• Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

     Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

    Ce film fait partie de la filmographie américaine restreinte de Joseph Losey. Tourné en 1950, il ne fut distribué aux Etats-Unis qu’en 1951. Il eut tout de même un excellent accueil critique et public. Il est l’achèvement de l’incursion de Losey dans le registre du film noir américain qui comprend : The Lawless (1950), l’excellent M, The big night et bien sûr The prowler. Ces trois derniers films sont sortis en 1951. L’ensemble est plutôt cohérent et fait partie très certainement des chefs-d’œuvre du film noir. Il classe Losey parmi les plus grands. C’est l’époque terrible de la chasse aux sorcières qui contraindra Joseph Losey à immigrer en Europe pour ne pas avoir à se renier. C’est peut-être le film le plus achevé de Losey dans sa période américaine. Il fait là l’étalage de sa grande maîtrise technique.

      Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

    Webb et Bud sont venus rassurer Susan qui pense avoir vu un rodeur 

    Alors qu’ils font leur ronde de nuit, Webb et Bud, deux flics su LAPD vont répondre à une plainte d’une jeune femme seule qui pense avoir vu un rôdeur qui l’observait dans sa salle de bains. Ils vont la rassurer. Mais Webb, étonné par la solitude de Susan, va revenir lui rendre visite. Elle est en vérité mariée à un homme plutôt riche qui travaille pour des émissions de radio à succès. Au fil des jours Webb va se débrouiller pour créer une sorte d’intimité avec Susan et finalement en faire sa maîtresse. Dès lors, il n’aura de cesse qu’elle quitte son mari. Mais un soir, l’opportunité se présente à Webb de tuer le mari de Susan. Il le fait sans état d’âme et prétendra ensuite devant le jury qu’il s’agissait d’un accident. Acquitté, il va démissionner de la police et faire en sorte que Susan retombe à nouveau dans ses bras. Dès lors plus rien ne s’oppose à ce qu’ils fassent des projets communs. Ils vont se marier, et grâce à l’argent de la police d’assurances que Susan va toucher, ils vont pouvoir acheter un petit motel qui marche très bien. Tout irait bien, mais Susan est enceinte, et Webb pense que cet état de fait étant ancien, on va les soupçonner d’avoir de conserve tuer le mari pour faire leur vie ensemble. Ils décident donc que Susan accouchera dans le désert, dans la ville fantôme de Callico. Mais les choses ne tournent pas comme espérées. Non seulement l’ancien coéquipier de Webb  cherche à le retrouver pour le saluer, mais également Susan a des problèmes : il lui faut un docteur. Cela sera fatal à leur couple.

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    Webb et Susan entame une liaison adultérine 

    Le scénario est assez subtil, d’autant que Webb est présenté non pas comme un flic véreux, mais plutôt comme un flic qui déteste son métier et qui veut s’en tirer par tous les moyens. Combinard et envieux, il veut s’approprier à la fois l’argent et la femme de l’animateur de radio. Il est menteur, manipulateur. Ce sont Dalton Trumbo (non crédité pour cause de chasse aux sorcières) et Hugo Butler (lui aussi poursuivi par l’HUAC) qui ont travaillé sur cette histoire sombre et sans concession. Joseph Losey dans ses entretiens avec Michel Ciment[1] met l’accent essentiellement sur l’aliénation de Webb, s’il est manipulateur, il est tout autant manipulé par les tentations fausses de la richesse et de l’argent. C’est ce qui domine. Mais il y a bien d’autres choses. D’abord le fait que Webb et Susan se rencontrent d’abord parce qu’ils sont seuls. Susan passe son temps à attendre son mari, et Webb n’a pas de famille. Ce simple fait engendre l’ambiguïté du comportement des deux protagonistes. Susan fait semblant de croire Webb, et si à un moment elle le dénonce comme un criminel, elle ravale rapidement ses intentions. Webb se donne à croire que l’accès à la richesse va lui permettre de résoudre ses problèmes existentiels.

      Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

    Webb manipule Susan pour qu’elle parte avec lui 

    S’aiment-ils réellement ? Il semble que ce soit impossible pour eux, essentiellement parce qu’ils ne peuvent avoir l’un envers l’autre une confiance durable. Susan le trahira justement pour cette raison. Tout se déroule comme si le piège du rêve américain, accéder à un certain niveau de richesse, fonder une famille, ne se révèle qu’une illusion dangereuse qui perdra nos deux héros. Il y a bien un moment où les deux amants semblent « vrais », c’est quand ils se retrouvent au milieu du désert dans une maison délabrée, ou plus rien ne compte que leur relation et l’enfant qui va naître. Mais très vite ce tendre nuage se dissipera pour les ramener à la réalité, c’est-à-dire à leur culpabilité. Après tout c’est bien la relation adultérine de Susan qui entraîne la mort de son mari. Il n’y a pas grand-chose de positif dans ces personnages. Non seulement ils sont sur la pente fatale, mais ils s’y complaisent. Il n’y aura donc pas lieu de les plaindre. On peut juger d’ailleurs qu’il ait étonnant qu’un film d’une telle noirceur ait eu un bon succès public.  

    Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

    Susan pense que Webb a tué son mari avec préméditation

    La première partie du film représente en quelque sorte l’ascension de Webb, hors de sa condition sociale première. La seconde est moins percutante dans la mesure où elle s’écarte de la description des caractères pour en arriver au dénouement de l’intrigue. L’histoire accumule alors les hasards, c’est d’une part Susan qui trouve le révolver de Webb, puis ensuite c’est le couple ami de Webb qui veut lui rendre visite, et enfin c’est le vieux médecin qui contre toute attente emporte le bébé qui vient de naître et prévient la police. Ça fait beaucoup. Et on voit réapparaître le thème des amants maudits broyés par la fatalité comme une punition immanente. 

     Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

    Susan et Webb ont décidé que l’enfant naîtrait dans le désert 

    La mise en scène de Losey est très aboutie, très sobre. Il utilise très bien de longs plans-séquence qui permettent de spatialiser l’histoire. Soutenu par la belle photo d’Arthur C. Miller qui achèvera sa carrière avec ce film[2], Losey trouve des angles intéressants pour capter le mouvement. Je pense à la manière dont Webb est filmé quand il escalade le terril de la vieille mine, ou encore la plongée au moment du mariage de Webb et Susan, comme s’il s’agissait là d’une plongée en enfer. On admirera aussi la précision du déplacement de la caméra lorsque Webbe parcours les pièces et les couloirs de la vaste maison de Susan, comme s’il en faisait le tour du propriétaire. On admirera aussi les scènes tournées dans la maison délabrée de la ville fantôme, avec cette enfilade de pièces éventrées qui laissent passer la lumière et le vent. C’est filmé comme des arcades, ou comme un labyrinthe. Toujours pour des questions de spatialité, Losey fait souvent démarrer son plan avec un décor dans lequel entre de dos le protagoniste qui avance alors vers son destin. Ça donne une dynamique très forte à l’ensemble.

      Le rodeur, The prowler, Joseph Losey, 1951

    La police pourchasse Webb 

    Ce n’est pas un film de série B ou un film fauché. C’est un budget moyen avec de très bons acteurs. D’abord Van Heflin bien sûr, trop oublié de nos jours, il a eu une filmographie impressionnante, il est le plus souvent très bon. Ici il est à son sommet : il passe avec facilité du personnage sournois et calculateur, à la brute criminelle ou encore à la peur qui lui fait tout lâcher d’un coup. Il est encore plus inquiétant quand il sourit tout seul dans sa chambre, parce que son plan qui consiste à attirer Susan dans ses filets marche très bien. Evelyn Keyes qui est en général abonnée aux rôles de filles dures et énergiques, est ici un peu à contre-emploi. Elle incarne la passivité de la fille solitaire qui ne veut pas voir ce qu’est vraiment Webb. Son interprétation est très subtile puisqu’elle montrera qu’elle aussi est capable de calcul et de duplicité. Notez qu’elle aussi était pour le moins une sympathisante communiste, en dehors d’être l’épouse de John Huston. Je pourrais m’arrêter là en ce qui concerne la distribution, tous les autres rôles sont très bons, mais seulement des minuscules faire-valoir. On notera enfin que Robert Aldrich est encore une fois l’assistant de Joseph Losey.

     

    C’est donc un film noir excellent, et aussi un très bon Losey.

     

     


    [1] Kazan, Losey, édition définitive, Stock, 2009.

    [2] Sans doute pour des causes de chasse aux rouges.

    « The killer that stalked New York, Earl McEvoy, 1950La cité sans voile, The naked city, Jules Dassin, 1948 »
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