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    Ce roman est paru aux Etats-Unis en 1954, année de forte productivité de Jim Thompson. C’est alors un auteur assez peu fortuné qui peine à gagner sa vie correctement. Hell of a woman est très bon, mais ce n’est pas le meilleur ouvrage de Jim Thompson. Il est écrit juste avant The nothing man qui va traiter de thèmes similaires. Il était paru antérieurement en Série Noire sous le titre assez bizarre de Des cliques et des cloaques en 1967, dans une traduction assez traficotée. Il réapparaît aujourd’hui dans une nouvelle traduction de Danièle Bondil qui a une longue expérience de traductrice et qui s’est notamment occupée de la version française du Ventre de New-York de Thomas Kelly  chez Rivages. Sans faire un fromage des questions de traductions – après tout Jim Thompson s’est fait connaître par les traductions très contestées et contestables de la Série Noire – la comparaison rapide des deux versions montre des changements significatifs, notamment à la fin, où l’écriture très particulière de Thompson devient particulièrement déjantée pour montrer l’accélération de la folie de Frank Dolly. On sera ainsi bien plus près de la logique de Thompson.

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    L’histoire est relativement simple, Frank Dolly est un démarcheur qui vend de la camelote en porte à porte, souvent à crédit. Il a peu de succès, a des difficultés pour faire payer les clients, et trafiaque ses fiches de vente pour pouvoir subsister. Maid un jour il croise la route de Mona, une toute jeune fille que sa tante semble vouloir prostituer. La vieille lui propose qu’il lui laisse une ménagère contre la possibilité d’utiliser la jeune Mona. Dolly a un élan de comapssion à l’endroit de cette très jeune fille, mais il est marié à Joyce avec qui il a une relation très tendue pour ne pas dire plus. A partir de là va se mettre en place un engrenage fatal : se retrouvant en prison pour avoir escroqué son patron, Dolly est tiré d’affaire par Mona qui a payé sa  caution. Comprenant que la vieille possède un magot, il va s’arranger pour la tuer, faisant accuser de ce meurtre un pauvre travailleur allemand immigré de fraiche date. Il est censé partir avec l’argent et avec Mona, mais il temporise et semble se retrouver piégé par Joyce qu’il va assassiner aussi. Son patron ayant compris le crime de Frank, il va exiger de lui la totalité du butin. Pris d’un accès de folie, il sautera par la fenêtre.

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    Jim Thompson 

    Le point de vue est celui de Dolly, le roman est écrit pour cela à la première personne, il marque l'empathie de Thompson pour son triste héros. Et son écriture un peu compliquée montre le chaos qui règne dans son esprit. D’ailleurs on n’est pas très certain d’avoir bien compris la fin de l’histoire car la réalité devient de plus en plus fantasmée et Dolly mélange volontiers le passé et le présent.

    Au-delà de l’intrigue proprement dite le roman est exemplaire des obsessions morbides de Jim Thompson au moins à cette époque-là. Hell of a woman est en réalité un roman sur la castration et la difficulté d’établir des relations normales et relativement paisibles avec les femmes. Dolly doute de tous et de toutes, dans un délire paranoïaque il pense que Joyce comme Mona sont mauvaises et ne visent qu’à le garder un peu plus prisonnier. En même temps il a besoin de la femme – n’importe quelle femme – essentiellement parce qu’il a besoin de la mère, de revenir en enfance, et c’est pourquoi il se méfie comme de la peste de leurs pulsions sexuelles.

     

    Un moment on avait expliqué ce fantasme qui se retrouve évidemment dans le roman suivant, The nothing man – traduit en français sous le titre de Mr Zéro – qui raconte l’histoire d’un homme qui a perdu ses testicules, par le fait que Jim Thompson avait eu lui-même une vie très difficile avec les femmes, et que sa propre épouse l’avait plus ou moins obligé à faire une vasectomie car elle ne voulait pas tomber enceinte. Mais bien sûr la déconfiture pécuniaire de Dolly est aussi le reflet des propres difficultés de l’auteur à gagner sa vie correctement à cette époque. 

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    Marseille est une ville qui a toujours fait couler beaucoup d’encre, et les livres qui l’ont pris pour sujet ne se comptent plus. Ce n’est pas un hasard si elle a donné naissance à un genre littéraire nouveau, le polar marseillais, genre qui n’a d’équivalence dans aucune autre ville de France. Aujourd’hui encore, ses règlements de compte, ses turpitudes politiques, en font un sujet de choix pour les journalistes pressés.

