• Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948

    Un des films noirs parmi les plus célèbres qui connut aussi bien un succès critique que public. Si ce film semble aller de soi, il est en réalité très mystérieux. Et cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que The third man est aussi un scénario de Graham Greene que celui-ci transforma ensuite en un roman. Mais or il se trouve que l’histoire est exactement la même que celle d’un roman de James Hadley Chase signé au départ Raymond Marshall : No business of mine. Certes ce n’est pas la première fois qu’un scénario de film s’inspire lourdement d’un roman d’un confrère. Sauf que Graham Greene est fortement soupçonné d’être l’auteur véritable des romans publiés sous le nom de James Hadley Chase et ses différents pseudonymes. Ce qui rend douteux l’affaire encore plus, c’est que le personnage disparut dans Le troisième homme est  féminisé dans N’y mettez pas votre nez. Notez que James Hadley Chase ne s’appelait pas Chase, ni Raymond Marshall, mais plus banalement René Lodge Brabazon Raymond ! Sur cette question on se rapportera à l’excellent ouvrage de Thierry Cazon et de Julien Dupré, L’étrange cas du docteur Green et de Mistyer Chase, Editions du Lau, 2014. Quoi qu'il en soit Greene était attiré par le genre "noir", c'est lui qui est l'auteur du scénario de This gun for hire. 

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948

    Mais le mystère ne s’arrête pas là. En effet, certains pensent que le film est au moins en partie, non pas de Carol Reed, mais d’Orson Welles. Ce que ce dernier a démenti[1], mais on sait que Welles avait une idée assez aléatoire de la vérité et que c’est bien pour ça qu’il a fait un film qui s’appelle F for Fake, traduit en français sous le tire de vérités et mensonges. Tout ce halo de mystère va bien d’ailleurs avec l’histoire qui met en œuvres des ombres – des morts qui ne sont pas morts mais qui ne valent pas mieux – et des personnages à l’identité indécise.

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948 

    Holly Martins arrive au cimetière au moment de l’enterrement 

    Le film a eu la Palme d’or à Cannes en 1951, et el succès public a été au rendez-vous. Depuis les années ont passé et ce film est toujours considéré comme un très grand film. On a souvent insisté sur la musique d’Anton Karas pour expliquer l’attachement qu’on a au Troisième homme. Mais en réalité outre que le film est très bien scénarisé et photographié, la réussite vient d’un étrange mélange des genres, ou plutôt au mélange des points de vue.

    Holly Martins se rend à Vienne pour y rencontrer son vieil ami Harry Lime. Mais sitôt arrivé, il apprend que celui-ci est mort. Il se précipite pour assister à l’enterrement. Là il va commencer à croiser des personnages louches, puis un policier anglais, Calloway qui le fait boire et l’interroge. Sans argent, il va pourtant rester à Vienne, occupée par les quatre puissances vainqueur, et découvrir que la mort de Lime n’est peut-être pas accidentelle, car un troisième homme a participé à l’évacuation du corps. Il va donc navigué dans une Vienne en ruine à la recherche de renseignements : les témoins se contredisent. Mais il va finir par apprendre que Lime était impliqué dans un trafic de fausse pénicilline. Anna Schmidt dont ce n’est d’ailleurs pas le vrai nom est l’ancienne maîtresse de Lime, recherchée par les Russes, charme Martins, mais elle s’en détournera rapidement dès lors que celui-ci trahit Lime.

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948 

    Holly Martins échappe aux hommes de Popescu 

    Comme on le voit les caractères ne sont pas entiers, et les motivations profondes de Martins font question : est-il vraiment amoureux d’Anna, n’est-il pas jaloux des facilités réelles de Lime ? Il y a donc des trahisons dans tous les sens. Si Lime semble se désintéresser du sort d’Anna, il n’en écrit pas moins son nom accolé à un cœur transpercé d’une flèche sur la vitre de la cabine de la grande roue. Le film a été tourné en grande partie en décors naturels, c’est-à-dire dans une Vienne à moitié en ruines consécutivement à la fin de la Seconde guerre mondiale. Et c’est sans doute dans ce décor de fin du monde que se trouve la clé des comportements des individus dont le sens moral s’est effondré en même temps que les murs de la cité. De ce point de vue on peut dire que c’est un film matérialiste : Martins, écrivain médiocre et fauché qui signe des westerns sous pseudonyme, est prêt à beaucoup contre des avantages matériels. Si bien que si Lime a un comportement condamnable, il ne semble plus guère amoral que Martins ou même que le major Calloway qui use  d’un chantage assez odieux pour encourager Martins à trahir son ami.

    Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948 

    Au ba de la grande roue, Martins a rendez-vous avec Harry Lime 

    Le film est rondement mené, avec une utilisation magistrale des décors naturels, y compris les égouts de la ville. La photo de Robert Krasker est magnifique et a été d’ailleurs couronnée d’un Oscar en 1951. Les jeux d’ombres et de lumière désorientent aussi bien Martins que le spectateur et donne à la ville une personnalité maléfique. La majorité du film se déroule la nuit dans des rues et des cabarets presque vides, comme si les populations se terraient de crainte de réveiller des vieux démons.

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948 

    Martins pense voir Anna partir par le train 

    Si on associe souvent ce film au nom d’Orson Welles, c’est pourtant Joseph Cotten qui le porte sur ces épaules. Evitant tout monolithisme, il trouve sans doute là son meilleur rôle. Mais l’ensemble de la       direction est très bon. Orson Welles a assez peu de scènes, il n’apparait qu’au bout d’une heure de film, mais il apporte une grande intensité à son rôle d’aventurier revenu de tout et prêt à tout. Alida Valli est parfaite dans le rôle de la cosmopolite Anna. On donnera une mention spéciale à Trevor Howard qui est le major Calloway, et aussi à Bernard Lee – le futur M des premiers James Bond – qui joue Paine qui décédera tragiquement. Les autres figures qui peuplent le film semblent toutes sorties d’un film d’Orson Welles et il semble bien que The third man ait à son tour influencé Orson Welles dans le développement de son projet Mr Arkadin. Le baron Kurtz, le sinistre et menaçant Popescu, le concierge de l’immeuble où vivait Harry Lime, sont des sortes de gargouilles grimaçantes.

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948  

    Dans les égouts de Vienne la fuite d’Harry Lime est sans espoir 

    Les morceaux de bravoure cinématographiques sont nombreux, à commencer bien sûr par les poursuites dans la ville vide et détruite et pour continuer par celles des égouts où  Lime est fait comme un rat, avec une profondeur de l’espace parfaitement bien saisie. De l’influence des premiers films noirs, Carol Reed retiendra aussi cette manière particulière de filmer les escaliers en spirale qui accroit le trouble des protagonistes. Mais d’autres scènes moins spectaculaires retiennent l’attention : par exemple la dénonciation de Martins comme assassin par un gosse manifestement mauvais qui a le désir de nuire chevillé au corps. Certains ont reproché la multiplication des plans obliques, des angles étranges, d’autres au contraire ont voulu y voir justement là la main de Welles. Mais c’est un faux procès, à cette époque on s’essayait aussi a créé par tous les moyens une grammaire cinématographique nouvelle.

     Le troisième homme, The third man, Carol Reed, 1948 

    Martins attendra Anna en vain à la sortie du cimetière 

    Au total si ce n’est pas un des meilleurs films noirs qui n’ait jamais été tourné, les caractères manquent un peu de finesse et de chaleur, c’est un excellent film qui se voit et se revoit avec un grand plaisir. 


    [1] Voir Peter Bogdanovich, Moi, Orson Welles, Belfond, 1994.

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