• Les bourreaux meurent aussi, Hangmen also die, Fritz Lang, 1943

     Les bourreaux meurent aussi, Hangmen also die, Fritz Lang, 1943 

    C’est le deuxième film de Lang qui soutient l’effort de guerre américain contre les puissances de l’Axe, et plus particulièrement contre les nazis. C’est un film plus grave que Man hunt. La spécificité de celui-ci est qu’il a été écrit par Bertolt Brecht que Lang lui-même avait accueilli et soutenu à Hollywood, et dont ce sera la seule contribution au cinéma américain. C’est donc presque un film allemand anti-nazi. En tous les cas, c’est un film de propagande comme beaucoup d’exilés allemands en ont tournés à Hollywood à cette époque, que ce soit Lubitsch qui réalisera To or not to be en 1942, ou Douglas Sirk avec Hitler’s madman  en 1943. Il ne faudra pas chercher trop de subtilités dans l’intrigue, le film cherche aussi à divertir, les postures sont assez caricaturales, que ce soit les mauvais Allemands qui occupent la république tchèque, ou les bons résistants solidaires et courageux face à la barbarie.

     Les bourreaux meurent aussi, Hangmen also die, Fritz Lang, 1943 

    Le docteur Svoboda cherche à éviter la police allemande 

    Propagande ou pas, il faut une histoire. Le point de départ est l’assassinat de Heydrich, un ponte de la hiérarchie nazie, et un des grands caciques de l’extermination des Juifs, l’architecte de la solution finale. Heydrich était le « protecteur » de la Tchéquie annexée et exploitée par l’Allemagne pour poursuivre son effet de guerre. A ce titre il était haï par la population qu’il maltraitait. Le meurtre est un fait réel qui a eu lieu en 1942 à Prague, mais qui dans le film va être conté de manière un peu fantaisiste. En effet, le scénario suppose que Heydrich a été exécuté par la Résistance tchèque, alors qu’en vérité, ce sont des agents parachutés depuis l’Angleterre qui ont exécuté ce travail. Parmi les exécuteurs, il y a le docteur Svoboda qui va essayer d’échapper à la police allemande  et qui va croiser la route d’une jeune fille, Masha, qui va détourner le regard de la police vers d’autres lieux. Mais cet assassinat va entraîner une répression sauvage. Pour faire pression sur la population et capturer le coupable, les nazis vont rafler des otages qui sont menacés d’exécution si le coupable ne se dénonce pas. Les résistants vont donc se poser la question de se rendre ou non pour sauver les otages. Parmi ceux-ci le père de Masha, un éminent professeur d’université, a été arrêté. Pendant ce temps la police essaie de remonter la piste des assassins, l’enquête est conduite par le subtil inspecteur Grüber qui va rapidement comprendre que Masha a été témoin de quelque chose qui pourrait les mettre sur la piste. Bien que les Tchèques fassent preuve d’une grande solidarité, les résistants sont pourtant infiltrés par Czaka qui est à la fois un riche brasseur de bière, et un traître au service de la Gestapo. Masha a cependant des difficultés, notamment parce que son fiancé croit qu’elle le trompe avec le docteur Svoboda. Tout rentrera dans l’ordre cependant, puisque les Résistants mettront en œuvre un scénario compliqué qui dédouanera le docteur Svoboda, sauvera le père de Masha et finalement permettra de se débarrasser du traître Czaka. Entre temps on aura assisté à la violence de la Gestapo qui torture et assassine, qui maltraite des personnes âgées. Il y a derrière tout cela le fait que l’histoire est écrite aussi par des hommes qui vénèrent le mal et qui jouissent de leur propre cruauté. On note également que le thème est moins la guerre que la résistance. Donc c’est forcément la résurrection d’un peuple face à l’asservissement par une puissance étrangère. C’est sans doute cela qui en fait un film de « gauche » : les Tchèques n’attendent pas que les GIs  viennent les délivrer de la barbarie, ils prennent leur destin en charge. 

