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    Commençons par saluer cet ouvrage, car en effet, les ouvrages sur les auteurs importants de la littérature noire sont bien trop rares. Or ce sont aussi eux qui donnent à celle-ci sa place et sa légitimité et qui permettent d’en mesurer toute l’importance. L’ouvrage de Pierre Gauyat est, à ma connaissance, le seul qui ait été consacré à Jean Mecket dit Jean Amila. Jusqu’à présent il n’y avait eu que des numéros spéciaux dans les revues spécialisées pour lui rendre hommage. C’est un travail universitaire qui ressemble un peu à démarche de Cédric Perolini à propos de Léo Malet. Il complète utilement tout le travail qu'ont fait les éditions Joseph K. et la revue Temps noir.

     

     

    Pour moi ce qui en fait l’intérêt premier c’est que Gauyat relie directement Jean Meckert à Jean Amila, et ce faisant, il fait du roman policier, du moins pour sa meilleure part, la continuation directe de la littérature prolétarienne. Or la littérature prolétarienne, selon les canons définit par Henri Poulaille, avait ceci d’original qu’elle était produite par des personnes issues de la classe ouvrière et souvent autodidactes. Il va donc mettre sur un même plan l’œuvre d’Amila et celle de Meckert, la seconde étant plus connue que la première tout de  même. L’ouvrage tombe à pic puisqu’en ce moment on s’active beaucoup pour essayer de faire sortir de l’ombre cet écrivain.  Le rapprochement avec la littérature prolétarienne est d’autant plus judicieux que c’est celle-ci qui explique d’abord, bien avant la littérature policière l’usage de l’argot et des formes parlées dans la littérature. Rappelons que L. F. Céline dans sa première manière, celle qui lui valut le Renaudot, s’est largement inspiré de celle-ci, notamment de sa proximité avec Eugène Dabit. Meckert d’abord, puis Amila ensuite, est l’héritier de ce courant qui va de Charles-Louis Philippe à Louis Guilloux en passant par l’incontournable Poulaille. Comme on le sait Meckert est issu d’un milieu prolétarien et il n’entend pas le renier. Il le rapproche justement d’autres auteurs qui ont fait dans la littérature noire, Léo Malet bien sûr et André Héléna.

    Ensuite Gauyat analyse la production de Meckert/Amila du point de vue des thématiques, notamment celle assez dominante de la guerre, que celle-ci soit celle de 14, ou de 39-45. Il en dévoile ainsi les racines dans ce qu’on peut connaître de sa vie, Meckert étant souvent en contradiction entre ses tendances anarchistes avérées et ses tentations communistes qui reviennent périodiquement.

    Cette façon de faire de la littérature, policière ou non, est à l’évidence à la précursion de ce qu’on nommera le néo-polar, Manchette, Daenninx, ADG, etc. Sauf évidemment que Meckert, même quand il écrit des petits polars, possède une langue que les autres n’ont pas. Je pense à Motus, une histoire banale et bâclée, mais elle possède un charme évident avec dans la première partie toute la description de l’univers des mariniers. D’ailleurs souvent les histoires de Meckert/Amila se passent au bord de l’eau. Et Gauyat rappelle les éléments biographiques qui expliquent l’usage de ce type de décor.

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    Gauyat analyse très longuement les variations nuancées des positions de Meckert vis-à-vis de la guerre et de la Résistance et en s’appuyant notamment sur le grand ouvrage d’Alain Guérin, il démonte un certain nombre d’idées reçues qui malheureusement font encore recette, que ce soit la passivité de l’armée française ou le peu d’engagement des Français dans la Résistance. Rien que cette référence montre de quel côté Gauyat se situe et explique bien pourquoi il s’est intéressé à Meckert/Amila.

    L’ouvrage de Gauyat est très intéressant donc, mais on ne peut s’empêcher de faire quelques remarques. Si Gauyat montre l’originalité stylistique de Meckert/Amila, il ne s’attarde pas sur le fait que pourtant les ouvrages signés Amila, à l’exception notable du Boucher des Hurlus, malgré leur intérêt sont écrits souvent un peu à la va-vite, comme si au moins dans les premiers temps de l’usage du pseudonyme d’Amila Meckert ne l’avait pas pris au sérieux. Les coups c’est tout de même autre chose que La bonne tisane.

