• Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Mankiewicz présentait ce film d’une manière ironique en disant que dans sa vie de réalisateur il s’était attaqué à tous les genres, et notamment au western ! C’est en effet presqu’un western qu’il signe pour son retour sur le territoire américain qu’il avait abandonné pour tourner en Europe depuis au moins Cleopatra. La production a nécessité la construction d’une prison, celle qu’on voit dans le film, donc des moyens importants, et le tournage n’a pas été de tout repos à cause des intempéries. C’est un scénario de Robert Benton et David Newman, donc les scénaristes de Bonnie and Clyde, mais Robert Benton est aussi un réalisateur à succès. Un homme capable de produire des intrigues avec des retournements de situation surprenants comme dans Still of the night ou encore Twillight. Pensons aussi que nous sommes en 1970. Juste après le triomphe critique et commercial de The wild bunch de Peckinpah. Cela veut dire qu’on va travailler sur le genre western, mais en le retouchant, tout en évitant de sombrer dans les caricature du western spaghetti. Comme le film de Peckinpah, There was a crooked man est une réaction contre la mode du western à l’italienne.  Et ce n’est pas un hasard si On fera appel à deux acteurs qui ont beaucoup donner dans le genre. Mais c’est aussi un film de prison des plus traditionnels, avec des ruses pour s’évader, des scènes de violences de la part des gardiens et une méditation sur la réinsertion des délinquants. Par la force des choses, on se retrouve à l’intersection de plusieurs genres, même si le genre western domine. Pour Mankiewicz qui avait essuyé toute une série de déboires c’était un défi que de rester lui-même tout en adoptant des codes très marqués 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Pitman cache l’argent du hold-up 

    Paris Pitman est un voleur. Avec sa bande, il va dévaliser de 500 000 $ Lomax. En partant, Lomax et ses amis tirent les bandits, en tuent quelques-uns, et Pitman va en tuer quelques autres pour s’approprier le butin. Il va cacher son butin dans les collines dans un nid de serpents. Le shérif Lopeman tente de désarmer Floyd Moon qui est saoul, mais ça ne marche pas et c’est lui qui prend une balle dans la jambe, tandis que le barman assomme Floyd. Lomax est déprimé, il se rend au bordel où la Madame lui propose, pour lui remonter le moral, de se rincer l’œil par un trou dans le mur. Et qui voit-il ?  Pitman en train de tringler deux nanas. Pitman va se retrouver en prison avec toute une série de portraits. Il y a là le taciturne Floyd Moon, puis un couple de vieux homosexuels qui se sont fait prendre à escroquer les populations, un Chinois qui ne parle pas. Et le jeune Coy Cavendish qui va être pendu. Pitman se fait maltraiter par des prisonniers qui sont envoyés par le directeur qui voudrait bien mettre la main sur le trésor de Pitman à qui il propose de partager contre son évasion. Mais durant une émeute, tandis que Pitman est au cachot, le Chinois Ah-Ping brise la colonne vertébrale du directeur. Il va être remplacé par Lopeman dont les gens ne veulent plus comme shérif parce qu’il n’est pas assez dur. Lopeman veut transformer la prison avec l’aide de Pitman dont il a pu apprécier le charisme qu’il avait sur le reste des prisonniers. Lopeman croit à la réforme pénitentiaire. Avec l’aide de Pitman il va transformer la prison. Mais Pitman en même temps prépare son évasion. Il va donc profiter de l’inauguration du réfectoire devant des notables pour lancer une bagarre, faire sauter le mur de la prison et puis s’en aller. Il va retrouver peu après la veuve Bullard avec qui il a eu une aventure dans le temps. Mais Lopeman est à ses trousses, il n’a pas supporté d’être ainsi humilié. Il suit sa piste. Pitman va bien récupérer son argent, mais s’il a bien tué les serpents qui protégeaient son butin, il va être piqué par un crotale et mourir. Sur ces entrefaites, Lopeman arrive, récupère le butin et ramène le cadavre de Pitman à la prison, puis, chargé du butin, il va partir vers le Mexique. 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970 