    Les bourreaux meurent aussi, Hangmen also die, Fritz Lang, 1943

    Masha est mise en prison 

    Le scénario ne brille pas par la subtilité de l’intrigue, et il serait trop long de relever toutes les invraisemblances ou toutes les outrances. Il est signé John Wexley. Fritz Lang disait qu’il était à 90% de Brecht et que s’il fut signé du seul nom de Wexley, c’est d’abord pour défendre ce dernier, le syndicat des scénaristes pensant que la notoriété de Brecht  était déjà tellement forte, qu’il n’était pas besoin de lui donner ce surcroit de publicité. Wexley est assez peu connu, il a été le scénariste des Anges aux figures sales, et du Mystérieux docteur Clitterhouse, des films qui précéderont le développement du film noir proprement dit, puis il disparaitra quasiment, œuvrant un peu pour la télévision. Il a certainement été blacklisté, comme sera d’ailleurs blacklisté Les bourreaux meurent aussi lorsque l’HUAC reprendra du service après la mort de Roosevelt. Wexley avait également travaillé en 1939 sur Les confessions d’un agent nazi de Litvak, à cette époque les Etats-Unis n’étaient pas en guerre, et la Commission des Activités Anti-américaines sous la direction de Martin Dies préférait s’intéresser aux communistes qu’aux espions allemands pourtant très actifs sur le territoire américains[1]. En 1943, Wexley a scénarisé le documentaire sur la bataille de Stalingrad qui fut le tournant décisif dans la Seconde Guerre mondiale et qui mis en évidence l’importance de la Russie dans la défaite allemande.

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    Svoboda s’est réfugié dans une salle de cinéma 

    Lang considérait que c’était un de ses meilleurs films, bien qu’il n’ait eu aucun succès à sa sortie en salles. Probablement cet insuccès tient au fait que sa forme est assez bancale. En effet le film hésite entre deux approches : la première est celle d’un film choral destiné à mettre en avant la solidarité du peuple contre l’ennemi, et donc de faire du peuple le héros de l’histoire. C’est semble-t-il l’approche privilégiée de Brecht qui dénoncera les trahisons de Lang par rapport à son scénario. La seconde approche est celle d’une famille, les Novotny, et de Svoboda qui vont tenter d’échapper à la traque de la Gestapo. Donc une lecture plus individualiste si on veut de l’affrontement avec les Allemands. Cette deuxième approche donne au film un aspect « film noir » nettement marqué. La première approche oppose globalement le bon peuple tchèque uni et fier aux nazis malfaisants et cruels. La seconde met en scène les tourments des Tchèques dans leur individualité. C’est Svoboda qui se pose la question de se livrer pour éviter un bain de sang, c’est Jan qui croit que sa fiancée le trompe, ou encore le traître Czaka. On remarque que le traitre est aussi un capitaliste qui n’a foi que dans l’argent qu’il peut gagner, fusse ce au prix de la trahison de ses compatriotes.

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    Le docteur Svoboda pense qu’il y a des micros dans la maison 

    Dans la version française qui fut présentée en 1947, on avait coupé de nombreuses scènes montrant le peuple tchèque comme un personnage à part entière. Dans la version restaurée, le film dure d’ailleurs plus de deux heures, ce qui est très long pour un film de Lang. Néanmoins, le film a essayé de dépasser le manichéisme sous-jacent du propos en introduisant à la fois des éléments de confusion dans l’intrigue amoureuse latente, et de l’humour. L’inspecteur Grüber est un personnage étrange : petit et carré, rusé et ivrogne, c’est le seul Allemand qui a une personnalité singulière malgré son allure grotesque, il semble sortir de L’opéra de quatre sous. Les autres Allemands sont des stéréotypes bornés. Le personnage de Masha est inabouti. En effet, elle doit se marier prochainement avec Jan, mais elle semble aussi sous le charme de Svoboda qui pourtant par son action a amené les nazis dans sa maison et a causé l’arrestation de son père. Il y a là une ambiguïté qui n’est pas exploitée. D’ailleurs, si Masha ne dénonce pas Svoboda, si elle le protège de ses poursuivants, n’est-ce pas parce qu’elle est attiré par lui plutôt que pour des raisons patriotiques ? Elle mentira d’ailleurs à Jan lorsque celui-ci s’inquiétera des fleurs qui ont été livrées à Masha.