    La seconde remarque vise le fait que Meckert n’a pas publié que sous le pseudonyme d’Amila, il a aussi usé d’un grand nombre d’autres noms et produit sous leur couvert toute une littérature dont on ne sait rien : Marcel Pivert sûrement inspiré par Marceau Pivert le leader de la gauche du parti socialiste, Edouard Duret, Mariodile sous lequel il a publié tout de même une vingtaine d’ouvrages semble-t-il destinés aux jeunes filles. Gauyat ne s’y est pas intéressé. Il faut dire que ces ouvrages sont très difficiles à trouver. Pourtant il aurait été intéressant de savoir si sous ces autres noms, il était arrivé à développer sa thématique personnelle.

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    On notera aussi quelques approximations, comme lorsqu’il fait un partage hasardeux entre la Série noire, censée être de gauche et le Fleuve noir, de droite. Il oublie au passage que la collection créée par Marcel Duhamel a recyclé quelques collaborateurs lourdement condamnés : Albert Simonin pour le pamphlet qu’il avait cosigné avec Henri Coston contre les Juifs et qui prendra 7 ans à Frontevault, ou encore Ange Bastiani, ancien de la Milice qui ira au ballon pour des faits de torture et de racket. Sans même parler d’ADG. On peut également lui reprocher de mettre en avant le lieu commun selon lequel la littérature noire d’inspiration truandière est une sorte d’apologie de la morale particulière du milieu, rien n’est plus faux. Que ce soit José Giovanni, Auguste Lebreton ou même Simonin, ceux-ci passent leur temps à montrer que la fameuse morale des truands n’est qu’une légende.

    Incidemment, il opère un rapprochement entre Nous avons les mains rouges et Le haut fer de José Giovanni. Suggérant au passage que celui-ci se serait inspiré de celui-là. Cela va bien sûr m’obliger à relier les deux ouvrages, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Mais ces deux auteurs peuvent être rapprochés aussi parce qu’ils ont été des militants contre la peine de mort, José Giovanni ayant lui-même été condamné à mort pour un règlement de comptes dans un bar de Pigalle.

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    _________________________

      1. Léo Malet, mauvais sujet, L’atinoir 2010.

        2. Alain Guérin, La Résistance, Chronique illustrée 1930-1950, six volumes, Livre Club Diderot, 1972-1976

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    C’est l’avant dernier ouvrage publié par Jean Amila. Plus ou moins en rapport avec ce que lui-même a vécu, c’est l’histoire d’un fils de fusillé pour l’exemple de la guerre de 14-18. Très politique si on veut, c’est le véhicule parfait pour développer une approche anarchiste et pacifiste. Le  boucher des Hurlus est le surnom du général Des Gringues qui a fait fusiller pour l’exemple un grand nombre de soldats qui refusaient les ordres absurdes dans la grande bataille des tranchées. Notre petit héros est ensuite placé dans une sorte d’institution catholique, suite à l’internement de sa mère. Avec quelques copains, il va s’en aller, traverser une partie de la France pour tenter de venger la mort de son père.

    Si l’intrigue n’est guère consistante, et donc s’il s’agit de bien autre chose que d’un polar, le style, les décors, les personnages méritent le détour. En quelque sorte Jean Amila revient à ses origines littéraires, la littérature prolétarienne, tendance anar. Cela se passe juste après la fin de  la Première guerre mondiale, alors qu’il reste des soldats encore mobilisés. C’est aussi le moment de la grippe espagnole qui a fait tant de dégâts, comme un srucroît d’horreur à rajouter à celles de la guerre – elle emportera le grand poète Guillaume Appolinaire. Cette pandémie dont on oublie aujourd’hui l’importance, aurait fait 400000 morts en France et peut-être une centaine de millions dans le monde.

    C’est aussi un roman sur l’enfance misérable telle que l’a ressentie Jean Amila, il n’y a plus guère de romans sur cette période si particulière. D’après ce qu’on sait, son père n’a pas été fusillé, il aurait quitté sa femme et son fils à la fin de la guerre pour se mettre en ménage avec une autre femme. Sa mère aurait ensuite été internée au Vésinet. Le boucher des Hurlus transforme donc une expérience douloureuse en une sorte d’épopée de la misère, mêlant le vrai et l’imaginaire.