    Emmanuel Loi qui n’est pas né ici, qui ose même avouer être natif des Vosges, en propose une vision qui est aussi peu touristique et pittoresque que possible. Loi s’est fait, pour des raisons qu’il n’élucide pas, marseillais d’adoption. Ville faite de bric et de broc, elle présente une réalité unique pour le meilleur et pour le pire. C’est une ville de bandits, où on peut choisir cette profession de père en fils, mais Emmanuel Loi s’est exercé aussi un peu dans cette voie avant de prendre plusieurs années de prison. Sensible à la misère de Marseille, il l’est aussi à sa violence latente.

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    Une ville qui s’étale sur plus de 240 km2 

    La première singularité de cette ville est son immensité : c’est la plus grande entité urbaine en France, ce qui évidemment amène des problèmes sans fin. Par exemple cette fameuse coupure entre les quartiers Nord pauvres et déglingués, presqu’à l’abandon, et les quartiers Sud dont une partie au moins est très riche.

    Cette dimension géographique singulière fait qu’elle est construite comme une mosaïque de quartiers ayant chacun une identité singulière, une couleur, une odeur bien à lui. L’étalement de la ville lui permet de conserver des formes archaïques, on n’ose pas dire villageoises, qui côtoient des extravagances modernistes dans les nouveaux quartiers. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette question ici, mais un jour il faudra bien s’interroger sur la santé mentale des architectes-urbanistes qui produisent de telles horreurs, et sur celle aussi de leurs commanditaires, l’actuel maire de Marseille étant de ce point de vue certainement le pire que la ville ait connu.

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    L’abominable tour Zaha Hadid construite malencontreusement dans le quartier de la Joliette 

    Emmanuel Loi raconte ces fractures, ces oppositions, avec la violence qui va avec. Il donne, à travers sa propre expérience, le compte rendu d’une sorte de longue dérive paradoxale. Opposant ses différents emplois dans les structures socio-culturelles nombreuses de la ville, à ses rencontres qui les remettent en question. Car Marseille est une ville où pullulent les structures socio-culturelles, où chacun peut se revendiquer artiste et créateur. Il est d’ailleurs assez curieux que ces actions nombreuses et variées soient le plus souvent impulsées par des « intellectuels » qui ne connaissent pas grand-chose à la ville et qui en ont une vision très extérieure. Au passage il donne un portrait en creux de toute cette faune qui est à la fois drôle et déprimante.

    Le fait qu’Emmanuel Loi ait été impliqué dans ce genre d’activités scabreuses, lui amène quelques remords et c’est à travers ces remords qu’il perçoit la ville. C’est donc une approche très subjective de la ville. Et selon moi c’est ce qui est intéressant. Je n’ai aucunement le même point de vue qu’Emmanuel Loi, mais c’est parce que j’y suis né et j’y ait grandi pendant les années Defferre, à une époque où la ville semblait s’améliorer d’année en année. Loi, lui, n’est arrivé à Marseille que dans les années soixante-dix, au moment où la ville a commencé de décliner en se débarrassant peu à peu de ses activités portuaires et industrielles. Il venait d’Aix-en-Provence, ville bourgeoise et provinciale à cette époque, où il suivait avec peu d’assiduité des études de lettres, intéressé par les chemins chaotiques de la subversion. Car si l’approche de Loi est subjective, elle est aussi psychogéographique et inscrite dans l’histoire, la sienne, plus que celle de la ville.

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    La dernière horreur architecturale à Marseille qui défigure le Vieux Port  a coûté 45 millions d’euros ! 

    C’est cela qui fait tout l’intérêt de Marseille Amor. En mêlant son parcours personnel à la découverte de la ville, il en révèle les marges. C’est un parcours heurté, et même si j’en reconnaît la plupart des lieux visités dans leur intimité, ceux-ci m’apparaissent sous la plume de Loi différents, misérables ou poétiques, c’est selon l’humeur du lecteur aussi bien que celle de l’auteur. Cette vision éclatée et intense de Marseille s’accorde avec un style volontairement décousu, fait de petites notations éparses, sans exigences de continuité.

    Le livre est publié dans la collection Fiction & Cie qui a déjà à son actif le très bon livre d’Eric Hazan, L’invention de Paris.

     

    Gaston Defferre fut le maire de Marseille de 1953 à 1986, année de sa disparition. Emmanuel Loi a écrit aussi unn petit ouvrage sur lui.

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    Bruno Sulak est une légende du grand banditisme. Mais il faut bien reconnaître que c’est une figure à part. d’abord parce qu’il n’appartient pas à une logique de bande et qu’il n’a jamais ni trafiqué dans les stupéfiants, ni dans la prostitution, qui sont comme on le sait les deux mamelles du grand banditisme. C’est un aventurier. Mais ce qui est peut-être plus remarquable c’est que c’est un aventurier doté d’une certaine morale et d’une conscience.

    Philippe Jaenada va retracer l’itinéraire particulier de Sulak. Et son enquête est sérieuse, aussi complète que cela semble possible. Il a rencontré les derniers témoins de la saga de Sulak. Partant de son enfance jusqu’à sa tragique disparition, il n’a rien oublié, ni de ses braquages, ni de ses amours. A ce titre c’est un ouvrage intéressant. D’autant qu’en mettant Sulak en perspective, on voit à quel point le banditisme a évolué avec son temps. Par exemple Sulak braquait les supermarchés, comme Mesrine braquait les banques avant que celles-ci s’équipe sérieusement pour éviter les hold-up intempestifs. C’est typique de la fin des années quatre-vingts, avant que la déferlante des paiements par carte bleue n’entrave la circulation des liquidités, obligeants les truands à faire preuve d’un peu plus d’imagination. Sulak c’est donc la fin d’une époque où il suffisait d’avoir du courage pour remonter de la monnaie.

    Il n’y a pas grand-chose à dire sur le fond de l’ouvrage qui est tout à fait excellent. C’est une enquête patiente et documentée. Il n’y a pas de révélation à proprement parler, mais des détails abondants, sur ses différents faits d’armes, sur sa vie en prison et sur la cruauté des matons qui lui en ont fait baver. Sa dernière tentative d’évasion est décrite méticuleusement, avec le détail des différentes complicités. On est aussi un peu étonnés de voir que le sous-directeur de la prison de Fleury-Mérogis et un des gardiens de cette boutiques, qui se rendirent complices de Sulak, sombrèrent dans la délinquance après quelques longues années de prison. On peut regretter aussi que les différents écrits de Sulak, les articles pour L’autre journal, ses lettres, ne soient pas plus utilisés, on pourrait peut-être en faire une édition séparée. Je les avais lus à l’époque et la fraicheur du ton m’avait frappé.

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    Bruno Sulak en légionnaire 

    Par contre le style de Jaenada pose un peu plus de problèmes au lecteur. Jaenada utilise un style un peu sautillant qui se veut ironique. On suppose que de cette façon il vise à prendre de la distance avec son sujet, ne voulant ni se manifester pour ou contre, mais seulement décrire. Bien sûr ici et là il laisse transparaître de l’affection pour Sulak. Mais cette manière de faire gêne parce qu’elle finit par faire apparaître Sulak comme une sorte de voyou un rien farfelu : c’est comme s’il le mettait en position d’infériorité par rapport à lui-même. Or, d’après ce qu’on en sait, et ce qu’en dit lui-même Jaenada, Sulak était aussi un personnage moral dont les choix de vie en valent bien d’autres.

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    Bruno Sulak au moment de son procès à Albi 

    Toujours dans cette volonté d’ironiser sur son sujet Jaenada mêle des petites réflexions sur ses états d’âme de romancier (mais est-ce un roman ?) au déroulement de la vie de Sulak. C’est parfois un peu pénible tant cela fait système. Il est vrai qu’en même temps c’est cette manière un peu précieuse finalement qui fait que la livre de Jaenada peut être considéré comme une œuvre littéraire. Si son ouvrage avait été écrit différemment, il aurait plutôt trouvé sa place chez La manufacture de livres, mais il n’aurait pas alors concouru pour des prix germanopratins. En effet, quand on parle de voyous dans la « littérature blanche », on se croit toujours obligé de faire des manières et d’éviter de raconter simplement une histoire – c’est déjà ce qu’on avait souligné avec le dernier roman de Serge Bramly. C’est bien sûr cela qui fait la supériorité de la littérature noire sur la littérature blanche.

    Cependant vers la fin du livre, disons à partir du moment où Bruno Sulak est prisonnier et ne s’en sortira plus que les pieds devant, Jaenada abandonne ses préciosités, les parenthèses sont bien moins nombreuses, et devient terriblement émouvant. Sans le dire explicitement – il ne le peut pas à moins de risquer un procès – le propos est transparent, il ne croie ni à la thèse de l’accident ni au suicide. Ce qui veut dire qu’il y a de la place pour la thèse d’un assassinat. Car évidemment Jaenada aime Bruno Sulak, pratiquement comme tous ceux qui l’ont connu, et il arrive à en montrer aussi bien la force morale que la détresse. Il finit par le décrire comme quelqu’un de pur – c’est le mot qu’il emploie, sans pour autant approuver ou juger les choix de vie de Bruno Sulak.

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    Il y a quelques années Pauline Sulak, avait écrit un ouvrage, réédité ensuite sous le nom de Pauline Belmihoub, un texte plein de tendresse pour le frère disparu, mais aussi plein de colère pour la façon dont il est décédé. Philippe Jaenada non seulement s'est inspiré de ce livre, mais il en a recopié de longs passages entiers. Peut-être est-ce pour ça qu'il s'est donné beaucoup de mal pour mettre en avant des effets de style, pour se démarquer de l'hommage de Pauline à son frère. Ceci dit l’ouvrage de Pauline Sulak ne détaille pas l’ensemble des faits et gestes de Bruno Sulak comme le fait Jaenada, mais elle donne des lettres de son frère qui sont tout à fait passionnantes dans ce qu’elles montrent de sa vie réelle et de son caractère. Et puis elle met en valeur un trait caractéristique de Bruno Sulak, ses liens très forts avec sa famille, malgré les aléas de sa vie d'aventures. Cette très grande proximité entre les deux ouvrages n'a semble-t-il pas été remarquée par la critique, et quand le livre de Pauline Sulak est sorti, il n'a pas été considéré comme de la littérature, à peine comme un témoignage. Ce n'est pas le cas de celui de Jaenada qui comme je l'ai dit a concourru pour un certain nombre de prix. Mais cette différence articielle entre "littérature" et "témoignage" n'a pas finalement grand intérêt. J'avais lu le livre de Pauline Sulak à sa sortie, il y a presque vingt ans, et il a fallu que je le relise juste après celui de Jaenada pour me rendre compte de totu ce que le second devait au premier.

    Il existe aussi une pièce de théâtre sur Bruno Sulak écrite par Tayeb Belmihoub, ce qui semble indiquer que Bruno Sulak devient un personnage à la mode. Peut-être parce qu’on en a un peu assez des truands trop ensauvagés qui s’entretuent sans trop de discernement.

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    Ottman Belmihoub et Denis D’antoni dans la pièce de Tayeb Belmihoub

     

    Liens

     

     

    http://www.dailymotion.com/video/xfdplp_proces-sulak_news A propos du procès d’Albi

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    C’est le dernier opus de cette saga hollywoodienne que Wambaugh met en scène depuis 2006, on y retrouve un cadre bien connu, le commissariat, et des personnages aussi récurrents comme les deux flics surfeurs, le Bris et le Débris, ou le SDF amateur de jazz Trombone Teddy. Et bien sûr comme c’est Hollywood, on a droit à notre lot d’étrangeté : un Russe amateur de moignons et d’amputation de membres.

    Le roman va être très éclaté, chaque chapitre pourrait presqu’être bouclé sur lui-même, autour des faits et gestes des policiers ou des petits trafiquants de sexe et de femmes. Tout cela est bien connu des lecteurs de Wambaugh. La différence cette fois vient d’une histoire d’amour, chose à laquelle il ne  nous avait pas habitué jusqu’ici. Un docker, d’origine Croate, va tomber amoureux d’une jeune mexicaine dont on ne saura rien, si ce n’est qu’elle est très jeune et très belle. Mais l’histoire d’amour va tourner au cauchemar, car, danseuse due et probablement prostituée, elle a surpris des secrets qui vont amener un gangster coréen à chercher à la tuer. Bien que le ton ordinaire soit assez ironique, c’est une tragédie dont il s’agit.

    Cela introduit un ton nouveau dans l’œuvre de Wambaugh, et lui permet d’approfondir les caractères des personnages qui ne sont pas des flics : le commissariat étant plutôt pris en lui-même comme un personnage. Ce simple déplacement de Los Angeles même vers son port industriel, San Pedro, modifie la perception des choses. En effet, tant qu’on est à Hollywood on a droit à la sempiternelle dégénérescence des lieux. Mais le port de San Pedro présente une toute autre image. Massivement peuplé d’hispaniques, de Croates et d’Italiens, il représente le monde du travail dans sa simplicité. Les gens qui restent attachés à San Pedro, à l’instar de Dinko et de sa mère, possèdent des valeurs d’honnêteté et de simplicité. Ceux qui au contraire comme Hector Cozzo qui se laissent aspirer par les tentations hollywoodiennes, perdent leur caractère, deviennent veules et lâches.