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    Masha demande à son fiancé de lui faire confiance 

    Le film porte évidemment la marque très particulière de Lang dans sa manière de filmer. Si on le compare par exemple à Man hunt, il semble même être un retour en arrière, comme s’il retrouvait les manières expressionnistes allemandes de ses films d’avant l’exil pour mieux marquer sa différence d’avec le cinéma hollywoodien. Le montage serré, la multiplication des plans avec peu de personnages, le jeu des lumières, tout contribue à renforcer cette idée. Les scènes d’extérieur tournées en studio sont assez étriquées, sans doute pour des raisons d’économies budgétaires. Mais cela est compensé par quelques scènes remarquables. Par exemple celles qui se passent dans le cinéma où Svoboda s’est réfugié, ou alors la première visite de Masha dans le piège de la Gestapo. De même les séquences qui mettent en scènes les otages rassemblés dans un camp. Il semble d’ailleurs que cela ait inspiré Melville pour L’armée des ombres. La lecture d’un poème patriotique donnera d’ailleurs une belle scène d’émotion à l’intérieur de la chambrée. La traque de Czaka, le traître, rappellera aussi celle de Hans Beckert dans M le maudit.

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    Masha et Jan essaient de voir si le professeur Novotny a été exécuté 

    Si le film souffre des incertitudes du scénario, il est encore plus plombé par l’interprétation, ce qui pourrait aussi expliquer son échec commercial. Le jeu de Brian Donlevy dans le rôle de Svoboda est tout simplement lamentable. Il est difficile d’être plus raide, d’exprimer moins d’émotion que lui. Il semble qu’il lui ait été imposé par les studios. Walter Brennan incarne le professeur Novotny. Il est plutôt bien dans ce rôle, mais il n’a pas cette étincelle d’extravagance qu’il possède dans ses autres prestations quand il se laisse aller à incarner des personnages qui n’ont plus beaucoup de dignité. Anna Lee est Masha. Là encore le choix ne paraît pas très bon. Elle n’a rien d’une jeune fille un peu écervelée qui panique face au danger que représente la Gestapo. Et puis elle semble trop âgée pour ce rôle. Denis O’Keefe est bien dans le rôle du fiancé décontenancé par la conduite de sa promise, il fera ensuite une carrière intéressante dans le film noir de série B, notamment chez Anthony Mann. Mais le plus remarquable de cette distribution un peu boiteuse c’est Alexander Granach dans le rôle de l’inspecteur Grüber. C’était un acteur juif-austro-hongrois exilé à Hollywood et qui avait aussi tourné avec Lubitsch. Il est ici étonnant.

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    Grüber croit que Masha et Svoboda sont amants 

    C’est un film qui possède des qualités indéniables, tant sur le plan cinématographique, que sur le plan scénaristiques, mais les hésitations qu’il manifeste, entre film noir, film didactique et comédie l’empêchent d’atteindre le très haut niveau. Ce n’est sûrement pas le meilleur des films de Lang, seulement un jalon dans le développement du film noir. 

     Les bourreaux meurent aussi, Hangmen also die, Fritz Lang, 1943 

    Czaka est désigné comme l’assassin d’Heydrich

     

     


    [1] C’est en effet seulement la guerre et la popularité de Roosevelt qui entraveront le travail répressif de l’HUAC dans le cinéma et la culture.

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  • Commentaires

    1
    AR
    Samedi 7 Octobre 2017 à 23:25

    Votre remarque sur le fait que c'est un film de gauche parce que les Tchèques n'attendent pas les GI est franchement anachronique. Ce film est de 1943, quand la fin de l'histoire n'était pas encore connue et les GI pas encore embarqués pour aller éventuellement sauver les Tchèques et tous les autres. Par contre, le discours du père de Masha dans sa prison est franchement poignant, quand on pense à la suite : il dicte une lettre à son fils pour lui dire qu'il vivra dans un pays libre, où le peuple se gouverne lui-même. Ce n'est malheureusement pas exactement ce qui s'est passé après 1945 : occupation soviétique, coup de Prague en 1948, régime communiste, soulèvement de Prague en 1968 réprimé par les Soviétiques... il leur aura fallu attendre 1989 pour vraiment en sortir.

    2
    Dimanche 8 Octobre 2017 à 06:36

    Il est curieux que vous ne regardiez la Guerre froide que d'un seul côté. Vous oubliez un peu ce qui s'est passé en Grèce et la répression féroce qui suivit le soulèvement grec après le départ des Allemands. Je vous fais remarquer que j'ai noté "gauche" entre guillemets. En effet il y avait en 1943 une opposition dans la Résistance, en France, mais aussi ailleurs, entre ceux qui pensaient que la Résistance devait aider et préparer l'arrivée des troupes alliées, et ceux qui considéraient que les Résistants devaient se transformer en armée populaire avec le prolongement naturel d'une prise de pouvoir par le peuple pour construire une société socialiste. C'était aussi ce qui opposait les gaullistes et les communistes en France.

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