• thomas Kelly 5 

    Second ouvrage de Thomas Kelly, Rackets, comme son titre l'indique porte sur l'activité du crime organisé. L'histoire est celle de Jimmy Dolan, double assez transparent de Thomas Kelly. Il a fait des études brillantes qui lui ont permis de s'extraire de la pauvreté de son quartier, de s'élever comme on dit sur le plan social. Il travaille pour le maire républicain de New York qu'il accompagne pour sa campagne électorale en vue de sa réélection. Au cours d'une réception Jimmy Dolan se heurte au leader du syndicat des camionneurs, Frankie Keefe, qui en fait travaille pour la mafia et pille le syndicat. Au départ c'est une simple bousculade, mais cet événement va déclencher des réactions en chaîne tout à fait dramatique. En effet, la bousculade a été photographiée, publiée dans les journaux, et Keefe prend cela comme une humiliation personnelle. Il va vouloir se venger, d'autant qu'on se trouve en pleine élection à la tête du syndicat et que cette place rapporte gros à la mafia. Jimmy Dolan va perdre à la fois son boulot et sa fiancée qui le met simplement et purement à la porte. Tous ces événements vont éveiller la conscience de classe bien endormie de Jimmy Dolan, et ce d'autant plus que son père se présente aux élections contre Frankie Keefe. Bien obligé de gagner sa vie, Jimmy Dolan retrouve la vie rude des ouvriers du bâtiment, et aussi l'esprit de camaraderie et d'altruisme qui l'accompagne. Il va finir lui même par se présenter aux élections, affrontant mille dangers dont les policiers magouilleurs du FBI ne sont pas les moindres. Il va également retrouver son ancienne fiancée, Tara, dont il s'était éloigné parce qu'il avait fait des études et s'était séparé de sa classe.

    Le livre comporte son lot d'actions et de description du pouvoir corrompu de la mafia et satisfait ainsi l'amateur de romans policiers. Les magouilles sordides des agents du FBI qui visent à détruire les syndicats en les noyautant, donnera aussi des arguments tout à fait convaincants aux amateurs de complot. Et ce n'est pas la moindre des qualités de ce livre de montrer comment le pouvoir républicain - que Kelly vomit - en plaçant le clown Reagan (Kelly le traite de singe, ce qui n'est pas mieux) à la tête de l'Etat a entrepris une lutte des classes à l'envers avec la volonté évidente de rabaisser et de corrompre les syndicats.

    C'est donc un livre "noir" éminemment politique, et sa grande force est que Thomas Kelly a vécu parmi les ouvriers du bâtiment. Il sait de quoi il parle, il connaît le rude labeur de ces hommes, leurs défauts - ils sont soiffards, brutaux et assez inconscients - et les qualités - ils manifestent une solidarité et une générosité qui n'existe pas dans la classe moyenne formée à l'Université. D'ailleurs Kelly méprise les étudiants dont la seule ambition est de faire du fric sans travailler.

    L'histoire, bien que très crédible, est un peu embrouillée. Elle débouchera d'ailleurs sur une fin qui n'en est pas une puisqu'on ne sait pas si Dolan pourra continuer à s'opposer au pouvoir conjugué de la mafia, du FBI et du patronat, ou si au contraire il se soumettra à ce pouvoir parce que c'est son intérêt.

    Evidemment c'est un livre qui identifie directement le capitalisme à une forme de racket, donc à la criminalité. Kelly a la fibre prolétarienne, et quand on le lit on comprend que la dégénérescence de la lutte pour la transformation sociale a commencé avec l'expansion de la classe moyenne, classe qui ne comprend pas l'intérêt d'un travail physique, qui se laisse facilement corrompre, qui n'a pas les moyens de s'opposer intellectuellement et physiquement aux entreprises malfaisantes de la bourgeoisie.

    Nostalgique d'une lutte des classes qui paraît ne plus exister, Kelly a une grande capacité à décrire le monde ouvriers, aussi bien dans les relations sociales qui s'y noue, que dans le déroulement du travail proprement dit. Pour lui il est évident que l'abandon du travail ouvrier est une trahison, mais aussi que cela va de pair avec une dévirilisation de la société. Et à ce titre, pour lui qui y est passé, l'Université est une entreprise de dressage qui apprend la soumission.