    Il y a de grands moments de vérité si on peut dire, notamment les scènes qui se passent au cœur de l’orphelinat, ou l’arrestation par la police de sa mère.

    C’est un thème, celui des misères de la Grande Guerre, qui sera repris plus tard notamment par Patrick Pécherot, un autre anarchiste qui a œuvré pour la Série noir, Tranchecaille.

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    Il a été tiré un film de ce roman, réalisé par Jean-Denis Robert, le fils du célèbre réalisateur Yves Robert, il n'a eu aucun succès et est devenu introuvable.

    A signaler également la parution de Jean Meckert, dit Jean Amila de Pierre Gauyat, chez Encrage. Preuve que l’œuvre de Jean Amila n’intéresse pas seulement les éditions K. je ne l’ai pas encore lu, mais j’y reviendrais sûrement, le sous-titre est tout à fait explicite et résume bien ce qu’il me semble devoir être retenu de Jean Amila.

     

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    De temps en temps on redécouvre Jean Meckert qui signait aussi Jean Amila ou même à ses débuts en Série noire, John Amila. Récemment la revue Temps noir à publier des textes de lui, soit oubliés, soit complétement inédits. Evidemment par rapport à la production contemporaine, c’est toujours intéressant de le relire, même si son œuvre est assez inégale. Issu d’une famille très pauvre, il est venu au polar par le biais de la littérature prolétarienne, son premier ouvrage Les coups qu’il publia pendant l’Occupation connu d’emblée un grand succès. C’est sans doute son meilleur roman.

    Sa carrière stagnant, c’est semble-t-il Marcel Duhamel qui lui a conseillé d’écrire pour la Série noire, en américanisant son nom. Il avait cependant gardé le goût du petit peuple de Paris, une forme de révolte anarchisante qui pourrait le faire classer facilement dans la catégorie des précurseurs du néo-polar. San trop s’avancer, on pourrait penser que c’est cet ouvrage qui est à l’origine de Nada de Jean-Patrick Manchette.

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    Pitié pour les rats est un des rares polars qui utilise la fin de la guerre d’Algérie, et la saga de l’OAS comme toile de fond. C’est l’histoire d’une famille ouvrière qui arrondit ses fins de mois en cambriolant médiocrement des pavillons de banlieue pour revendre ensuite leur maigre butin aux Puces ou chez quelque brocanteur pas trop regardant. Ils s’appellent les Lenfant. Ce qui en dit assez sur leur innocence finalement. Tout cela ne donnerait pas matière à l’écriture d’un polar si le destin ne s’en mêlait. Une nuit Julien qui vient de cambrioler un petit appartement, est surpris dans son travail par un policier qui lui tire dessus et manque de la tuer si n’était pas intervenu Michel, justement un soldat perdu de l’OAS. Celui-ci sauve la vie de Julien et entre eux va naître une sorte d’amitié. Mais les choses vont rapidement se gâter, d’une part les amis de l’OAS – le mot n’est toutefois jamais écrit – vont essayer de les embarquer dans leur guerre perdue contre le pouvoir gaulliste, et d’autre part Michel va séduire à la fois la fille et la mère Lenfant. Les choses finiront plutôt mal.

    La première chose qu’il faut remarquer c’est que si l’intrigue est assez simple, il y a un souci de vérité dans la description des personnages, comme des lieux qui servent de décor qui donne vraiment du corps à l’ouvrage. Comme souvent il utilise des lieux où l’eau joue un rôle important, les écluses, les maisons isolées et protégées par cette nature liquide et envahissante. Cela est renforcé d’ailleurs par les dialogues qui permettent à Amila de jouer du langage parisien de l’époque sans toutefois en remettre trop.

