• Le Trou, Jacques Becker, 1960

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    Le trou est à mon avis le meilleur film de Jacques Becker, dire cela n'est pas très original d'ailleurs. Et bien sûr on ne peut dissocier cette réussite de l’écriture du roman de José Giovanni. Les thèmes de l'amitié virile, du sens de l'honneur et de la tahison sont présents. D’ailleurs le film est très fidèle au livre. L’histoire n’est pas tout à fait une fiction, puisqu'il s’inspire d’une tentative d’évasion vécue par José Giovanni lui-même et qui échouera parce qu’un des compagnons de cellule trahira et se désolidarisera du projet commun. Le trou désigne à la fois la prison où on se sent enterré et le trou qu’on creuse dans le mur pour s’en extraire.

    C’est le premier livre qu’il publie, encouragé notamment par Albert Camus, et c’est d’emblée un succès. Nous sommes en 1957, période très créative pour Giovanni, qui grâce à ce succès va rentrer à la Série noire et enchaîner Le deuxième souffle, Classe tous risques, L’excommunié. Le film mettra trois ans pour se faire et permettra à José Giovanni d’apprendre son futur métier de scénariste puisqu’il travaillera à la construction du scénario du Trou directement avec Jacques Becker.

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    Jacques Becker a choisi le parti pris de la sobriété, sobriété qui était déjà le support du roman et qui renforce le côté vécu de cette évasion. Et à mon sens c’est bien ça qui fait qu’au fil des années le film est toujours surprenant. Ce qui compte ce ne sont pas les raisons qui ont amené ces cinq hommes dans une même cellule, mais ce qui les rapproche, car ils ont tous en commun soif de liberté. Cette même volonté les soude et les construit dans un élan fraternel de solidarité. Et d’ailleurs Claude, le traître, est lui-même séduit par cette réalité et manifeste la volonté de s’y fondre. Bien que ce soit manifestement Roland le leader de l’équipe, tous apportent une contribution créative au plan d’évasion. Il y a donc un partage du but comme de l’effort. Le portrait de celui qui les trahit est tout à fait significatif : c’est un jeune bourgeois qui sera manipulé par sa fiancée et qui pour cela cédera et vendra ses copains. Cette opposition n’est évidemment pas gratuite, et ce n’est pas un hasard si au début du film on voit Roland encore les mains dans le cambouis. Il représente le peuple, le travailleur manuel par opposition à l’étudiant, l’intellectuel, le bourgeois.

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    Roland est le leader du groupe

     Les décors sont peu nombreux, mais on retient évidemment les parcours dans les sous-sols de la prison, justement ce trou, ce tunnel qui tourne à n’en plus finir et qui est souvent filmé par Becker dans de longs plans-séquences qui se déplacent à la recherche de la lumière, de la sortie. L’effet de profondeur de champ est tout à fait remarquable. Bien entendu les scènes où on assiste à la confrontation des prisonniers et des matons, restent dénuées de tout manichéisme et n’insistent pas sur l’aspect sadique du travail des gardiens de prison, ce qui serait donné dans la facilité.

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    Les prisonniers fabriquent un sablier

     L’autre aspect de la réussite de ce film est le casting très réussi. Jacques Becker ne voulait pas d’acteurs professionnels pour conserver un côté plus réaliste : ceux qui veulent s’évader sont des hommes ordinaires. Au premier rang de ce casting, il y a Jean Keraudy, il présente le film et se signale à notre attention en disant que c’est de sa propre histoire qu’il s’agit. Et d’ailleurs Jean Keraudy était en prison pour avoir voler des cartes d’alimentation pendant la guerre. Son vrai nom était Roland Barbat. José Giovanni restera en relation très longtemps avec lui. Et on peut penser que sa forte personnalité a eu une influence majeure sur Giovanni, celui-ci reprendra très souvent le prénom de Roland pour désigner un homme sûr de lui, solide et déterminé. Et il faut dire qu’à l’écran il a une présence tout à fait étonnante.

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    Pour masquer le trou, ils vont fabriquer des emballages

     Ce film lancera également la carrière d’acteur de deux sportifs, Michel Constantin, qui à l’époque fait partie de l’équipe de France de Volley-ball et qui accompagnera José Giovanni dans sa longue carrière de scénariste et de réalisateur, on le retrouvera dans le premier film de José Giovanni, La loi du survivant et les suivants, Dernier domicile connu, La scoumoune, mais aussi dans les films de Melville (Le deuxième souffle) ou de Jean Becker (Un nommé LaRocca) et de Robert Enrico, Les grandes gueules.

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    Monseigneur

     Philippe Leroy-Beaulieu incarne Manu Borelli, c'est-à-dire le double romanesque de José Giovanni. Il fera ultérieurement une très longue carrière dans le cinéma italien, jouant finalement assez peu en France. Dans Le trou, il est évidemment excellent et cette excellence à mon avis doit tout autant à son charisme qu’à la précision de la direction d’acteurs de Jacques Becker. Marc Michel était à l’époque le seul acteur de profession, mais il n’était pas connu. Il est Claude, le traître, représentant le manque de volonté, la faiblesse, l’avantage immédiat et de courte durée, préférant une courte remise de peine au déshonneur. Roland lui dira qu’il est un pauvre type lorsqu’ils se feront arrêtés.

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    Jo et Roland dans le tunnel

     Le faible nombre de décors et de personnages me fait dire qu’on pourrait tout à fait tirer une pièce de théâtre de ce film, sans pour autant jouer sur les dialogues. Car le film est très silencieux, ce silence étant accompagné, souligné, de l’absence de musique. Les gestes sont répétitifs, qu’il s’agisse de creuser le trou, ou qu’il s’agisse d’entasser des boîtes de carton qui justifieront le désordre de la cellule. Car une tentative d’évasion ça prend du temps, et on peut se demander si cette perception d’un temps finalement assez lent n’est plus de mise aujourd’hui puisqu’on s’évade plutôt en faisant exploser les murs et les portes des prisons, ou encore en hélicoptère. On pourrait dire que dans les évasions, le côté artisanal s’est perdu en même temps qu’on reste dominé par la technique.

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    Il faut aller jusqu'aux égouts

    Le destin de ce film est assez paradoxal. Jacques Becker mourut en février 1960, avant que le film soit achevé formellement. Le trou fut présenté à Cannes et reçut un accueil critique tout à fait excellent, mais le public ne fut pas au rendez-vous, cette bouderie conduira d’ailleurs les producteurs du film à l’amputer d’une vingtaine de minutes. Le trou ne prouvera son excellence que dans la durée de son exploitation. Une des raisons probables à cet échec relatif c’est la côté volontairement  très austère de la réalisation. Il n’y a pas de coups d’éclat, pas de surhommes, mais au contraire un côté besogneux et artisanal. Jean-Pierre Melville le saluera comme le plus grand film français de tous les temps.

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    C’est le fragile Claude qui trahira

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    Dans les égouts la liberté est proche

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    Manu et Claude arrivent dans la rue, mais ils doivent revenir pour ne pas gêner la fuite de leurs camarades

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    L’évasion a été éventée

    « JOSE GIOVANNI RATTRAPE PAR SON PASSE ?Lettre d’adieu de Florence Bloch-Sérazin aux époux Touchet, Prison de Hambourg-Wallanlagen, 12 février 1943 »
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