    Les dialogues sont excellents et sont en prise directe sur le langage du milieu que Kelly décrit. On aimera aussi le portrait un rien hystérique des mafieux ou de l'agent Roth qui se perd dans ses combinaisons. Une particularité de Kelly est également de se revendiquer irlandais, comme un signe de refus, et de décrire les rouages complexes de l'éclatement des Etats-Unis dans ses différentes communautés. Les Irlandais sont opposés aux Italiens qui eux-mêmes s'étonnent de la sauvagerie nouvelle des Russes qui viennent empiéter sur leur territoire.

    C'est donc un grand livre, même si on peut regretter parfois que le rythme de l'écriture soit un peu lent. Thomas Kelly est certainement l'auteur le plus intéressant de ces dernières années dans le livre noir, bien au-dessus des fantaisies clownesques de James Ellroy auquel on l'a hâtivement comparé.

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    A ma grande honte je n'avais jamais lu Thomas Kelly, et j'avais bien tort. Je ne sais pas si Thomas Kelly a eu un grand succès en France, trois de ses ouvrages ont été traduits chez Rivages, mais en tous les cas, c'est un auteur qui vaut le détour et qui renouvelle le genre "noir" sans en avoir l'air, et sans faire du tapage ni au niveau du style, ni au niveau de l'histoire.

    Deux frères, l'un, Paddy, ancien boxeur raté, est devenu homme de main d'un chef de gang irlandais, l'autre, Billy, qui est manifestement un double de l'auteur, travailler l'été pour financer ses études et sortir de sa condition. Billy travaille à creuser des tunnels dans lesquels passeront des conduites d'eau pour alimenter la ville de New York. Il travaille dans la nuit presque totale à cent mètres en dessous de la surface. C'est donc un travail dangereux. Pourtant Billy ne se plaint pas, et il est plutôt heureux de retrouver dans ce travail des ouvriers avec qui il a quelque chose à partager. Car il a la fibre syndicaliste et son père est décédé justement dans ce type de travail. tout irait à peu près bien si nous n'étions pas dans les années du reaganisme triomphant. Kelly n'a d'ailleurs pas de mot assez durs pour fustiger Ronald Reagan qu'il compare souvent à un singe, ou qu'il ramène à un acteur de seconde catégorie. Dans cette période, on entame une sorte de lutte des classes : la patronat, les organisations internationales (FMI, Banque mondiale, Commission européenne) vont tout faire pour arracher les concessions qu'ils ont dû faire après le New Deal et après la Seconde Guerre mondiale. Et bien sûr ils vont gagner cette guerre. Pour cela tous les coups sont permis : mus par une cupidité plus que déraisonnable et par le désir de punir ces salariés qui leur ont fait si peur à la fin des années soixante et au début des années soixante et dix, ils ne vont pas hésiter à employer les gros bras de la mafia, cassant es jambes, tuant des délégués syndicaux, faisant régner la terreur au sein même de la ville de New York.

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    Harkness est le patron de Billy. Bien sûr il est de cette nouvelle génération de patrons qui ne connaissent strictement rien au travail, ni à la sécurité, mais qui ne songent qu'à accroître leurs profits d'une manière maniaque et compulsive. Il va s'acoquiner avec un gang irlandais dirigé par Jack Tierney pour lequel travaille Paddy. Ce Tierney est un fou furieux, un dangereux psychopathe, qui possède aussi un frère nommé Butcher Boy, dont le surnom en dit suffisamment long.

    En réalité la bataille féroce va avoir lieu non seulement entre les ouvriers des sous-sols et Harkness, mais aussi avec la police qui traque d'une manière assez désordonnée le crime organisé et qui rêve de mettre à l'ombre Jack Tierney. Briseurs de grèves, jaunes, traîtres en tout genre, policiers nonchalants ou accrocheurs, arrivistes ou honnêtes, Le ventre de New York est un roman choral de grande ampleur dont le souffle rappelle les grandes luttes sociales des Etats-Unis dans l'entre-deux-guerres, du temps que des syndicats comme les IWW (auxquels Kelly fait allusion d'ailleurs), étaient forts et posaient des problèmes au patronat qui déjà à cette époque employait des méthodes quasi-criminelles en envoyant les Pinkerton assassiner des leaders syndicaux ou tabasser des grévistes. Ce livre est traduit par Danièle et Pierre Bondil, ce dernier a participé à la retraduction des romans de Dashiell Hammett, et ce ne semble pas être un hasard, car Kelly comme Hammett a une conscience sociale forte.

    Tout cela ne suffirait pas à faire ce roman un grand roman. Mais il y a en outre une écriture forte, une grande capacité à décrire le travail ouvrier - c'est presqu'un roman "prolétarien" en ce sens qu'il pense du point de vue de l'ouvrier. Kelly travaille aussi à nous faire comprendre les relations sociales particulières qui se nouent dans ce type de milieu. Et bien sûr pour comprendre cela il faut avoir un vécu de cette sorte.

    Le ventre de New York, titre assez bêta d'ailleurs, est le premier roman de Thomas Kelly. C'est une grande réussite, même si on peut trouver que la fin a été un peu bâclée par rapport au reste de l'histoire. Ce n'est pas l'intrigue qui est le plus passionnant, mais plutôt cette capacité à faire le portrait de caractères forts. La mafia et les gangs sont décrits avec des mots plutôt durs, comme des organisations sans cœur et sa vertu, corrompues  de l'intérieur, avec une incapacité à générer de la confiance autour d'eux. Cette confiance qu'on trouve justement dans le milieu ouvrier.

    Billy hésite à entrer à l'Université, il a peur de trahir son milieu d'origine et de rejoindre ce qu'il pense être un bastion républicain - l'Université de Columbia. Paddy hésite aussi, il voudrait bien quitter le gang, refaire une vie honnête avec Rosa. Ceux qui n'hésitent pas ce sont au contraire Jack Tierney, Butcher Boy, ou encore l'abominable Harkness.

    C'est un roman très sombre et pas seulement parce qu'il se passe pour partie dans un tunnel, mais plutôt parce que les deux faces du capitalismes, les hommes d'affaires, Wall Street si on veut et le crime organisé sont une alliance redoutable qui entraîne toute la société dans sa décomposition et la corrompt totalement. On pourrait dire que mieux que cinquante traités d'économie politique, Le ventre de New York montre à quel point la pensée libérale est erronée dans ses fondements et dans sa destinée.

    Un scénario a été tiré de ce livre par David Mamet, mais il ne semble pas avoir été tourné alors que Ted Demme devait le mettre en scène. C'est bien dommage parce qu'il me semble qu'on aurait pu avoir un très bon film à partir de cet ouvrage.

     

    Pour ceux qui veulent aller un peu plus loin, on trouvera ci-dessous un lien qui mène vers une longue interview de Thomas Kelly.

    http://thenewwildgeese.com/profiles/blogs/in-his-own-words-writer-thomas-kelly

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    Alex Joffé n’est pas un habitué des films noirs, l’essentiel de sa carrière est bâtie sur la mise en valeur du personnage de Bourvil. Du rififi chez les femmes a été réalisé à la fin des années cinquante, à un moment où les ouvrages d’Auguste Le Breton étaient très souvent portés à l’écran et avaient généré des films à succès, Razzia sur la chnouf, Le rouge est mis ou encore Rafles sur la ville. « Rififi » était une marque déposée par Le Breton qui affirmait avoir inventé cette locution et qui en défendait l'usage.

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     Vicky aime compter son argent

     L’œuvre de Le Breton est très inégale. Mais il y a dans cette activité littéraire prolifique quelque très bons titres, notamment ses récits autobiographiques, ou ses ouvrages sur l'histoire de la truanderie, Les Pégriots, Deux sous l'amour ou Les Hauts-murs et La loi des rues. Du rififi chez les femmes fait partie de ses bons ouvrages de fiction. Le titre est bien sûr le pendant du Rififi chez les hommes qui avait été un gros succès de librairie, mais aussi un bon succès au cinéma dans une réalisation de Jules Dassin. Le film avait pratiquement disparu jusqu’à cette réédition récente en DVD.