    La seconde remarque porte sur l’approche politique d’Amila, anrchiste dans l’âme, curieusement il se refuse de juger les petits soldats de l’OAS, bien que ceux-ci soient plutôt portés vers des formes autoritaires ou militaires de pouvoir. Mais cette approche est assez représentative de ce qu’on pouvait penser de l’OAS vers 1963-1964. On les voyait comme des soldats perdus, des aventuriers nécessairement suicidaires, et c’est pour cela que leur combat avait quelque chose finalement d’assez pathétique. Pour mieux saisir cette ambiance – cette vérité – on peut se reporter au film d’Alain Cavalier, L’insoumis, dont j’ai parlé il y a quelques semaines.

     

    L’ouvrage a certainement été écrit très vite, mais quelques scènes fortes restent, comme le casse d’une usine qui rate complètement et qui tourne à la débandade, ou encore la tournée d’Yvonne essayant de placer sa camelote auprès des brocanteurs du côté de Saint-Ouen. 

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  • zagdanski 

    Dans cet ouvrage, le prolifique Zagdanski ravive de manière bien arrogante une très vieille querelle : le cinéma n’est pas un art et encore moins un outil permettant de véhiculer des idées intéressantes. En s’appuyant sur des controverses encore plus anciennes qui remontent à la Grèce antique, il s’inscrit dans la critique de l’image. Des allusions curieuses sont ainsi faites dans un rapprochement avec la tradition monothéiste qui tend à défendre l’utilisation de l’image. C’est d’ailleurs un peu son idée : tout a été dit dans le Talmud.

    Cette prolifération des images est destinée à montrer une réalité morte qui ne peut être que statique. Elle emprisonne et isole les individus, produisant une forme de désocialisation  et d’acculturation qui entretient la passivité intellectuelle.

    Inévitablement il retombe sur Guy Debord, auteur auquel il a consacré par le passé un ouvrage plutôt médiocre et moqué, Debord ou la Diffraction du temps, Gallimard, 2008. Son interprétation est assez problématique. En effet, il ne prend pas en compte le fait que Debord ait réalisé un certain nombre de films et qu’à cet égard il se considérait lui-même comme cinéaste, c’est le seul titre qu’il voulait bien s’attribuer. Certes on peut qualifier l’œuvre cinématographique de Debord comme de l’anti-cinéma,  mais c’est insuffisant puisque cela permet de continuer à justifier une pratique filmique contestable et n’explique en rien pourquoi l’image est le mal absolu.

    L’ouvrage, par ailleurs très scolaire dans ses références, part dans tous les sens. Plutôt aigre dans ses références, il développe entre autre une critique de Godard assez saugrenue. Car si Godard ne vaut pas grand-chose, notamment par sa volonté inconséquente de politiser le cinéma – passant du maoïsme échevelé de la fin des années soixante à un antisémitisme incongru au début du XXème siècle – il n’y a guère d’intérêt à la critiquer, d’autant que son public est de plus en plus confidentiel et vieillissant. On retrouve aussi une analyse d’Artaud qui tombe également à plat.

    Le point principal que ne comprend pas Zagdanski est que le cinéma, pour le meilleur et pour le pire, est le véhicule de la culture populaire. Et c’est cette culture populaire qui fait avancer le monde, même si c’est très souvent dans le mauvais sens. Se positionner à l’extérieur de la culture populaire c’est éviter de se poser la question de la transformation du monde, c’est rester volontairement du côté de l’élite et se condamner finalement à n’être rien.

    Le cinéma en réalité évolue comme la société : aujourd’hui, alors que dans le monde dominent de plus en plus des idées bourgeoises et réactionnaires, le cinéma est de plus en plus médiocre et éloigné  de ses fonctions critiques. Mais ce n’a pas été toujours cas, dans les années trente, mais aussi à la fin des années soixante, le cinéma américain retrouvait cette fonction subversive, accompagnant le développement des mouvements contestataires qui secouaient la société. La Commission des activités anti-américaines du sinistre McCarthy ne s’y était pas trompée. Elle s’était fixé pour but d’éradiquer toute forme contestataire du cinéma hollywoodien, ce fut en quelque sorte le premier étage de sa contre-révolution conservatrice qui aujourd’hui triomphe aussi bien dans l’économie, dans la politique et bien sûr dans les arts.

    L’ouvrage de Zagdanski est finalement doublement inutile. D’abord parce qu’il recycle des vieilles idées qui remontent à l’époque de l’apparition du cinéma, ensuite parce qu’il reste dans une conception élitaire de la culture qui a fait faillite depuis bien longtemps.

