. Le thème central est donc l’impossibilité de la rédemption pour les délinquants. Ce scénario est directement inspiré de la vie de Bunker qui passa de longues années en prison dès son plus jeune âge. En vérité Bunker s’en est finalement sorti. Il fut élargi au moment même où le film de Grosbard était mis en production. On remarque que le film insiste sur l’absence de glamour de ses personnages. Ce sont des personnes ordinaires, plutôt faibles du reste. Il n’y a rien d’héroïque dans leur comportement, ils sont dans les marges, vivent difficilement. Même Max apparaît naviguer à vue. Jerry lui reproche tout le temps de ne pas être un professionnel, de ne pas respecter le plan initial. Par exemple lors des deux hold-ups, il dépasse le temps imparti, on peut supposer que ce n’est pas seulement par cupidité qu’il continue à voler, mais plutôt par désir de se faire finalement attraper. Il passe un temps incroyable à choisir les mauvaises pistes. Ce ne sont pas vraiment des cerveaux. Quand il va chercher un flingue, il a les pires difficultés à en trouver un.  

     Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    A sa sortie de prison Max trouve un boulot dans une usine de canettes 

    Grosbard a accepté de tourner ce film sur la proposition de Dustin Hoffman qui a été aussi producteur à travers sa société de production. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il ne serait qu’un tâcheron sur ce projet. On reconnait le style de sa mise en scène, une attention soutenue sur les détails de la vie quotidienne, et puis aussi cette manière très particulière de se saisir des décors réels. Le Los Angeles de Grosbard, n’est pas très joli, ni très moderne. Ce sont des enfilades de quartiers pauvres, de maisons minables, de petits restaurants sans envergure. La mise en valeur de cet univers, pour en faire ressortir tout le poids, dépend de la manière dont il est filmé. On ressent en effet le côté claustrophobique du pauvre logement de Max. De même on comprend sa solitude quand il se trouve attablé chez un marchand de sandwich avec des lumières et des couleurs qui semblent venir d’Edward Hopper. Grosbard va s’attarder longuement sur cette humiliation que subissent les suspects quand ils atterrissent en prison et qu’on les passe au désinfectant. Il a également une habileté à filmer les scènes de rue, même s’il abuse un peu des zooms, chose qui ne se fait plus aujourd’hui. Même Peckinpah le faisait dans des scènes qui annonçaient la violence à venir. L’ensemble est soigné, avec toujours une belle profondeur de champ et une capture de la lumière réelle de Los Angeles très intéressante. La photo est très bonne, et la musique aussi. 

    Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    Selma fait comprendre à Max qu’il n’est pas le bienvenu 

    Ce qu’on remarque le plus, je crois, c’est que l’univers dans lequel évolue Max et ses amis, est un univers étroit et borné, étouffant. C’est particulièrement évident quand Max va manger chez Selma et Willy. Dans cette étroite cuisine, on sait la violence prête à exploser lorsque Willy entend corriger son jeune fils. Les scènes d’intimité entre Max et Jenny apporte un contrepoint, non pas comme une promesse, mais comme une mélancolique idée de ce qui aurait pu être dans un autre contexte. Dans ces moments on sent Max complètement en dehors du coup, ailleurs, comme si personne n’était vraiment là. On retrouvera cette idée lorsqu’il va manger des hamburgers avec Jerry et Carol. Ce qui est surprenant dans ce film, et qui en fait le prix, c’est de voir comment la densité des relations humaines va être soulignée par des tous petits détails dans les gestes ou les regards des différents protagonistes. Mais il se passe aussi beaucoup de chose dans ce film, et les scènes de casse sont plutôt bienvenues, rythmées.

     Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    En taule, Jenny vient voir Max 

    C’est évidemment Dustin Hoffman, avec moustache et rouflaquettes, qui porte le film sur ses épaules. Dans le rôle de Max il est assez crédible, quoique sa petite taille ait parfois du mal à l’imposer. Il est curieusement sobre, cabotinant assez peu. Il est bon, même si ce n’est pas l’acteur idéal pour ce genre de rôle. Le reste de la distribution est tout aussi excellent. Theresa Russell, dont c’était alors la seconde apparition à l’écran – elle avait été lancée par Elia Kazan dans The last tycoon où se pureté et son innocence donnaient à rêver à Robert de Niro – est aussi très juste dans le rôle de Jenny. Elle est à la fois déconcertée et fascinée par Max qua manifestement elle ne peut pas comprendre. Le cauteleux Earl Frank, l’agent de probation, est joué par l’excellent Elmett Walsh qu’on a vu presque toujours dans des rôles de fumiers, notamment chez les frères Coen. Et puis il y a Kathy Bates dans le rôle de Selma. C’était son premier rôle au cinéma, et elle avait encore un physique jeune et svelte. Harry Dean Stanton est Jerry, le gangster qui voudrait bien être un pro. Enfin il y a Edward Bunker dans le petit rôle de Mickey, ce qui nous fait toujours plaisir parce qu’on l’aime bien.

     Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    Max se retrouve seul et en fuite 

    C’est donc une très bonne adaptation de l’univers de Bunker qui reste dans les esprits, quoique moins violent et moins désespéré peut-être que l’ouvrage dont il a été tiré. C’est un bon film, typique d’une époque généreuse où on voulait juste montrer que le délinquant était un produit des ratés de la société, sans pour autant excuser les comportements déviants. Le film n’a pas eu un très grand succès quoiqu’il ait couvert assez facilement ses frais, mais au fil des années il est devenu une sorte de classique. On dit que c’est en travaillant sur ce film que Michael Mann a eu l’idée de ce qui deviendra Heat et qui dans un premier temps fut le téléfilm, L.A. takedown. En vérité la parenté est très peu assurée entre ces œuvres, Michael Mann préférant donner un aspect plus romantique et héroïque à ses histoires de bandits. Peut-être est-ce ce film qui a donné des idées à Michael Mann pour les scènes de nuit qu’il a tourné à Los Angeles dans Thief, Heat et Collateral.  Ici nous sommes plutôt dans la médiocrité de la condition sociale des bandits dont l’existence n’a pas beaucoup d’issues positives. Il est temps de redécouvrir aussi le très discret Ulu Grosbard qui a fait au moins trois films excellents : Straight time, True confessions et Falling in love. 

    Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    Max trouve de l’argent en attaquant une épicerie chinoise

     Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    Mickey va faciliter le retour de Max à la vie de truand

     Le récidiviste, Straight time, Ulu Grosbard, 1978 

    Max et Jerry doivent fuir à pied, après que Willy les ait laissé tomber



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/deux-hommes-dans-la-ville-jose-giovanni-1973-a131469548 

    « Edward Bunker, L’éducation d’un malfrat, Rivages, 2001Fauda, saison 1, 2015 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :