• Le style de Bernardo Provenzano

     

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    Venu à la littérature sur le tard, le prolifique Andrea Camilleri s’est fait connaître du grand public pour les aventures du commissaire Montalbano. Ce qu’on a apprécié chez lui, c’est plus sa façon de jouer sur la langue et les différents dialectes de l’Italie et de la Sicile que les histoires proprement dites, quoi qu’elles soient marquées d’une forme d’humanisme ironique et d’une nostalgie vis-à-vis de la disparition d’une culture de gauche. Il n’a connu la célébrité que tardivement. A côté des aventures de Montalbano, il produit des romans à connotation historique, empruntant aux faits divers qui se sont passés dans les siècles antérieurs de quoi nourrir sa trame romanesque. Notez que si Camilleri est très apprécié en France ou en Allemagne, il est aussi très controversé en Sicile même où certains lui reproche justement de jouer avec des formes un peu folkloriques de la vie sicilienne. Ajoutons que Camilleri est originaire de la même région de Sicile, Agrigente, qui a vu la naissance de Pirandello, Sciascia et Lampedusa, gloires de la littérature italienne contemporaine.

     

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    Bien que sicilien, Andrea Camilleri a toujours été discret sur ce qu’il pensait de la Mafia. Il a fait en sorte que ses romans policiers qui se passent dans la région d’Agrigente ne traite pas de ce sujet. L’idée n’était pas de nier l’existence de la mafia comme pouvait le faire jusqu’à une date récente l’Eglise ou  la Démocratie Chrétienne, mais plutôt de montrer que les Siciliens sont des hommes comme les autres et donc qu’ils produisent le même type de criminalité. Les rares allusions de ses romans à la Mafia se situent plutôt dans le passé et renvoient à l’histoire ancienne.

    Dans la période récente, la capture de Toto Riina et celle de Bernardo Provenza parait avoir porté un coup très dur à la vieille mafia sicilienne. Vous ne savez pas interprète en quelque sorte les pizzini de Provenzano pour faire le point sur l’évolution de la Mafia dans ses techniques de domination. Bien que s’appuyant sur le travail des journalistes Salvo Palazzolo et Michele Prestipino, donc ne produisant pas de révélation nouvelle sur la Mafia, Camilleri va malgré tout produire un travail intéressant.

    Les pizzini sont les petits papiers que Provenzano, devenu chez de la Mafia, faisait passer à ses amis pour leur donner des ordres, des conseils. Il préférait cette forme de communication apparemment archaïque car elle était plus sûre et plus difficile à intercepter par les policiers qui le pourchassaient. Camilleri présente d’ailleurs astucieusement cette forme de communication comme finalement plus moderne, plus fiable, que tout ce qui peut passer par le téléphone, Internet ou autre.

    Mais les pizzini révèle le style de Provenzano, et le style c’est l’homme ! Jusqu’à la capture de Provenzano, au fond, on ne comprenait pas très bien pourquoi, celui qui paraissait n’avoir été qu’un second rôle s’était retrouvé à la tête de la Mafia. Jusqu’à sa prise de pouvoir, on ne l’avait considéré que comme l’ombre de Toto Riina, sans qu’on sache très bien quel rôle précis il jouait. Du reste cette vision floue de Provenzano dans l’organisation se retrouve très bien rendue dans la série télévisée Corleone. Il y est décrit comme un ami d’enfance de Riina, mais seulement comme approuvant toujours ce que celui-ci disait ou projetait de faire.

     

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    Les pizzini dévoilent un peu de la personnalité de Provenzano qui était en cavale depuis plus de quarante années. Dans leur forme ésotérique, leurs références pas toujours très claires à la Bible, ils recèlent une étrange poésie : il n’y a pas deux Provenzano !! Mais on perçoit aussi bien autre chose : au-delà de la volonté de modifier la tactique de la Mafia après le désastre de la campagne militaire lancée par Riina, il y a une forme de mélancolie qui tient au décalage entre les valeurs traditionnelles sur lesquelles la Mafia croit fonctionner, et la réalité du temps présent. Donnons un exemple. La Mafia a toujours considéré que l’adultère était une lourde faute et que la famille était sacrée. Bien sûr il y a toujours eu des passe-droit, mais ceux-ci dans leur ensemble restaient sous contrôle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il suffit de se promener dans les villes siciliennes pour voir à quel point le regard des filles est bien plus hardi. Tout le soubassement culturel de la Mafia est en train de disparaître. Ce qui va faire dans les années qui viennent qu’il ne restera plus que des bandes de délinquants plus ou moins bien équipés pour racketter le pays, mais ce ne sera plus cette organisation tellement efficace parce qu’elle était fondée sur une forme pyramidale du pouvoir. Provenzano sent bien ce basculement, mais il ne peut rien y faire.

    Un point assez étrange du livre est que Camilleri ne comprend pas pourquoi Provenzano, atteint d’un cancer de la prostate est parti se faire opérer à Marseille, s’obligeant à traverser toute l’Italie. La réponse est pourtant simple, c’est parce que la Mafia sicilienne a beaucoup d’intérêt dans cette ville et que ses réseaux y fonctionnent efficacement. Il est vrai que Provenzano a failli s’y faire piéger et que seule une négligence de l’administration lui a permis d’éviter la prison à ce moment-là.

    Bien sûr ce livre ne serait pas très intéressant si il n’y avait le style de Camilleri et son humour. Ecrit comme une sorte d’abécédaire, chaque entrée dévoile non seulement un aspect de la personnalité de Provenzano, mais encore les formes d’exercice du pouvoir au sein de la Mafia dans sa période crépusculaire.

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