    Cette nouvelle façon d’aborder le noir, confère à Wambaugh un surcroît d’humanisme, et je crois que cela correspond assez bien à ce qu’on dit ces jours ci de l’Amérique post-multiculturelle, notamment à propos de l’élection du nouveau maire de New York. Wambaugh n’ignore pas les problèmes que pose l’existence de communautés très différenciées, cohabitant sur un même lieu. Et il est assez subtil pour nous en faire ressortir le côté négatif sans donner des cours de morale. Les flics sont aussi présentés sous cet angle, ni particulièrement bons, ni particulièrement mauvais, ils conservent toujours pour Wambaugh cette part d’humanité, comme ce flic surnommé la Licorne, qui semble s’en foutre complètement de son métier, attendant la retraite à ne rien faire, et qui va être soulevé par un sursaut de colère lorsqu’il croisera la route d’un enfant martyrisé. Si les truands sont représentés comme évidemment mauvais, ils sont aussi les victimes de leur propre imbécillité. La façon dont Markos et Kim s'entretuent est assez réjouissante. 

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    Joseph Wambaugh et Michael Connelly lors de la sortie de Harbor nocturne en 2012 

    En tous les cas le roman dans son ensemble met en scène l’ambiguïté de la fiction par rapport à la réalité. Pour cette raison, il restera, le livre refermé, de nombreuses énigmes. On ne saura pas vraiment qui était Lita qui semble avoir menti sur presque tout, comme on ne saura rien de ce Basil à la recherche d’amputés. Tout au long du roman on pense qu’on va avoir une explication qui nous dira les raisons de cette étrange passion, mais non. Et au fond c’est à l’image de la vie cet inachèvement, ce lot d’incompréhensions qui nous accompagne en permanence.

     

    Pour le reste, c’est du Wambaugh, égal à lui-même, avec sa collection d’histoires drolatiques, toutes plus étonnantes les unes que les autres. Les dialogues sont toujours excellents. Cette fois ce n’’est pas Robert Pépin qui a fait la traduction, mais on pourra regretter tout de même le fait que le titre de français ne reflète pas le côté musical du titre américain, Harbor nocturn.

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    Un truand, Vincent, s’est évadé en cisaillant le bracelet qui servait à le repérer alors qu’il était en permission, après avoir passé seize ans en prison. Le plus étonnant est qu’il lui restait seulement onze mois à tirer. Son frère s’interroge sur cette folie, les policiers le recherche. A Paris il se retrouve dans un club échangiste où il semble connaître les propriétaires des lieux. Ici, il va rencontrer une femme un peu étrange, Anne-Gisèle, qui existe en occupant un hôtel en voie de démolition. Ils auront une brève liaison.

    C’est un ouvrage très bref qui raconte les derniers instants d’un ancien caïd. Il emprunte des traits au roman noir un peu traditionnel, mais finalement Bramly n’ose pas aller vers ce genre, il en reste à de la littérature blanche, c’est-à-dire une littérature où l’émotion, l’histoire passe bien après des effets de narration. C’est peut-être là que ça pose un problème, cette volonté de récupérer l’univers du noir, sans en jouer le jeu. En effet le lecteur se demande bien si Vincent est vraiment coupable du crime pour lequel il a été condamné, et puis, et puis, on n’en saura pas plus.

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    Un autre défaut plus évident de ce récit, c’est le faux mystère qui entoure les intentions de Vincent, et plus encore l’explication très convenue de celui-ci. Mais il y aussi un grand conformisme dans ce récit. On sera étonné de l’importance qui est donnée à un lieu plus que singulier, un club échangiste branché. Qu’est-ce que peut bien apporter ce choix qui se veut un peu canaille ? On se perd en conjectures. Est-ce une dénonciation de ce commerce un peu vulgaire ? Est-ce une tentative d’exciter le lecteur, une manière d’épater le borgeois ?

    On peut toujours trouver de la gratuité dans la littérature, mais il n’empêche que les techniques utilisées ont toujours finalement un sens. Ainsi Bramly vise à éclater le récit, en faisant se succéder des points de vue divers et variés. On suppose que par là il voulait atteindre la complexité du personnage central, Vincent. Mais ce n’est pas très utile parce que finalement cette ambivalence se résume platement à une opposition entre un Vincent un peu sauvage, caïd, et un Vincent tendre et attentionné à l’endroit de son jeune frère. Tout cela reste très convenu. Tout comme est convenue de nos jours ces sempiternelles références à des produits culturels de second ordre qui ont meublé différentes époques de notre vie. Ainsi Arrête, Arrête, le titre de l’ouvrage renvoie à la chanteuse Patricia Carli qui obtint un phénoménal succès avec ce slow au début des années soixante. Mais cette allusion, comme les références à la poésie ne comble pas le vide des caractères mis en mouvement.

     

    L’ensemble donne un produit mal fini qui déçoit. Une tentative vaine pour importer les codes du roman noir auprès de lecteurs que Bramly suppose ignorants du genre.

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