    Pitman pense à s’évader 

    Le ton général est ironique, mais derrière cette ironie, il y a une forme de gravité implacable. C’est un film d’hommes essentiellement. L’univers des prisonniers, mais aussi l’homosexualité de Dudley et Cyrus. Les femmes sont présentes, mais seulement comme des objets sexuels, qu’elles soient putes ou pas d’ailleurs. Cette configuration particulière fait qu’il y a une lutte d’influence entre les éléments les plus forts. La force n’est pas toujours physique, c’est même le contraire. Le Chinois qui est une montagne de muscles est à peine un instrument pour Pitman. Il est donc question de manipulation. Pitman manipule tout le monde pour se trouver des alliés, soit il avance comme argument son argent potentiel, soit l’amitié, il change selon les personnalités. Mais s’il est manipulateur, Lopeman l’est également, il est exactement pareil, sauf qu’il dit agir au nom de la loi et pour des objectifs nobles. C’est en réalité un homme aigri qui a mal supporté d’être évincé de son poste de shérif. Il ne boit pas, ne baise pas, et il n’arrive même pas à se rouler une cigarette ! Evidemment en tentant de manipuler Pitman pour sa gloire, il va tomber sur plus fort que lui, parce que Pitman est plus ouvertement cynique, plus décontracté et plus jouisseur que lui. Ce n’est que parce que Pitman est piqué par le crotale que Lopeman pourra prendre sa revanche. Mais cette revanche est entachée de beaucoup de frustration. En effet, en acceptant de s’emparer du magot de Pitman, non seulement il montre qu’il n’est pas meilleur que lui, en rien, mais en outre que Pitman a déteint sur lui et la transformé ! Lopeman va se raser la barbe, boire du whisky et va tenter de devenir Pitman, malgré sa jambe malade qui est une figure de son impuissance. Dans ce contexte de la prison où tout le monde se méfie de tout le monde, tout le monde ment. 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Le shérif Lopeman demande son arme à Floyd Moon 

    La manière de raconter cette histoire édifiante, c’est d’abord de mettre en évidence les fausses valeurs qui ont fabriqué l’Amérique. La loyauté, la famille, la religion, le rachat, seul surnage dans sa nudité l’amour de l’argent. C’est donc un film désenchanté, typique des années soixante-dix. La destruction de la prison que Lopeman aurait voulue modèle, est bien la preuve que rien de sérieux et de solide ne peut être construit sur la base de l’individualisme forcené de Pitman mais ensuite de Lopeman ! Car celui-ci est vaincu dans ses principes. Dans toutes les fonctions qu’il a occupées, il a échoué. Le hasard va lui donner l’opportunité d’être riche, soit de réaliser quelque chose enfin. Lomax comme le juge se retrouve au bordel, c’est l’image de leurs mensonges et de leurs fausses valeurs. Mais il y a aussi le fait qu’en prison, en dehors de Pitman bien sûr, il n’y a que des misérables, des laissés pour compte du progrès et de l’enrichissement, parqués dans un coin de désert d’où théoriquement on ne peut s’enfuir. C’est aussi une critique de la bonne conscience des réformateurs. Lopeman veut transformer tous ces misérables, mais au nom de quoi ? C’est ce que lui dit Pitman, et c’est ce que va démontrer Floyd Moon. Celui-ci a vendu à peu près tout le monde, et Lopeman croit pouvoir se servir de son manque de loyauté passé pour le manipuler et le faire espionner la prison pour son propre compte. Il se trompe. Floyd Moon va découvrir par lui-même les vertus de l’amitié et refuser de vendre Pitman, même si celui-ci ne croit guère en lui. Ce en quoi il a tort car Floyd Moon sera la plus loyal. 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Pitman tente d’intéresser le directeur de la prison à son évasion 