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    Le livre très connu de Kenneth Anger et qui date de 1959, vient d’être republié par les éditions Souple, dans une version largement remaniée. Cela a l’apparence d’une collection de ragots et d’anecdotes croustillantes, mais en réalité c’est un livre d’histoire, l’histoire noire et cruelle de l’usine à rêves de l’Amérique. Kenneth Anger est par ailleurs un personnage sulfureux, une icône du cinéma underground. C’est un ouvrage capital pour qui veut comprendre à quel niveau de bassesse Hollywood est descendu, vendant son âme pour un plat de lentilles.

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    L’édition américaine du livre d’Anger

    La première idée qui vient après la lecture de cet ouvrage abondamment illustré, c’est qu’Hollywood a été une formidable contestation de la bien-pensance américaine. Par leur mode de vie, comme par leurs films, les acteurs et réalisateurs dynamitaient la morale portée par le capitalisme flamboyant et puritain à la William Hearst. Il fallut donc beaucoup de temps pour les institutions, la police, les journaux et le fameux code Hays pour mettre au pas une communauté qui vivait plus que dans l’aléa, qui vivait une marginalité dépravée. L’étalage de cette débauche sur laquelle l’Amérique puritaine faisait mine de s’émouvoir avait forcément son revers : meurtres, suicides, viols, drogue et folie cohabitaient avec ce mot de vie extravagant et provocateur. Mais enfin, Hollywood fuit finalement mise au pas, et aujourd’hui les extravagances des stars nez sont que de petites choses, comparées avec ce qui pouvait se faire avant que la loi ne s’impose sur ce coin de paradis tout à fait artificiel.

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    La belle Virginia Rappe qui fut violée et assassinée par le comique Fatty Arbuckle : elle n’avait pas vingt ans

    La seconde réflexion est que ceux qui se souciaient de la décence et des bonnes mœurs étaient de sacrés hypocrites, souvent corrompus à l’image justement de Hays qui fit la réclame pour son fameux code. Mais c’est un peu le même cas de figure que celui de J. Parnell Thomas, l’inquisiteur qui mena la chasse aux sorcières de Hollywood et qui rencontra ses victimes lorsque la justice le jeta en prison pour escroquerie. Cette hypocrisie de la morale, portée par les associations catholiques, ou par des vieilles horreurs comme Hedda Hopper qui chassait aussi bien les communistes que les dépravés – elle avait un sacré boulot à Hollywood – se trouvait en porte-à-faux, non seulement avec ce que voulait produire et montrer le peuple d’Hollywood dans un élan de liberté, mais aussi avec ce que le public désirait voir. Anger rappelle que le boycott organisé des films de Mae West n’eut aucun succès.

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    L’arrestation de Frances Farmer : elle sera internée de longues années en hôpital psychiatrique

    Ces parasites sociaux qui vivaient de la critique permanente de la morale délétère du peuple d’Hollywood dessinent une curieuse lutte « à mort », entre les créatifs qui veulent vivre comme ils l’entendent en assumant leur course à la mort et les cloportes qui ne veulent voir Hollywood que comme une machine à faire de l’argent et à dispenser une morale familiale convenue qui encadre solidement le système économique et social qui est un système de classes et de castes. Bien entendu c’est la morale ordinaire qui gagnera et confisquera les éléments du jeu hollywoodien pour son seul profit. On pourrait dire que l’histoire d’Hollywood, de ses débuts à aujourd’hui c’est celle de la décomposition lente de la liberté et la transformation d’un outil novateur en un simple instrument du commerce et de l’industrie.