    L’histoire s’articule autour de deux personnages, Vicky de Berlin, femme énergique au passé sulfureux qui dirige un cabaret et Marcel points bleus, voyou français égaré à Bruxelles. Lorsque Vicky est victime d’un racket, Marcel vient à son secours, ce qui va entraîner tout le monde dans une guerre des gangs assez traditionnelle. L’affaire se complique quand cette furieuse bataille se mêle à un hold-up extraordinaire que Marcel met au point avec le Marquis et sa bande. Si cela s’appelle Du rififi chez les femmes, c’est que celles-ci prennent une partie plus qu’active dans cette guerre et montrent des qualités inattendues en la matière. Cela se terminera tragiquement pour l’ensemble des protagonistes. Si le personnage de Marcel est assez traditionnel, celui de Vicky est plus original, puisque cette femme forte qui a traversé des épreuves terribles est à la tête d'une véritable organisation. Son pendant est Yoko, la maîtresse de Bug, femme cruelle et passionnée.

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    Marcel est apprécié de Berthe qui règne sur une sorte de cour des Miracles

    Le scénario a été écrit par Le Breton, mais aussi par José Giovanni, l'auteur qui montait à cette époque, et qui collaborera encore un peu plus tard sur Le clan des Siciliens avec Le Breton personnage entier et ombrageux, très difficile à pratiquer.

    Le film bénéficie d’une distribution très importante. Avec en tête Robert Hossein et Nadja Tiller, mais dans des rôles plus secondaires des figures comme Françoise Rosay, l’étrange Silvia Montfort, Pierre Blanchar ou encore Daniel Emilfork. La photo est bonne, bien que le transfert sur DVD soit assez médiocre, et les décors sont assez intéressants. Il y a d’ailleurs dans le cambriolage de la banque des idées assez nouvelles puisque plutôt que de voler directement la banque on se contente de remplacer les vrais billets par des faux ! Ce qui demande un travail très spécialisé et plutôt difficile.

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    Bug va piéger Marcel

    Malgré tout cela ce n’est pas un bon film essentiellement parce que la mise en scène est molle et plate, le cadre fait sans génie. Pire encore, le rythme est languissant pour une histoire qui pourtant connait des rebondissements constants et nombreux. Il ne ressort pas non plus le côté très sensuel du livre.

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    Cet ultime ouvrage de Joe Gores, décédé en 2011, raconte l’histoire de Sam Spade, le héros du Faucon maltais, avant 1929. Ce sont les aventures du célèbre détective entre 1921 et 1928. C’est encore d’une sorte de chasse au trésor dont il s’agit : un chef debande cambriole un navire avec de multiples complicités et détourne des stocks d’or australien. Spade arrive à limiter les dégâts, mais le criminel lui échappe. Quelques années plus tard, il va retrouver fortuitement celui-ci dans le cours d’une autre affaire liée au trésor de Sun Yant-sen qui aurait été enfoui quelque part près de San Francisco.

    Si l’intrigue n’a pas beaucoup d’intérêt, par contre la façon de mener la narration est intéressante. Gores qui avait déjà écrit Hammett, un récit mettant en scène Dashiell Hammett, a repris ici, avec l’autorisation des ayant-droits le personnage de Spade. Bon connaisseur de l’œuvre d’Hammett, il en reprend les tics et les formes même d’écriture. On dirait du Hammett, dans la tournure de la phrase, comme dans la conduite du récit.  Bien sûr ce n’en est pas. D’abord parce que l’écriture est moins spontanée que chez Hammett, et ensuite parce qu’Hammett ne se préoccupait pas autant que Gores de l’aspect « reconstitution » d’une époque disparue.

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    Mais ce n’est pas une critique que de marquer les différences entre Hammett et Gores. En vérité, Spade & Archer est un bon bouquin à plus d’un titre. D’abord parce que Gores a fait un travail de reconstitution de la fin des années vingt tout à fait remarquable et qu’il arrive à rendre l’ambiance particulière de San Francisco d’antan. Les scènes sur les quais sont parmi les meilleures de l’ouvrage, avec la description minutieuse de la complexité de la situation des dockers. De même la visite du quartier chinois est tout à fait saisissante.

    Gores a également bien saisi le caractère de Spade, à la fois cruel et fourbe, mais doté d’une certaine forme de morale et d’humour. Cela est traduit par des réflexions ou des colères soudaines. Certes on peut regretter une fin un rien lénifiante.