    Mankiewicz à travers une histoire très linéaire, brosse le portrait d’une Amérique violente, mais ce n’est pas Peckinpah, aussi il va rester à mi-chemin. Certes il y a beaucoup de morts, mais on reste plutôt au niveau de la farce. C’est un choix de dédramatiser ces situations extrêmes. Même la pendaison devant tous les prisonniers, histoire de leur inculquer les principes du calcul coût-avantage, n’est filmée que de biais. C’est parce que cette violence est le résultat de l’ambiguïté. Lopeman et Pitman sont les deux faces de la même pièce. Le premier joue le personnage du réformateur humaniste, mais il se propose de tuer Pitman parce que celui-ci l’a humilié, ou plus certainement a dévoilé ce qu’il était profondément. Pitman affiche sa figure de salopard. Il s’en flatte, mais l’est-il vraiment ? Certes il n’hésite pas à laisser tuer ou à tuer ses complices qui pourrait le mettre en danger, mais en même temps on le voit avoir des gestes d’humanité, comme quand il détourne Coy de la pendaison. On le verra par deux fois sauver la vie de Lopeman, la première quand le Chinois se propose de lui éclater la tête avec une pierre, et la deuxième lorsqu’il le tient au bout de son révolver, se refusant à l’achever, alors qu’il sait que c’est son plus impitoyable ennemi. Quelque part il a aussi de l’affection pour ce couple de vieux homosexuels qu’il épargnera en ne les emmenant pas avec lui pour son évasion. Sans doute pour toutes ces raisons, Mankiewicz comme le spectateur préférera le personnage de Pitman 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970 

    Lopeman devient directeur de la prison 

    La manière de filmer est assez peu personnelle pour Mankiewicz. Elle est même assez traditionnaliste. C’est ce qui se faisait à l’époque, avec mouvements de grue et effet de zoom. Il utilise l’écran large et très bien les décors désertiques de l’Arizona. On comprend bien qu’il se soit plus attardé aux affrontements entre Lopeman et Pitman. Mais cette fois et quoi qu’en ait dit Kirk Douglas qui l’aimait bien mais qui le trouvait trop intellectuel, Mankiewicz ne s’est pas laissé aller à des bavardages oiseux. Il y a quelques maladresses dans les scènes de rébellion des prisonniers. Pour le reste, le rythme est bon, les mouvements de caméra sont très fluides. On peut regretter que le film hésite entre le drame noir et la comédie grinçante, mais c’est la conséquence du scénario. 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Pitman empêche Ah-Ping de tuer Lopeman

    La distribution est excellente, dominée par Kirk Douglas dans le rôle de Pitman. Il est comme toujours bourré d’énergie et de ruse – il n’a pas été Ulysse pour rien. C’était la deuxième fois qu’il tournait avec Mankiewicz. Ici il porte des lunettes – fausses bien entendu – et il est teint en roux ! Mais il n’était pas prévu à l’origine du projet. C’est Warren Beatty qui devait tenir son rôle, et John Wayne devait jouer Lopeman. C’est du moins l’idée qui court, mais on ne voit pas très bien John Wayne jouer un personnage aussi ambigu, surtout sous la direction d’un rouge et en pleine guerre du Vietnam. N’oublions pas que Mankiewicz s’était opposé à l’extrême droite représentée par John Wayne et Cecil B. de Mille qui avaient voulu l’évincer de la direction du syndicat des réalisateurs. Lopeman a donc été interprété par Henry Fonda qui sans être mauvais parait tout de même assez terne par rapport à Kirk Douglas. Hume Cronyn, un ami très cher de Mankiewicz incarne l’homosexualité Dudley avec beaucoup de subtilité. Et puis il y a le remarquable Warren Oates qui venait de triompher dans The wild bunch. On dit que de nombreuses scènes qui expliqueraient son parcours ont été coupées. Le film dure cependant déjà plus de deux heures. 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970 

    Lopeman tente d’intéresser Pitman au nouveau réfectoire 

    Si le film a été un succès commercial, les critiques étatsuniennes ont été des plus tièdes, reprochant à Mankiewicz de miner le courant réformateur qui voulait réformer les prisons, querelle absurde s’il en est. En France la critique fut plus enthousiaste. Sur la durée, le film a acquis une belle notoriété. Et sans être un des meilleurs Mankiewicz, il a très bien passé les années et a acquis le statut de classique. Mankiewicz qui ne semble pas trop aimé avoir fait ce film, pensait que ce film aurait pu être tout autre chose qu’un western, un film noir par exemple tant la fatalité est à l’œuvre du début jusqu’à la fin. Il n’existe plus sur le marché que dans des vieilles éditions DVD, il mériterait pourtant une réédition en Blu ray. Notez l’étonnante musique de Charlie Strouse et la chanson de Trini Lopez qui était à l’époque un des rois de Las Vegas. 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970 

    La révolte des prisonniers est inarrêtable 

    Le reptile, There was a crooked man, Joseph L. Mankiewicz, 1970

    Pitman a récupéré son trésor

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