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    Cette vieille canaille de William Hays qui se vendait pour un code

    Mais derrière ces idées générales, la force du livre d’Anger est certainement de montrer la fragilité des acteurs qui ont du mal à vivre avec une pression permanente en tant qu’idoles des foules. C’est particulièrement vrai pour les femmes. Dès qu’elles se trouvent en difficulté, vis-à-vis du studio, vis-à-vis du public, elles sont offertes à tous les risques et à toutes les tentations, ce qui peut les mener tout droit à la folie. Si la drogue a toujours été présente à Hollywood, massivement et depuis les origines, elle fut aussi bien un moyen de supporter l’imbécilité de ce mode de vie dérisoire, que d’accélérer la chute du temps dans des orgies presque sans fin. Evidemment le passage du muet au parlant, concomitant d’ailleurs de la crise de 1929, écréma encore un peu plus les moins solides les envoyant par cargaisons entières, à la retraite, à l’asile psychiatrique ou à la casse. Il y a donc beaucoup de pathétique dans cet ouvrage, mais en même temps beaucoup de dérision aussi, car au fil du temps le cinéma n’est devenu qu’un spectacle ressassant toujours les mêmes sinistres illusions.

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    Cette vielle sorcière d’Hedda Hopper toujours partante pour faire la morale en se délectant des ragots

    Il y a une fascination réciproque entre les gardiens d’une morale bancale qui la défende sans scrupule, et ceux qui au contraire font le métier de la transgresser, comme si ces deux camps opposés avaient besoin l’un de l’autre pour exister. L’argent apparaît aussi comme une nécessité, une protection contre la dureté dans l’exercice de ce triste métier. Il permet entre autre chose de corrompre juges et politiciens et d’accéder ainsi à l’impunité même dans les cas de meurtres avérés. C’est ainsi que William Hearst sera exonéré de l’assassinat du réalisateur Ince, et que l’ignoble Fatty Arbuckle n’ira pas en prison pour le viol et le meurtre de la jeune Virginia Rappe. D’autres auront moins de chance comme Frances Farmer qui finira par se faire enfermer dans un hôpital psychiatrique et qui disparaîtra de la circulation sans que personne ne s’en aperçoive. Car Hollywood choisit ceux qu’elle veut bien honorer comme des martyres de sa longue saga criminelle.

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    Lana Turner et Johnny Stompanato

    Cette légende noire d’Hollywood est très bien résumée par la liaison scandaleuse entre Lana Turner et le gigolo un peu truand Johnny Stompanato. Elle aimait se faire voler par lui, se faire rouer de coups aussi, et elle finit par le tuer d’un coup de couteau – officiellement c’est sa fille qui aurait eu ce geste fatal envers cette canaille, mais il semble bien que ce soit dans la logique des choses que ce soit Lana Turner qui se soit chargé de faire disparaître cette monstruosité de la surface de la planète. Cette histoire est tout à fait digne d’un grand roman noir, avec le petit copain de Stompanato, Mickey Cohen lui-même, grand ponte mafieux à Los Angeles, briseur de grèves et assassin, qui n’hésitera pas à salir Lana Turner pour se venger du fait qu’elle ait occis Johnny. Mais Lana Turner s’en sortira avec les honneurs, et tournera juste après ce meurtre Imitation of Life le chef d’œuvre de Douglas Sirk qui fut aussi son plus grand succès.

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    La mort de Jane Mansfield

    Ce qui se trame aussi derrière la romance noire d’Hollywood, c’est aussi l’apparition des femmes massivement sur les écrans dans des attitudes relevant de l’émancipation sexuelle, et cela ce n’est pas rien. On peut même dire que de ce point de vue, Hollywood fut une formidable machine éducative. La vie dissolue de plus en plus affichée des actrices célèbres d’Hollywood était connue de tous, même si c’était déformé, même si cela servait de support pour vendre des revues à scandale, l’idée qu’une autre vie étourdissante et enivrante dans tous les sens du terme ne pouvait que donner à penser à la tristesse du quotidien, et à ce titre c’était déjà une subversion qu’Hollywood la scandaleuse existe. Il va sans dire que ces anecdotes croustillantes pourraient servir de base à une série de romans noirs bien plus violents et neurasthéniques que l’ensemble de l’œuvre d’Ellroy. Il est seulement dommage qu’il s’arrête au tout début des années soixante, comme si après Hollywood s’était assagi et était rentré dans le rang d’une industrie comme une autre. Il n’en est rien, d’autres scandales de première grandeur sont advenus, comme la mort de Marylin Monroe, mais aussi le crime commis par Robert Blake, la mort de Jane Mansfield, les problèmes de drogue de Charlie Sheen.

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