    L’ultime scène est un raccord avec l’ouvrage d’Hammett, Le faucon maltais, puisqu’Effie introduit Wonderly auprès de Spade.

     

    En lisant l’ouvrage de Gores, plus encore qu’en lisant Hammett lui-même, on comprend mieux où Léo Malet piocha pour créer son personnage de Nestor Burma. 

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    Le livre d’Edward Anderson est en quelque sorte devenu un classique de la littérature noire. Paru en 1937, il a toujours été réédité, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Certes sa notoriété n’est pas aussi grande qu’elle le devrait, mais il a trouvé son chemin et son public au fil des années, et sa lecture reste toujours très prenante. Il s’agit d’un trio de voleurs, Bowie, Chicamaw et T.Dub. Evadés de prison où ils purgent de longues peines pour meurtre et braquages, ils fuient et sur la route ils vont commettre de nouveaux cambriolages de banques. Dans cette course éperdue, Bowie va tomber amoureux d’une fille simple Keechie, elle aussi peu gâtée par la vie, qui sa le suivre jusqu’au bout de sa course tragique. Il va y avoir de nombreux rebondissements, des retours en prison, de nouvelles évasions, le tout conjugué à une violence féroce Féroce, mais pas gratuite. En effet, le titre renvoie au fait que des personnes respectables, celles qui mettent les autres en prison finalement ne valent pas mieux que les braqueurs de banque, sauf que leur malice, leur instruction, leurs relations sociales leur permettent de garder le nez propre et de ne pas aller en prison. L’avocat marron, sans illusion, fait du reste un cours à Bowie sur ce thème, s’incluant lui aussi parmi ces gens qui ne risquent rien mais qui finalement ont une moralité douteuse. On y trouve un passage sur un banquier qui justement a ruiné toute une petite ville, mais qui au final s’est retrouvé encore plus riche et n’a pas été condamné. Cette allusion nous fait penser à notre situation présente où, il faut bien le dire, les banquiers ont une réputation particulièrement vérolée. Il faut dire que nous sommes dans les années trente, et la crise est loin d’être terminée, le peuple américain se souvient encore du scandale des banquiers qui ont, comme aujourd’hui, ruiné le pays, sans trop de dégâts pour eux. Comme on le voit l’ouvrage recèle un message politique fort : c’est une critique du capitalisme sauvage, sans concession. Mais ce n’est pas pour autant un livre politique parce que les personnages ont une existence propre. Bowie, Keechie, même Chicamaw qui semble avoir des origines indiennes, sont des martyrisés de la vie. Mais curieusement, même dans leur révolte, ils cherchent à conserver une morale personnelle. Bowie aime Keechie, il ne lui veut que du bien, et en même temps il pense toujours à aider ses amis dans le besoin. Ayant réussi un gros coup, il n’hésite pas à distribuer une partie de son butin avec une grande générosité.

    Bien sûr les intentions et l’histoire ne seraient rien sans le style remarquable du roman. C’est sec comme un coup de trique, on ne perd pas de temps en vaines digressions psychologique, mais en même temps, en peu de mots, Anderson laisse passer de grands moments de tendresse et d’abandon. Egalement la rencontre entre Bowie et Hawkins l’avocat marron, communiste, mais désabusé, est tout à fait glaçante et édifiante :

    « - Les riches, dit Hawkins, ne peuvent pas se balader dans des grosses bagnoles, exhiber des épouses endiamantées, et s’attendre à ce que l’homme ordinaire se contente de les regarder admirativement. C’est ce que font les moutons, oui, et ils vont jusqu’à chanter les louanges des riches, mais ces mêmes moutons ressentent quelque chose qu’ils ne comprennent pas et qu’ils expriment par ce qu’on appelle dans la presse la glorification des grands criminels. »

     anderson-2.png

    Les éditions de 1985 et de 1995 en France

    L’ouvrage a connu en français trois éditions, mais le titre choisi par La manufacture de livres me semble le plus juste. La couverture, si elle ne ressemble pas aux personnages, est pourtant tout à fait le reflet de cette période de misère que traversèrent alors les Etats-Unis. Les personnages sont ancrés dans un décor rural, encore sauvage.

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